Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une entrevue exclusive avec Amir Khadir

« Dans la culture de cette élite politique, il n’y a aucun mal à ce qu’il y ait des portes tournantes entre le pouvoir politique et le pouvoir économique »

Presse-toi à gauche a interviewé Amir Khadir, député de Mercier, pour connaître ses impressions sur les sujets de l’heure au Québec. Au menu, rapport Duchesneau, enquête publique sur la corruption, l’avenir des services publics, le Plan Nord et les prochaines élections.

Presse-toi à gauche : À la lecture du rapport Duchesneau, il ressort centralement que la privatisation des services publics a considérablement favorisé le développement de la collusion et de la corruption

Amir Khadir : La réingénérie de l’État. En fait, pour faire preuve de plus de tact, il parle des failles de la réingénérie. Mais la réingénérie elle-même est une faille.Et on le comprend de mieux en mieux par l’expérience vécue ailleurs dans le monde mais le rapport Duchesneau souligne le fait que l’État ayant renoncé à ses compétences, ayant sous-contracté une série de fonctions que l’État doit être seul à occuper ou en avoir la pleine maitrise, fait en sorte que même sans corruption, c’est-à-dire sans geste illégal consistant en du monayage de cette influence, a remis le contrôle de ses activités dans les mains du privé qui ne gênera pas, dans la recherche systématique et dans sa logique interne, à maximiser ses profits en s’avantageant et c’est dans la logique propre du système capitaliste d’agir ainsi.

Deuxième élément, c’est qu’en fait en permettant une si grande proximité entre les milieux parce qu’à la limite, si l’action gouvernementale avait une certaine autonomie dans les orientations, les firmes d’ingénieurs auraient moins de latitude ou les firmes multinationales du pétrole ou les pharmaceutiques auraient moins de latitude pour déterminer les règles dans lesquelles notre économie opère et pour déterminer ces règles-là à leurs avantages s’il y avait une autonomie du pouvoir politique, autonomie perçue à partir du moment où non seulement il y a le financement des partis qui est sous contrôle de certains milieux d’affaires mais parce qu’en fait dans la culture de cette élite politique, il n’y a aucun mal à ce qu’il y ait des portes tournantes entre le pouvoir politique et le pouvoir économique, ça fait en sorte qu’on sort d’une firme d’ingénieurs, on sort d’un bureau d’avocats, on sort d’une entreprise privée dans le domaine du gaz ou de l’énergie et on entre au gouvernement. Ou à l’inverse, on sort du gouvernement et on va dans le privé.

Presse-toi à gauche : Et ça donne des situations comme celle relaté dans les médias à propos de la comparution des entreprises de Tony Accurso devant la Commission de la construction du Québec où l’avocat plaide les conséquences sur les délais dans les travaux déjà en cours sur plusieurs chantiers pour demander que la firme ne soit pas punie pour ses infractions en matière d’impôt et de sécurité au travail, des dossiers dans lesquelles les firmes d’Accurso ont été trouvées coupables ou blâmées.

Amir Khadir : L’État s’est mis dans une situation de paralysie et dans un piège dans lequel il doit lui-même, pour continuer à rendre ses services, utiliser des entreprises “malfaiteurs”, des entreprises qui ont sur le dos des accusations criminelles pour mener à bien ses activités, l’État a ouvert la porte à la criminalité dans la gestion de ses infrastructures, de ses contrats, dans la gestion des affaires publiques.

Presse-toi à gauche : En conséquence, une campagne politique pertinente ne serait-elle pas quelque chose qui viserait à ramener sous le giron du secteur public la responsabilité et l’éxécution des grands travaux.

Amir Khadir : Il faut redonner à l’État les moyens de remplir ses fonctions en toute indépendance. Il faut redonner au gouvernement les capacités pour que ce soit le secteur public qui gère, qui finance et qui contrôle les domaines d’activités qui sont de son ressort. Non seulement en matière de santé, d’éducation, de garderies, d’hébergement pour personnes âgées, mais aussi en matière de gestion et de réalisation des grandes infrastructures publiques.

Presse-toi à gauche : Pas seulement dans le cas des routes ou infrastructures de transport mais aussi dans le cas des bâtiments et autres propriétés publiques ?

Amir Khadir : Par exemple, des hôpitaux, comme dans le cas du CHUM présentement.

Presse-toi à gauche : À ce niveau, le fait de vous voir à côté de représentantEs du PQ et de l’ADQ à l’émission Tout le monde en parle il y a de ça quelques semaines pourrait apparaître quelque peu bizarre à certains puisque le PQ a participé à la privatisation de services publics et que l’ADQ veut privatiser davantage.

Amir Khadir : Chaque chose en son temps, bien que je comprenne le fondement de ta question. Nous avons un devoir de pédagogie. Ta question préoccupe les membres de Québec solidaire et des gens de la gauche en général, les convaincus qui ont déjà une réflexion, une critique sur l’ordre social et politique. Si on veut uniquement s’adresser entre nous, nous aurons une république des critiques et des satisfaits entre nous mais il faut une mobilisation de l’opinion dans son ensemble, l’opinion populaire. Il faut donc faire de la politique d’éducation populaire qui passe à travers la prise de parole où il ne faut pas apparaître sectaires. Dans le contexte actuel, il n’y a rien de plus suspect aux yeux de l’opinion publique en général que les gens qui tentent de tirer des avantages secaires de la situation.

Presse-toi à gauche : À ce niveau-là, le PQ pourrait lui-même apparaître “sectaire” puisqu’on peut lire dans le Journal de Québec d’hier (13 octobre 2011) une déclaration qui disait essentiellement “il faut battre Amir dans Mercier à la prochaine élection”…

Amir Khadir : C’est surtout un aveu d’impuissance, à mon avis, un aveu de faiblesse incroyable de leur part. Mais je n’y rattache pas beaucoup d’importance parce que d’abord, s’ils ne sont pas suicidaires, ils vont vite rèalisé qu’il faut d’abord se concentrer à sauver les comtés où ils sont déjà. Ils ont déjà une grosse pente à remonter pour conserver leurs sièges dans un certains nombre de comtés. Puis que leur véritable ennemi, c’est la droite économique. S’ils se définissent comme progressistes sans être solidaires, leur véritable adversaire, c’est le pneu de rechange que constitue François Legault pour les élites au pouvoir. Ces élites avaient un véhicule de choix qui était le parti Libéral. Mais maintenant que ce véhicule est en panne, leur véhicule de rechange, c’est la Coalition pour l’Avenir du Québec.

Presse-toi à gauche : Un article de Richard Lehir (http://www.vigile.net/Power-Corporation-un-Etat-dans-l) pointe les intérêts complices entre le Parti libéral du Québec, ses collecteurs de fonds et Power Corporation et les avantages que pourrait tirer cette élites des accords de libre-échange Canada-Europe dont les négociations semblent sur la voie de se terminer. Or, Jean Charest a fait un voyageur de commerce de lui-même et a été vanter en Europe et en Asie les avantages du Plan Nord qui consiste à bien y regarder de près en une vente à rabais des ressources du sous-sol québécois. Il y a de plus en plus de gens qui prennent conscience qu’on se fait avoir. Ce qui est plus difficile à percevoir, c’est la résistance qui s’organise contre ce vol organisé.

Amir Khadir : D’abord, on commence peu à peu à comprendre, car on les connait, les liens qui unissent la famille Desmarais à la machine libérale et en particulier à Jean Charest. Monsieur Charest s’est dépêché de le reconnaitre en lui attribuant le prix du Québec. Puis Jean Charest et monsieur Desmarais sont allés recevoir la Légion d’honneur de Sarkozy en France, lui qui est dans la même zone d’influence. Mais on comprend mieux comment l’influence directe de Power Corporation s’exerce quand on établit la place qu’occupe comme acteur excessivement puissant et occulte et ce depuis le début du pouvoir du parti Libéral par Marc Bibeau qui siège également sur plusieurs C.A. des entreprises de Power Corporation.

Presse-toi à gauche : Par quoi passe la résistance à cette opération appelée Plan Nord ?

Amir Khadir : Il y a une mobilisation populaire importante et à l’initiative de citoyens, des municipalités ont pris la décision de barrer le chemin aux entreprises minières, surtout en zone habitées. Je penses entre autre à St-Hyppolite dans les Basse-Laurentides, à St-Camille en Estrie. Mais c’est sûr, quand on parle de tout le territoire au nord du 50e parallèle, c’est un peu plus difficile. J’ai quand même misé beaucoup d’espoir sur le travail que vont faire les communautés Cri et Innus pour demander des comptes et calmer les ardeurs du gouvernement. Mais il est certain qu’à brève échéance, il n’y a pas d’obstacle majeur parce qu’il n’y a pas beaucoup de population qui sont en lien avec les territoires qui vont être donnés pratiquement aux entreprises minières.

Donc le combat ultime, c’est surtout sur le terrain politique que ça va se jouer à l’approche des prochaines élections. Nous allons tenter d’amener le PQ et tous les autres partis à se positionner de manière à former une opposition suffisamment forte au Plan Nord au niveau de sa substance, pas juste les détails. Pour que les entreprises multinationales qui salivent à l’idée de venir exploiter notre territoire y pensent à deux fois avant de croquer. Parce que si tous les partis qui sont susceptibles de prendre le pouvoir un jour établissent clairement que nous ne respecteront pas ce que a été donné de manière indue et que nous nationaliserons sans indemnisation, ce serait dissuasif pour ces entreprises.

Entrevue réalisée par Yves Bergeron

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