MARC BRULLEMANS*, Ph.D. Biophysique
Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques
Membre de GMob
JACQUES BENOIT* D.E.S.S. D.É.C.
Membre de GMob
Se nourrir est essentiel. Dans cet acte, l’énergie est un facteur capital. Ainsi, on peut estimer à 2 200 calories le besoin énergétique moyen d’une personne, ce qui équivaut à 2,5 kWh par jour. Les lipides, protéines et glucides qui fournissent cette énergie peuvent provenir de plusieurs aliments, chacun ayant sa propre empreinte énergétique.
Pour produire ce 2,5 kWh par jour par personne, nous utilisons, quelle que soit la filière (végétalienne ou autre), de 10 à 15 kWh. Nous avons donc un système de production d’aliments qui requiert beaucoup plus d’énergie qu’il ne nous en apporte. En connaissant la source de ces énergies (carbonées ou non), nous pouvons évaluer les gaz à effet de serre (GES) générés, afin éventuellement de les réduire.
Tel qu’écrit précédemment, le réchauffement planétaire peut entraîner des épisodes de sécheresse[1], de gel soudain[2], de grêle et de pluie torrentielle, lesquels affectent les récoltes dans plusieurs de nos régions. Notre “garde-manger d’hiver” risque aussi d’être mis à mal par des gels en Floride ou des sécheresses qui épuisent les nappes phréatiques en Californie.
Ces aléas iront se multipliant et s’aggravant. C’est pourquoi nous devons viser rapidement une sécurité alimentaire. Produire soi-même ou localement nos aliments pour les consommer favorise notre résilience en période de crise.
Et si nos terres étaient l’objet d’accaparement ?
Au Québec, les terres cultivées ne représentent que 2% de notre territoire, et on laisse des investisseurs étrangers[3] ou des fonds québécois[4] spéculer sur celles-ci. Comment espérer être résilients dans un tel contexte ?
LES FAITS
Le gouvernement canadien définit l’insécurité alimentaire comme « l’incapacité de se procurer ou de consommer des aliments de qualité, en quantité suffisante, de façon socialement acceptable, ou l’incertitude d’être en mesure de le faire ». Or, un nombre croissant de Québécois.e.s[5] ont recours aux banques alimentaires pour pallier cette insécurité.
Alors qu’il y a cent ans, nous produisions presque tous nos aliments, le gouvernement québécois évalue aujourd’hui notre niveau d’autosuffisance à environ 58 %[6].
La moitié de nos achats dans le secteur de l’alimentation provient du Québec, et, de cette moitié, seulement 5 % sont des produits frais.
Selon la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, près de 50 % de nos calories ingérées[7] proviennent d’aliments ultra-transformés, qui “contiennent généralement deux fois plus de calories, trois fois plus de sucres libres et deux fois plus de sodium, sans compter qu’ils fournissent beaucoup moins de protéines, de fibres, de vitamines et de minéraux.”
C’EST POURQUOI…
Nous devons viser une autonomie alimentaire “individuelle” et nous nourrir moins via les circuits de distribution.
Il faut viser un retour à une alimentation adaptée aux saisons et à la réalité géographique et culturelle québécoise, et refuser les productions toujours plus énergivores.
Outre les façons usuelles de conserver les aliments frais produits localement, la surgélation et la déshydratation sous vide sont des avenues collectivement intéressantes.
En périodes de crise, la main-d’œuvre locale devrait pouvoir assurer la production et la transformation des aliments. Dans tous les cas, à la ferme et dans les serres[8], les conditions des travailleurs agricoles doivent être dignes.
La présence de pôles agroalimentaires régionaux, liant producteurs et consommateurs, favorise la résilience.
De petits jardins avec une diversité de plantes et des sols enrichis par une utilisation judicieuse de nos déchets alimentaires compostés contribuent à l’autosuffisance et à la résilience de nos communautés.
Nous devons multiplier les jardins communautaires et collectifs, car ils favorisent les liens sociaux, l’entraide et la transmission des savoirs et des connaissances au niveau alimentaire.
Conséquemment (tiré de la Fiche C-DUC 10 du Plan de la DUC[9])...
Nos gouvernements doivent, par exemple
Reconnaître l’agriculture comme une composante de sécurité nationale, et adopter une réglementation sévère pour éliminer toute forme de spéculation visant les terres.
Remettre sur pied un réseau de conserveries afin de transformer régionalement les productions excédentaires de notre agriculture.
Privilégier l’utilisation de produits locaux dans les services alimentaires des institutions publiques.
Nos municipalités pourraient, entre autres
Revoir l’aménagement du territoire en fonction des besoins d’autosuffisance alimentaire de la région, compte tenu du risque climatique.
Mettre en place un programme intensif de stockage, de conservation et de distribution alimentaire de proximité.
Participer à la création de bibliothèques de semences, et soutenir la production des semences locales.
Quant à la population, elle peut, notamment
Réduire sa consommation de viande, en particulier celle issue de la filière bovine et ovine ; viser une consommation de denrées alimentaires à faible empreinte carbone.
S’initier et s’investir dans l’autoproduction alimentaire et dans les modes de conservation des aliments.
Cuisiner, surtout avec des produits régionaux.
Mais pour que toutes ces mesures aient une chance de fonctionner, il faut d’abord réduire drastiquement nos GES, car le réchauffement planétaire à venir va mettre en péril nos cultures. Plus encore, pour respecter l’Accord de Paris, il faudrait contrebalancer la portion incompressible des GES liés à l’alimentation en créant, d’ici la fin du siècle, d’énormes - et incertains - puits de carbone (The Lancet, 2019[10]).
Nous avons là un très sérieux problème qui, encore une fois, ne semble pas préoccuper nos leaders.
Certes, nous devons adopter de meilleurs choix alimentaires. Les petits fruits que nous cueillons ont une moindre empreinte écologique que le mégaburger que nous “cueillons” dans son emballage au service à l’auto.
Pourtant, une pub télé[11] nous explique que “des sols en santé produisent des plantes en santé qui donnent des animaux en santé”, ajoutant que “le bœuf sait ce qu’il fait quand il broute”...
Et nous : le savons-nous vraiment, ce que nous faisons ?...
Dans le prochain texte, nous aborderons un autre chantier de résilience : la santé en temps de crise.
Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître le Plan de la DUC, élaboré par l’équipe de GroupMobilisation (GMob) dans le cadre de la « Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique[14] », qui a été reconnue par 525 municipalités représentant 80% de la population québécoise.
[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1797941/bilan-meteo-mai-quebec-sec
[2] https://www.lapresse.ca/actualites/2021-06-02/quand-ca-gele-on-ne-dort-pas-de-la-nuit.php
[4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097621/pangea-agriculture-entreprise-questions
[10] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(18)31788-4/fulltext
[11] https://rethinkcanada.com/fr/work/a_w/2020/television/le-boeuf-nourri-a-lherbe-est-arrive-chez-aw/
[12] https://desuniversitaires.org/
[13] mailto:info@desuniversitaires.org
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