Le 17 mars 201 par CADTM Afrique
Une session extraordinaire qui se tient en ce moment à l’Assemblée nationale sur la réforme constitutionnelle et le projet de loi sur le foncier agricole. Nous avons contacté ce matin au téléphone un député qui soutient les organisations paysannes pour s’enquérir de la situation du vote du projet de loi. Il nous a informés qu’il y a une forte pression sur le gouvernement et sur les députés pour le vote dudit projet de loi.
Il nous a expliqué que trois ministres ont contacté l’ensemble des groupes parlementaires pour les informer que les partenaires financiers, notamment la Banque mondiale
qui doit accorder un fonds au Mali, menacent de bloquer si la loi n’est pas votée avant la fin de ce mois de mars 2017. Du coup le gouvernement, paniqué, a instruit à ces trois ministres de tout faire pour que le vote puisse se faire avant la date indiquée. Et comme tous les moyens doivent être utilisés pour y arriver, ils ont acheté, selon lui, la voix de la majorité des députés et même menacé ceux hostiles de dissoudre l’Assemblée nationale.
Lui demandant ce qu’on peut faire en termes d’action
urgente, il nous a répondu que la pression est telle qu’aucune action ne pourra faire changer d’avis le gouvernement qui n’entend et ne voit rien si ce n’est l’effectivité du vote avant la date indiquée par la Banque mondiale. Il nous a notifié aussi qu’il a appelé personnellement le ministre de l’Agriculture et que ce dernier lui a signalé que voter une loi ne veut pas dire l’appliquer automatiquement, mais qu’il y aura l’élaboration des décrets d’application qui pourront faire l’objet de discussion et de négociation pour intégrer nos préoccupations. Il a terminé ses propos en disant que le vote risque d’être effectif avant mercredi prochain, le 22 mars 2017.
Rappelons que ce projet de loi foncière – dont la consultation a impliqué les organisations paysannes et les mouvements sociaux qui travaillent sur les thématiques foncières et agricoles – comportaient, pendant la première phase de validation sociale, 159 articles prenant en compte les préoccupations majeures des paysans en matières foncières et agricoles. Il a été réduit à 49 sur imposition des bailleurs de fonds, en l’occurrence la Banque mondiale, afin de privilégier les investisseurs étrangers au détriment de la communauté paysanne.
Signalons que l’invitation du ministre malien des Domaines et des Affaires foncières à la conférence du 23 au 27 mars 2015 à Washington aux États-Unis sous le thème « Land and Poverty » (« Terres et pauvreté ») était le nez caché de cette ingérence de la Banque mondiale dans les affaires foncières et agricoles du Mali.
Cette attitude antidémocratique et anti développementaliste de la Banque mondiale est inscrite dans un programme intitulé « Doing Business », (« Faire des affaires »), lancé en 2002. Il est utilisé pour juger le « climat des affaires » dans 189 pays. À travers ce rapport, elle promeut la déréglementation comme la meilleure stratégie pour favoriser la croissance économique. Plusieurs études ont montré les effets néfastes du « Doing Business ». Malgré toutes ces critiques, la Banque mondiale persiste à promouvoir la déréglementation et lance même une offensive dans le domaine agricole à travers son nouveau projet : le « Benchmarking Business of Agriculture » (« Analyse comparative des activités de l’agriculture »). Le rapport annuel « Doing Business » couvre dix domaines dont nous citons quelques-uns : octroi de licences, obtention de prêts, protection des investisseurs, commerce transfrontalier, etc.
Ainsi, la Banque mondiale dans son rapport 2015 de classement des économies en termes d’amélioration du cadre des affaires du 29 octobre 2014, 12e édition, le Mali a gagné neuf places en passant de la 155e position à la 146e sur 189 économies classées. Sur les indicateurs « octroi de permis de construire » (avancée de 9 places), « protection des investisseurs » (avancée de 7 places), des efforts sont à faire pour les autres domaines.
Ce rapport a un impact majeur sur les décisions politiques en particulier dans les pays dits en « développement ». Les gouvernements de ces pays se font concurrence pour améliorer le « climat des affaires » au profit du secteur privé et en particulier des transnationales, et pouvoir ainsi remonter dans ce fameux classement. Le « Doing Business » fait, à juste titre, l’objet de nombreuses critiques, notamment des organisations de la « société civile ».
À travers ce projet, la Banque mondiale néglige une fois de plus l’importance de l’agriculture familiale qui concerne pourtant 80 % des exploitations agricoles dans les pays dits en développement. Le « Doing Business » encourage les gouvernements à mener des réformes de leurs systèmes fonciers. Ces réformes consisteront à enregistrer les terres, les rendre commercialisables et hypothécables.
Entre 15 à 20 % des terres dans les pays dits en développement sont détenues par des investisseurs étrangers. Les principaux détenteurs de ces terres sont en grande partie les pays ou les sociétés occidentales et asiatiques. Pour conclure, le « Benchmarking Business of Agriculture » est une initiative qui nuit aux paysans, reste fondamentalement favorable au secteur privé et entraîne d’importants dégâts environnementaux.
Pour rompre avec le néocolonialisme et garantir une souveraineté alimentaire, le Réseau CADTM Afrique exige que :
– Le Mali détermine souverainement ses propres politiques foncières et agricoles, conformément aux articles 2, alinéa 3 ;6, paragraphe 3 de la Déclaration de l’ONU sur le droit au développement de 1986 et à l’article 1 commun aux deux pactes de 1966 ;
– Le Mali et les autres pays africains se retirent du « Doing Business » et du « Benchmarking Business of Agriculture » de la Banque mondiale car ces stratégies visent à transformer nos paysans en ouvriers agricoles sur leurs propres terres ;
– L’application d’un audit citoyen des programmes et prêts de la Banque mondiale envers le Mali pour en identifier les parties illégitimes, illégales et odieuses ;
– Soient annulées toutes les dettes illégitimes du pays à l’égard de la France, la Banque mondiale et le FMI
utilisant l’arme de la dette
pour imposer leurs politiques néolibérales ;
– Soient promues des politiques agricoles au Mali et ailleurs qui prennent en compte les savoir-faire locaux, qui soutiennent les paysans et qui donnent la priorité à la souveraineté alimentaire.
Bamako, le 17 mars 2017