Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Construire Québec solidaire comme parti des urnes et de la rue, une perspective incontournable

Mardi 13 juillet 2010

Le débat sur les rapports que Québec solidaire doit établir avec les mouvements sociaux est un débat essentiel pour le congrès qui vient. Le Cahier de participation du congrès le formule ainsi : Comment Québec solidaire peut-il promouvoir au sein même des résistances syndicales et sociales son projet alternatif de gauche ? En fait, c’est la nature du parti que nous voulons construire qui est posée par cette question. C’est pourquoi elle nous semble une question programmatique essentielle.

Au Québec, un parti politique autonome et de masse des classes ouvrière et populaires n’a jamais existé. La question nationale a participé à cette indéfinition politique des classes ouvrière et populaires. Ces dernières se sont donc définies depuis une quarantaine d’années comme une force de pression sur le Parti québécois. Ce fait historique essentiel fait encore sentir ses conséquences.

Le lourd héritage du rejet de la politique partisane par le mouvement ouvrier québécois

Le mouvement ouvrier a renoncé jusqu’ici à se donner une expression politique partisane propre. Une politique de pression sur le parti du nationalisme québécois reste encore l’alternative politique dominante dans le mouvement syndical. Le dégagement de cette perspective reste encore marginal. Il faut chercher à comprendre les racines de cette réalité si on veut pouvoir dépasser ce blocage.

Le rejet du mouvement ouvrier sur la défensive depuis le début des années 80, a totalement écrasé la volonté qui s’était manifesté à la fin des années 60 et au début des années 70, de se donner un parti politique de classe, volonté qui était restée, malgré tout, minoritaire. Aujourd’hui, l’attitude défensive va si loin qu’elle conduit le mouvement syndical à accompagner les reculs afin d’en diminuer les impacts sur les syndiqué-e-s.

Le développement des mouvements sociaux change les conditions de la politique de gauche

Durant les dernières décennies, le développement des mouvements sociaux - mouvement des femmes, mouvement populaire, mouvement étudiant, mouvement écologique, mouvement antiguerre, mouvement altermondialiste, mouvement LGTB, - a fait apparaître un mouvement social protéiforme et fragmenté. Ces mouvements sociaux répondent à la profusion des problématiques vécues par les classes ouvrière et populaires et reflètent l’inventivité de ces dernières dans le développement de leur résistance quotidienne à la détérioration de leurs conditions de travail et de vie, au tort fait à l’environnement, aux inégalités et à toutes les formes d’oppression. S’ils ont su parfois impulser des mobilisations massives exemplaires, les mouvements sociaux ne sont généralement pas parvenus à dépasser l’action parcellaire et la logique du groupe de pression. Leur fragmentation a par contre limité les objectifs fixés et le rapport de force qui pouvait être créé pour construire la résistance à l’offensive néolibérale. Il n’en reste pas moins que toute politique de transformation sociale ne se fera pas sans eux, sans leur implication tant dans la définition des objectifs poursuivis que des mobilisations qu’il faudra construire pour parvenir à cette transformation.

Contre une simple division du travail entre mouvements sociaux et parti politique de gauche

Il découle de cette approche qu’il n’y a pas une séparation étanche entre les luttes sociales et économiques d’une part et l’action politique d’un parti d’autre part. Car les luttes des mouvements sociaux se font dans un cadre déterminé par les gouvernements, qu’elles se heurtent à un État qui n’hésite pas à jeter tout son poids du côté du gouvernement et des entreprises. Bref, il est illusoire de parler des luttes sociales ou économiques pures. Tout conflit social qui remet en cause d’une façon ou d’une autre l’ordre établi et qui se heurte donc inévitablement aux institutions de classe qui défendent cet ordre établi a une dimension proprement politique. Les grands conflits sociaux soulèvent des questions de fond sur l’organisation générale de la société, et la question du pouvoir. Il faut donc refuser de figer les catégories où les mouvements sociaux se résumeraient à la rue et au social et où la politique s’identifierait aux élections et aux institutions parlementaires.

Au Québec, plus qu’ailleurs encore, un parti politique de gauche en construction comme Québec solidaire n’a pas le monopole de la politique et les mouvements sociaux sont des porteurs de la volonté de transformation politique de cette société. L’unité ou la fragmentation, les avancées ou les reculs des mouvements sociaux sont des déterminants du champ des possibles dans lequel s’inscrit la construction d’un parti politique de gauche.

Les mouvements sociaux ne peuvent pas rester à l’écart des luttes électorales sans se condamner eux-mêmes à la marginalisation politique, car c’est encore sur le terrain électoral que se joue la lutte pour le pouvoir aux yeux de l’ensemble de la population. Et tout parti politique de gauche ne peut se contenter de saluer les luttes sociales ou de s’en faire simplement l’écho sur le terrain institutionnel et parlementaire, car l’enracinement d’un projet de société et du parti qui le porte n’est pas d’abord le produit d’un travail d’éducation politique et de prise de parole publique mais est liée aux combats concrets qui seront menées par la population du Québec pour ses revendications dans le sens d’une transformation sociale véritable.

Le rôle essentiel du parti politique de gauche et son rapport avec les mouvements sociaux

La construction d’un parti de gauche et le développement des mouvements sociaux sont donc des processus interdépendants. Les mouvements sociaux valorisent le pouvoir citoyen à la base au sein d’une organisation syndicale, communautaire, environnementaliste, féministe, etc. Leurs contributions sont essentielles puisqu’elles favorisent la participation sociale et la prise en charge collective, qui sont des fondements même de la démocratie citoyenne.

Un parti politique de gauche n’est pas une simple machine électorale. Il doit chercher à élaborer des orientations politiques qui nourrissent le débat démocratique. Et ce rôle, il doit le faire en symbiose avec les mouvements sociaux. La lutte des mouvements sociaux comme des partis politiques de gauche, c’est une lutte pour la transformation de cette société. La différence entre ces deux niveaux, ce n’est pas une différence de nature, mais une différence de fonction. Les mouvements sociaux mènent les combats et le parti doit respecter leur indépendance et leur démocratie à ce niveau.

Le parti politique de gauche par son travail de synthèse des revendications économiques, sociales, féministes et écologiques présente un projet de transformation sociale concret afin de dépasser la fragmentation actuelle des mouvements sociaux, moment essentiel de la création d’une aspiration au pouvoir populaire et pour poser la question du pouvoir politique dans cette société. Faute de cette dimension de lutte pour le pouvoir, toute l’action des mouvements sociaux se ramène à des combats défensifs et à des efforts de plus en plus difficiles pour influencer la politique des partis au pouvoir.

Le parti de gauche lui représente donc une force transversale aux mouvements sociaux. Son action vise à favoriser l’autonomie des mouvements sociaux face aux partis du patronat, à défendre l’unité dans l’action des différents mouvements sociaux et à défendre la constitution d’un front social et politique unitaire de résistance.

Les rapports égalitaires entre partis et mouvements sociaux doivent pouvoir se vivre à travers des forums de la gauche, au cours desquels mouvements sociaux et partis participent conjointement au processus d’élaboration : de manière à ce que le travail d’élaboration politique puisse se faire à travers un débat sur le fond des questions et non pas dans l’urgence de l’échéance électorale. C’est pourquoi un travail d’élaboration programmatique doit chercher à s’élargir à l’ensemble des différents mouvements sociaux.

Ces perspectives peuvent se moduler - par la défense de l’unité d’action, - par la défense de rapports égalitaires entre le mouvement syndical et les mouvements sociaux, - par la défense de la nécessité de construire des cadres unitaires durables d’élaboration collective, et par la participation à la construction de tels cadres unitaires, - par l’animation de lieux de partage d’expériences

Mais la conquête du pouvoir politique demeure un passage obligé si l’on vise un changement à l’échelle de la société. Seule une organisation politique structurée, un parti politique, peut présenter un programme faisant la synthèse des revendications économiques, sociales, démocratiques et politiques et peut les intégrer en un projet global de société. D’autre part, un mouvement syndical et des mouvements populaires forts et unis sont essentiels pour créer des conditions favorables à l’émergence d’une alternative politique de masse. Ce n’est que s’il s’articule à la mobilisation des mouvements sociaux que l’accession au pouvoir exécutif et législatif qu’un parti de gauche aura les moyens de transformer des revendications en réalisations durables. Sans un mouvement social fort qui est sa véritable base agissante, un gouvernement d’un parti de gauche ne saurait être en mesure d’appliquer et de maintenir ses politiques.

Mots-clés : Québec
Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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