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Nation Cree du lac Beaver : Confrontation entre le développement des sables bitumineux et un traité

En 2018, la Nation Cree du lac Beaver a déposé une poursuite contre les gouvernements du Canada et de l’Alberta. Elle conteste le statut donné à de nombreux projets dont un développement d’exploitation des sables bitumineux, une des plus polluantes et des plus grandes exploitations dans le monde.

Susan Smitten, Briarpatch Magazine, 29 avril 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Cette poursuite, aux enjeux très importants, est un précédent dans le système judiciaire canadien. Cette cause posera pour la première fois, la question de savoir quand un développement industriel est de trop en regard de droits protégés constitutionnellement par un traité.

En 1876, la Couronne impériale britannique a signé le traité 6 avec les Premières nations. Il garantit à perpétuité et affirme que la Nation Cree du lac Beaver a des droits inhérents de chasse, de pêche, de trappe sur leur territoire traditionnel et au-delà et que le gouvernement leur permet l’usage de ces terres.

Il a fallu 5 ans de bataille pour simplement mener la cause jusqu’au procès. Après avoir accepté une cavalcade de projets dans les sables bitumineux aux cours des 2 dernières décennies, l’Alberta et le Canada se sont battus contre cette poursuite à chaque étape. Ils ont, tous les deux, présenté un mémoire pour la disqualifier, la traitant de : « frivole, inappropriée et d’abus de procédures ». Mais les tribunaux ont rejeté cette défense. La Cour du banc de la reine et la Cour d’appel (d’Alberta) ont toutes les deux déclaré qu’aucune autre : « tactique pour la retarder » ne serait permise.

Maintenant, l’enjeu est de la rendre jusqu’au procès. Les autorisations accordées par la Couronne ouvrent une voie dans les territoires traditionnels de la Nation Cree du Lac Beaver pour des activités qui ne font plus parti de son mode de vie. Les habitats ont été fragmentés, les terres et les eaux ont été dégradées de telle sorte que cela empêche la Nation d’un exercice sensé des droits accordés par le traité.

En novembre dernier, dans un point de presse le conseiller juridique de la Nation, Karey Brooks, expliquait que : « la cause du lac Beaver soulève des problèmes fondamentaux quant à l’importance de la relation au traité et à la réconciliation qui n’ont jamais été examiné par les tribunaux à ce jour : jusqu’où le Traité 6 protège-t-il un mode de vie qui a du sens et jusqu’où la Couronne est-elle obligée de prendre en considération les effets ( du développement prévu) sur ces pratiques pleines de sens dans ce mode de vie, quand il autorise le développement » ?

La Nation ne peut plus ignorer l’impact (du développement) sur son territoire et son mode de vie. Sur raventrust.com on explique : « le Canada et l’Alberta ont émis plus de 19,000 permis qui se sont traduits en 300 projets industriels qui occupent plus de 90% du territoire traditionnel de la Nation Cree du lac Beaver. Ce qui fait que, maintenant, ce qui fut la forêt primaire et les terrains de chasse sont recouverts par plus de 35,000 sites d’extraction de pétrole et de gaz, parcourus par 21,700 kilomètres de lignes sismiques, par 4,028 kilomètres d’oléoducs et par 948 kilomètres de routes qui ont un effet dévastateur sur la faune dont le caribou forestier et diverses espèces de poissons ».

Le coordonnateur du traité pour la Nation Cree, Crystal Lameman, explique également que : « Le Canada et l’Alberta soutiennent qu’ils font tout leur possible pour consulter les Premières nations à l’intérieur de leurs procédures. Ce que la Nation Cree du lac Beaver veut, ce n’est pas un processus arbitraire. Elle veut l’application de l’article 9 de la Déclaration des droits des peuples autochtones adoptée par les Nations Unies ».

Cette déclaration stipule que : « les États doivent consulter les peuples indigènes concernés et coopérer de bonne foi avec eux via leurs propres organes de représentation afin d’obtenir leur consentement préalable, libre et informé avant d’adopter et mettre en vigueur des lois ou des mesures administratives susceptibles de les affecter ».

Et M. Lameman ajoute : « L’Alberta revient à la charge en demandant une exemption à la régulation fédérale pour certains projets et aussi que les émissions émises par la combustion des énergies fossiles soient exclues de la révision du processus règlementaire. Elle invoque qu’elles sont déjà soumises à un processus d’évaluation onéreux de la part de l’Alberta Climate Leadership Plan (ACLP). Mais l’Alberta oublie de mentionner que l’ACLP n’offre pas de protection en vertu des droits par traités, ne prend pas en compte les effets cumulatifs des émissions ni celles produites par la combustion du pétrole albertain en dehors de la province (…) ».

Pour ce qui concerne les approvisionnements, l’ACLP permet encore que les émissions provenant de la production du pétrole des sables bitumineux augmentent de 47,5% au-dessus des niveaux de 2014. En plus, et le Canada et l’Alberta, ne tiennent compte que des émissions intérieures pour calculer la pollution. Ni les plafonds d’émissions établis par l’Alberta ou le Cadre canadien pour une croissance propre et les changements climatiques, ne prennent en compte des émissions causées par le pétrole canadien, presque totalement albertain, en dehors du pays.

Encore une fois, M. Lameman explique qu’ : « alors qu’on estime à 80% la croissance de la production du pétrole albertain ces projets industriels, les plus importants au Canada, ne peuvent être soustraits à quelque évaluation environnementale que ce soit. La majorité de ces projets devraient se faire sur les territoires déterminés par le Traité 6 dont ceux du lac Beaver ».
Après avoir passé 5 ans dans les corridors judiciaires en défendant leurs droits de poursuivre, la Nation Cree du lac Beaver a récemment demandé à la cour d’ordonner au Canada et à l’Alberta de payer à l’avance une partie de ses frais judiciaires. C’est ce mécanisme qui avait permis à Tsilhqot’in (nation autochtone de Colombie britannique à qui la Cour suprême a confirmé que les droits accordés par traités par les gouvernements antérieurs s’appliquaient à elle) de maintenir presque 2 décennies de litiges et de gagner une cause historique. Une audience pour prévoir les coûts a eu lieu en février à Edmonton. La Nation Cree du lac Beaver attend maintenant les décisions des tribunaux.

Nous invitons les Canadiens.nes à contribuer au fonds www.tarsandstrial.com. Il faut aider la Nation Cree qui a des ressources réduites et doit voir au bien-être de sa communauté. Il serait très injuste qu’un manque d’argent empêche la reconnaissance judiciaire de ses droits.

Note : Susan Smitten est directrice exécutive de RAVEN (Respecting Aboriginal Values &Environnemental Needs) une organisation sans but lucratif basée à Victoria qui offre de l’aide financière aux Nations aborigènes du Canada pour l’exercice de leurs droits, le respect de leurs traités, pour protéger leurs territoires traditionnels et leur environnement.

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