Ce « résumé pour décideurs » est un petit texte de 22 pages, résultat de trois ans de travail pour le premier volume de ce cinquième rapport du GIEC (http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml#.UkW2hBZoXyF). Un texte lu par une bonne partie des hommes politiques de la planète, ou tout du moins par leurs conseillers - le rapport lui-même, comprenant plusieurs centaines de pages, étant rarement lu directement par les "décideurs". Le Résumé - en anglais "Summary for policymakers" sert de base aux discussions internationales sur le climat. "C’est le livre de chevet des négociateurs", affirme le climatologue Jean Jouzel. Il est vice-président du groupe de travail coordonnant le volume I et a participé à l’élaboration de tous les rapports du GIEC depuis le deuxième, en 1995. « Il faut bien comprendre d’où vient ce résumé », insiste-t-il.
Un résumé adopté "ligne par ligne"
Le Résumé est la dernière étape de la rédaction d’un rapport du GIEC. Le moment où les représentants des gouvernements sont admis à donner leur avis et à voter le texte, qui a donc un caractère politique, et pas seulement scientifique.
Chaque rapport compte trois volumes plus une synthèse. A la fin de la rédaction de chaque volume, l’assemblée plénière du GIEC est convoquée. Une grande réunion de famille, comme celle qui s’est déroulée cette semaine à Stockholm : les délégations des pays membres ont eu quatre jours discuter, amender et adopter le Résumé, sur la base du texte en anglais. "Il est adopté ligne par ligne", raconte Jean-Charles Hourcade. Economiste, il en est à sa troisième participation à un rapport du GIEC. Chaque phrase est discutée jusqu’à ce qu’elle fasse consensus.
"Cela donne un résumé poli pour ne heurter personne", admet le chercheur. Il se rappelle des discussions sur le résumé du deuxième rapport, en 1995 : "Le délégué américain interrompt la séance : on avait écrit que les politiques de lutte contre le climat pouvaient aussi apporter des bénéfices, équivalents à "plusieurs" points de PIB. L’idée gênait les Américains. On a discuté deux heures. Finalement on a remplacé le terme ’several’ (plusieurs) par ’few’ (quelques) : on a choisi l’expression qui évoque le plus petit chiffre en anglais."
Autre anecdote, aussi lors du deuxième rapport. Responsable du groupe de recherche climatique à Météo France, Serge Planton raconte : "Le président lit la phrase qui annonce que les activités humaines pourraient avoir un effet sur le changement climatique. C’était nouveau à l’époque. Mais le président oublie de prononcer le mot ’now’ (maintenant), qui accentue le propos. Il tente de se corriger, les pays s’y opposent. Le terme a été retiré. Cela a effectivement atténué la portée du message."
Des discussions "sur la forme", mais cruciales
Mais l’exercice n’est pas simplement politique : les scientifiques restent dans la salle pendant les discussions et veillent à ce que les résultats scientifiques présentés ne soient pas déformés. Pour Jean Jouzel, "ce processus ne produit pas un rapport qui échappe aux scientifiques. Ce sont des changements de forme, pas de fond."
Mais la forme a son importance. Entre les 1 400 pages du rapport et les 22 pages de résumé, beaucoup d’informations se perdent. Stéphane Hallegatte, économiste à la Banque mondiale, a fait partie de la délégation française lors de l’adoption du quatrième rapport, en 2007. Il est cette année un des auteurs du deuxième volume. "Il y avait beaucoup de choses dans le rapport sur les risques de cyclones dans les Caraïbes, donc sur la Guadeloupe et de Martinique, se rappelle-t-il. Mais on avait le sentiment que ce n’était pas assez repris dans le résumé. On a insisté pour que sur ce point là, il reprenne plus de choses du rapport. C’est important, parce que c’est surtout le résumé qui est lu. Si une information est dans le rapport, mais pas dans le résumé, son impact est beaucoup plus faible."
Pourtant ce filtre est nécessaire : "Si un résultat est fort, le consensus va faire qu’il sera retenu dans le résumé final. S’il est faible, ça a peu de chances de se retrouver dans le résumé. Ainsi, les politiques sont au courant de la science la plus récente dans un format extrêmement solide", selon Stéphane Hallegatte. "Les gouvernements se plaignent même que les rapports du GIEC ne soient publiés que tous les six ans. Ils ont besoin de ces informations pour prendre des décisions."
Une organisation « unique »
Mais tous les six ans, c’est déjà bien, car le GIEC est une grosse machine. « C’est une organisation unique, elle n’a pas d’équivalent sur d’autres sujets », affirme Jean Jouzel. Elle a été créée en 1988, conjointement par l’Organisation météorologique mondiale et par le Programme des Nations unies pour l’environnement. Tous les pays membres de ces deux organisations peuvent donc faire partie du GIEC, qui regroupe à ce jour 194 pays. Son travail est coordonné par un secrétariat permanent : une dizaine de personnes basées à Genève. Son budget est d’environ six millions d’euros par an, qui finance les déplacements des chercheurs des pays en voie de développement, le secrétariat et l’édition des documents. Les frais techniques associés aux trois volumes du rapport sont pris en charge par trois pays volontaires. Pour cette cinquième édition, il s’agit de la Suisse, des Etats-Unis et de l’Allemagne.
A chaque nouveau rapport, les scientifiques du monde entier sont appelés à proposer leur collaboration. En tout, 831 ont été sélectionnés pour ce cinquième rapport.
Ils sont organisés en trois groupes, responsable chacun d’un des trois volumes. Le premier présente l’état des connaissances sur l’évolution du climat – c’est celui qui est publié vendredi 27 septembre, et qui est rédigé essentiellement par les climatologues, qui sont majoritairement des physiciens. Le deuxième, dans une suite logique, s’intitule Conséquences, vulnérabilité et adaptation au changement climatique. Le troisième fait le tour des « mesures d’atténuation », et mobilise surtout des économistes. Ces deux volumes seront publiés en mars et en octobre prochains). Un quatrième volume fait la synthèse. Il est prévu pour octobre 2014.
Les scientifiques divisent chaque volume en chapitres. Pour chaque sujet, ils font l’état des publications de la communauté sur le sujet. Ils les comparent et les compilent. Les scientifiques sont bénévoles et leur travail est titanesque : pour ce premier volume, ils ont passé en revue 9 200 publications. Celles-ci sont surtout des articles de recherche publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture : cela signifie que ces articles, pour être publiés, doivent être relus par d’autres scientifiques, qui en valident la méthode et le raisonnement.
La discussion pour la rédaction des volumes du GIEC est permanente, sous forme d’échanges de courriels. Une fois par an, tous les auteurs d’un volume se retrouvent pour discuter de visu des problèmes rencontrés.
« Parfois les résultats sont contradictoires sur un même sujet. Si on n’arrive pas à les concilier, on l’écrit dans le rapport », explique Pascale Delecluze. Elle est directrice adjointe de la recherche à Météo France et a coordonné les discussions du chapitre 11 du premier volume. « C’est un job à plein temps. Sur les derniers mois, on a passé des nuits blanches à lire les dernières publications. Il y en a eu énormément dans les derniers mois avant la remise du rapport : tout le monde voulait y être cité », raconte-t-elle.
Toutes ces publications sont prises en compte et ont été synthétisées dans le rapport : 1 400 pages pour ce premier volume. Vient ensuite un condensé de 78 pages, le « résumé technique ». C’est seulement à la toute fin qu’est adopté le fameux « résumé pour décideurs ». 22 pages, quelques feuilles, pour enfin faire le lien entre scientifiques et politiques.
Calendrier du cinquième rapport du GIEC
Septembre 2013 : parution du Volume I - Les éléments scientifiques. Mars 2014 : Volume II - Conséquences, vulnérabilité et adaptation au changement climatique. Avril 2014 : Volume III - Les mesures d’atténuation. Octobre 2014 : Rapport de synthèse.