tiré de Libération du 30 août 2017
Comme une ritournelle, la question revient à l’esprit à chaque catastrophe naturelle : le changement climatique, exacerbé par l’activité humaine, y est-il pour quelque chose ? Alors que le Texas et la Louisiane sont dévastés par l’ouragan Harvey, que Bombay (en Inde) est sous les eaux après une mousson particulièrement meurtrière et que Freetown (Sierra Leone) enterre toujours ses morts après d’énormes coulées de boue, cette interrogation prend tout son sens. « Nous vivons dans un monde où les humains ont altéré le système climatique, explique à Libération Andrew Dessler, climatologue à l’université Texas A&M. Nous devons maintenant envisager ce changement comme un possible facteur dans chaque événement catastrophique. »
La spécialiste de l’évolution du climat dans les régions tropicales Françoise Vimeux, de l’Institut de recherche pour le développement, explique pour sa part qu’« en l’état actuel de la science, on ne peut pas attribuer un événement ponctuel au changement climatique. Mais ce qu’on a vu ces derniers jours est une image réaliste des effets du réchauffement tels que les modèles les prévoient pour la planète. » Ainsi, un ouragan comme Harvey aurait pu se produire sans l’influence de ces bouleversements anthropiques, mais il aurait sûrement été moins puissant. « Un cyclone est comme un énorme nuage orageux qui se nourrit de la chaleur des océans grâce à l’évaporation de l’eau de surface pour se renforcer, explique la chercheuse. Quand il arrive sur les terres, il n’a plus cette possibilité de s’alimenter, il diminue donc en puissance et passe de l’état de cyclone à celui de tempête tropicale. » Seulement, comme le changement du climat planétaire augmente les températures à la surface des océans, il y a plus de chaleur disponible pour attiser les ouragans. Harvey a ainsi vu son intensité doubler en l’espace de trente-huit heures au-dessus du golfe du Mexique, dans des zones où les températures sont actuellement entre 1,5° C et 4° C supérieures à la moyenne (par rapport aux années 1961-1990), selon la plateforme scientifique Climate Signals.
« Des cyclones Plus destructeurs »
« Les modèles montrent qu’avec le changement climatique, on observera plus d’ouragans de catégorie 4 ou 5 [sur une échelle de 5, ndlr] d’ici la fin du siècle, souligne Suzana Camargo, chercheuse spécialisée sur le climat et les océans à l’Observatoire Lamont de l’université Columbia (New York). Ils seront plus intenses en précipitations comme en vents, donc plus destructeurs. Même si, en moyenne, il y aura sûrement moins de cyclones. »
Un autre facteur produit par le changement climatique rend les tempêtes plus dévastatrices : la montée du niveau des océans. Selon un rapport transmis début août à l’administration Trump, on pourrait s’attendre, en moyenne, à une hausse de 10 centimètres entre 2000 et 2020, et de 1 mètre d’ici 2100. « C’est le phénomène le plus documenté concernant l’impact du changement climatique sur les ouragans, décrit Suzana Camargo. A leurs périphéries, les tempêtes tropicales poussent l’eau des océans vers l’extérieur. Quand ils arrivent vers les terres, cela produit d’énormes vagues. C’est ce qu’on appelle la storm surge », la rafale de tempête. Ce sont ces grosses quantités d’eau de mer transportées par l’ouragan Sandy qui ont provoqué une grande partie des inondations à New York et dans le New Jersey en 2012. « Avec la montée du niveau des océans dû au changement climatique, les cyclones transportent une plus large quantité d’eau, ajoute-t-elle. L’arrivée sur la terre fait donc plus de ravages. »
Le réchauffement planétaire pourrait aussi avoir un effet aggravant sur les moussons. « Ces épisodes météorologiques sont dus à d’énormes nuages d’orage gorgés d’eau, explique Françoise Vimeux. Dans un climat plus chaud, l’air se charge de plus d’humidité. Quand cette vapeur se refroidit, se condense, puis retombe sur terre, il y a mécaniquement plus de précipitations. » En Inde, au Bangladesh et au Népal, la mousson, cette année, serait l’une des plus violentes et meurtrières depuis 2005, quand Bombay avait été dévasté par des inondations faisant un millier de morts. Aujourd’hui, la capitale économique indienne, abritant 20 millions d’habitants, est partiellement paralysée. « Comme Houston, Bombay, qui a été construite à partir d’un regroupement de plusieurs îles, est très vulnérable aux inondations », détaille Suzana Camargo.
Manque d’adaptation
D’après les autorités locales, au moins 1 200 personnes sont mortes dans les inondations et coulées de boue depuis le mois de juin dans ces trois pays. Les Nations unies ont annoncé apporter de l’aide à 41 millions de personnes dans la région. Au Bangladesh, près de 600 500 hectares de plantations ont été endommagés par les pluies et plus de 10 500 hectares ont été entièrement balayés par les eaux, selon le gouvernement. Un coup dur pour ce pays largement dépendant du secteur agricole. En avril déjà, environ 1 million de tonnes de riz avait été perdu dans des inondations éclairs. Sous l’influence du changement climatique, ces épisodes cataclysmiques deviendront plus intenses, avec des différences d’une région à l’autre. « En Afrique, par exemple, nous avons des difficultés à identifier comment les moussons vont évoluer localement, poursuit Françoise Vimeux. C’est donc plus compliqué de s’adapter aux risques climatiques pour ces pays, dont beaucoup n’ont déjà pas les moyens pour financer une telle prévention. »
Au Texas, le manque d’adaptation de Houston a été critiqué dès les premières heures. Ici, ce n’est pas une question de financements. La métropole texane, avec ses activités économiques, a produit près de 3 % du PIB des Etats-Unis en 2015. « Aucune ville ne peut éviter tous les dégâts causés par 1,50 m de pluie, tombés en quelques jours, reconnaît Andrew Dessler. Mais les autorités de Houston auraient eu les moyens de réduire les dommages. Dans la ville, il n’y a pas de loi limitant l’emplacement des constructions. C’est une métropole plate, construite sur une plaine inondable, où les eaux s’évacuent mal. Malgré les inondations à répétition, les autorités locales ont tendance à donner la priorité au profit à court terme à la sécurité de la population sur le long terme. »
Le climatologue texan regrette que les autorités de cet Etat pétrolier, qui subit déjà les conséquences de l’élévation du niveau des océans (comme des épisodes de précipitations extrêmes) restent parmi les plus climatosceptiques du pays. « La science climatique ne leur dit pas ce qu’ils ont envie d’entendre donc ils préfèrent l’ignorer », ajoute le chercheur. Depuis plusieurs jours, la Maison Blanche, largement noyautée par l’industrie des énergies fossiles, se trouve pointée du doigt. De quoi faire regretter à Trump sa décision de sortir le pays de l’accord de Paris sur le climat.
Nouveaux records climatiques : faudra-t-il attendre l’effondrement pour réagir ?
21 mars 2017 - Maxime Combes | Blog : Sortons de l’âge des fossiles !
L’année 2016 est la plus chaude jamais enregistrée : la hausse du mercure atteint 1,1°C en moyenne, s’accompagnant de records en matière de concentration de C02 dans l’atmosphère, d’élévation du niveau des mers et de perte de surfaces de banquises. Les records et les anomalies s’empilent, mais c’est l’inertie et la passivité qui gagnent les décideurs politiques et économiques. Jusqu’à quand ?
Dans un monde soucieux de son avenir, les données publiées par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) ce mercredi 21 mars devraient replacer la lutte contre les dérèglements climatiques au coeur des priorités et du débat public. Compilant les résultats de plusieurs organismes de recherche, l’OMM confirme ce que tous les spécialistes redoutaient : l’année 2016 est bien l’année de tous les records. Des records qu’il ne faudrait pourtant plus chercher à battre tant ils transcrivent une profonde déstabilisation du système climatique mondial.
1. Température mondiale en hausse
La température moyenne de la planète a été supérieure de 1,1 °C à la moyenne de l’époque préindustrielle. Le record de 2015 (1,04 °C) est déjà oublié. On ne compte plus les villes ou les régions d’Afrique ou d’Asie ayant relevé des températures supérieures à 50°C, tandis qu’en moyenne, on a pu mesurer des hausses de température supérieures à 3°C dans certaines régions du monde, jusqu’à + 6,5°C dans certaines régions arctiques.
2. Hausse du CO2 dans l’atmosphère
La concentration de CO2 dans l’atmosphère ne cesse de s’accroître. Pour la première fois, la barre symbolique des 400 ppm en moyenne annuelle a été franchie. Principal vecteur de l’effet de serre à l’origine du réchauffement climatique, cette concentration ne devrait cesser de s’accroître à l’avenir puisque, selon les propres calculs de l’ONU basés sur les engagements pris par les Etats de la planète, un record d’émissions mondiales pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 55 gigatonnes d’équivalent C02 en 2025 et 56,2 Gt éq. CO2 en 2030 (voir ici par exemple).
3. Baisse de la superficie des banquises
C’est sans doute le record qui surprend le plus les scientifiques : l’ampleur du recul des banquises. En novembre 2016, ce ne sont pas moins de 4 millions de km2 de banquises qui avaient disparu de la planète, une anomalie sans précédent. A plusieurs reprises cet hiver, de puissants afflux d’air chaud et humide, empêchant la formation des glaces, ont été observés en Arctique. Contrairement aux années passées, le niveau des glaces a également été moins important en Antarctique. Les scientifiques considèrent que ces faits sans précédent pourraient modifier profondément les flux océaniques et atmosphériques, affectant en retour les conditions météorologiques de nombreuses autres régions de la planète, notamment via des modifications du jet-stream.
4. Hausse du niveau des mers
La fonte des glaces et la dilatation d’océans rendus plus chauds entrainent mécaniquement une hausse des niveaux des mers. Là aussi, l’OMM constate une accélération : entre novembre 2014 et février 2016, le niveau des mers aurait augmenté de 1,5 centimètres en moyenne, soit une hausse équivalent à ce qui était observé, ces dernières années, chaque cins ans. Si ces données sont confirmées - les moyennes pour la fin de l’année 2016 ne sont pas encore disponibles - nul doute qu’il faudra en tenir compte pour les différents scenari d’adaptation pour les régions du monde qui seront touchées par la montée du niveau des mers, celles-là mêmes qui concentrent une grande part de la population mondiale.
5. Des impacts qui se conjuguent au présent
S’il est toujours difficile et malaisé de tirer un lien de causalité directe entre des observations sur l’évolution du climat qui, nécessairement, doivent s’établir en longue période, et des évènements météorologiques particuliers, qui sont, nécessairement là aussi, situés à un instant précis, l’OMM n’hésite pas à insister sur les vagues de chaleur incroyables obsevées en diverses régions du monde, ou sur les sécheresses sévères qui ont touché certaines régions africaines, établissant un lien avec les plus de 18 millions de personnes qui ont besoin de l’assistance alimentaire mondiale selon la FAO.
6. Faut-il attendre que tout s’effondre pour réagir ?
Comment se fait-il que l’accumulation de travaux et de savoirs scientifiques robustes sur le changement climatique ne génère pas la mise en œuvre des décisions nécessaires pour conjurer la crise climatique, et ce alors que les prévisions se sont confirmées au cours du temps ? Celles et ceux qui répondront en disant que l’Accord de Paris sur le climat nous avait mis sur la bonne voix mais que l’élection de Trump chamboule la situation devrait s’interroger sur le fait que les investissements dans les énergies renouvelables ont diminué, EN FRANCE, à la fois en 2015 et 2016 malgré les effets de manche de François Hollande, Ségolène Royal et tant d’autres.
Si les savoirs scientifiques accumulés sur le changement climatique sont largement ignorés, ce n’est pas par manque de données et de preuves. C’est en raison de puissants éléments perturbateurs qui ont des implications fortes sur les motivations de l’action politique. Dans un petit ouvrage que chacun.e devrait lire, Naomi Oreskes et Erik conway appelle « complexe de la combustion carbone » (p. 57) ce réseau d’industries et de lobbies qui financent les marchands de doute et appuient un puissant système idéologique défendant le statu quo et le "fondamentalisme de marché". Cette « foi quasi-religieuse » (p. 58) en la capacité du marché de réguler l’économie et la société conduit à ce "qu’on ne planifie rien, on ne prend aucune précaution, et finalement on ne gère que le désastre"(p. 69).
Dans leur livre, Oreskes et Conway situent leur narrateur au XXIVe siècle, après « l’effondrement de la civilisation occidentale ». Après le désastre. Puissions-nous réagir avant. Ce n’est malheureusement pas le chemin qui est pris par les dirigeants politiques et économiques de la planète.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
Auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. Anthropocène. Octobre 2015
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