Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Burkina-Faso. De Sankara à Compaoré et la rivalité entre Daech et l’Aqmi

Plus que jamais le Burkina Faso, jusque-là un îlot de relative stabilité dans une région en proie depuis des lustres au terrorisme ; est à présent dans l’œil du cyclone ou plutôt dans l’œil Borgne, peut-on lire en Une de L’OBSERVATEUR PAALGA. L’œil du Borgne, comprenez Mokhtar Belmokhtar, « le barbare du désert », celui qu’on affuble aussi du sobriquet de « mister marlboro » pour ses trafics de cigarettes, régulièrement donné pour mort mais toujours ressuscité derrière les dunes de sable. La boucherie de Ouagadougou, comme l’écrit son confrère du journal LE PAYS, boucherie qui a fait au moins 28 morts et 50 blessés vendredi dernier dans la capitale a été, en effet, revendiquée depuis par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, dirigé par Mokhtar Belmokhtar et récemment rallié à AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique).

Tiré du site de À l’encontre.

A dire vrai, ce qui est arrivé ce week-end n’est pas particulièrement surprenant, reconnaît l’éditorialiste. Depuis le temps que ça craque de partout, on se doutait bien, dit-il, que le diable finirait par frapper la capitale. Depuis de longs mois, déjà, il frappait avec insistance à nos portes et comme toujours, la question était de savoir quand et où. Mais à présent que l’image d’un Burkina, longtemps présenté comme un îlot de paix, à l’abri de la furie djihadiste, n’est plus d’actualité, les deux grandes questions que l’on doit se poser aujourd’hui sont de savoir pourquoi le Burkina a-t-il été, à son tour, si durement frappé et pourquoi maintenant ?

A la première question, le journal de Ouagadougou répond en rappelant que le Burkina abrite sur son sol des dispositifs occidentaux, entrant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans l’espace sahélo-saharien. Les forces spéciales françaises, on le sait, sont stationnées sur le territoire burkinabè à partir duquel des opérations antiterroristes partent en direction des autres pays. Ce fut le cas, par exemple, de l’attaque du Radisson blu de Bamako [capitale du Mali ; cette attaque a fait 22 morts, alors qu’environ 170 otages avaient été bloqués dans l’hôtel] où des médias avaient eu l’imprudence, écrit le journal, de répandre l’information selon laquelle le commando français était parti du Burkina, pour aider les Maliens à mener l’assaut contre l’hôtel. Or cette révélation pourrait avoir contribué à remonter les djihadistes contre le pays des Hommes intègres [1]. De ce point de vue, on peut dire que les attaques de vendredi 15 janvier 2016 peuvent être perçues comme des représailles.

Et puis le deuxième élément de réponse que l’on peut avancer par rapport à la même question – pourquoi nous – est lié au fait que les Burkinabè ont pris la résolution, depuis la chute de Blaise Compaoré, d’arrimer leur pays à la démocratie électorale. Et cela est en passe d’être une réalité avec les élections que le pays vient de connaître en novembre 2015 [voir plus bas]. Or de toute évidence, les djihadistes ne peuvent pas faire bon ménage avec la démocratie, c’est-à-dire non seulement la tolérance, mais aussi par essence, la fin des certitudes, des vérités révélées et éternelles.

Et puis l’autre question qui se pose est de savoir pourquoi les jihadistes ont-ils décidé de s’attaquer au Burkina Faso, aujourd’hui ?

Il faut croire que les assaillants n’ont pas choisi leur période au hasard, précise à nouveau L’OBSERVATEUR PAALGA. Difficile de ne pas voir dans ces actes terroristes, les conséquences de la chute de Blaise Compaoré en octobre 2014. Le régime déchu, qui excellait dans la libération d’otages pris dans le septentrion malien avait, en effet, tissé des liens étroits sur fond de connexions mafieuses, avec les seigneurs du salafisme dans le Sahelistan : une sorte d’ accord de non-agression et de défense mutuelle », certes, problématique mais qui nous mettait à l’abri de leurs exactions. Ouagadougou était même devenue un peu leur arrière-cour où ils prenaient leurs quartiers. Ce n’est donc pas un hasard si le harcèlement djihadiste a commencé sous la « Transition » [le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré est exfiltré vers la Côte d’Ivoire, après la tentative du coup d’Etat de son fidèle bras droit Gilbert Diendéré, chef de la garde présidentielle, la RSP] ne pouvait naturellement pas poursuivre les liaisons dangereuses qu’entretenait le système Compaoré avec cette engeance.

[La RSP, armée dans l’armée, en fait la seule armée formée par les Français, devait être dissoute. Michel Kafando, chef d’Etat de la « transition », a subi un coup d’Etat, mais a pu survivre jusqu’au 29 décembre 2015, depuis le 21 novembre 2014. Lui a succédé, le 29 décembre 2015, Roch Marc Christian Kaboré, élu le 29 novembre 2015, ancien premier ministre de 1994 à 1996 sous la présidence de Compaoré.]

Même analyse pour son confrère LE PAYS. Le régime de Compaoré avait, pendant tout le temps où il était aux affaires, offert gîte et couvert à bien des terroristes, dit-il. Ces derniers roulaient même carrosse et se la coulaient douce dans les hôtels les plus huppés de la capitale. A cela, il faut encore ajouter le fait que les négociations, en vue de la libération des otages aux mains des terroristes, étaient devenues un véritable business qui faisait l’affaire de bien des barons de l’ancien régime et certains de ces terroristes.

En d’autres termes, la chute de leur tuteur, comprenez Blaise Compaoré en personne, ne pouvait signifier pour eux que la mort de la poule aux œufs d’or. D’où leur haine désormais affichée pour le pays et pour ses nouveaux dirigeants. De ce point de vue, on peut dire que le pays [le Burkina Faso] paie la rançon de la compromission du régime de Compaoré avec la galaxie djihadiste.

Enfin la fragilisation de l’Etat post-insurrection a fait le reste. Le pays ne s’est pas encore remis des flottements liés à la période de Transition, si fait que tous les rouages de l’Etat ne sont pas en état de fonctionner à plein régime. Or, un tel contexte augmente le taux de vulnérabilité du pays.

Enfin l’attaque de vendredi 15 janvier pose également la question de la rivalité entre Aqmi et Daech.

Mauvaise nouvelle pour l’Afrique, écrit le magazine SLATE. Les attentats de vendredi sont une preuve de la surenchère à laquelle se livrent les deux groupes. Depuis l’émergence de l’État islamique et ses actions spectaculaires, Al-Qaida était jugé en perte de vitesse et voyait son influence se réduire auprès des jeunes recrues. Une concurrence qui exacerbe la violence.

Cet attentat, renchérit, s’inscrit dans la rivalité entre AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) et l’EI (Etat islamique). Si le premier est implanté depuis des années en Afrique du nord, surtout au Mali, au Niger et en Algérie, le deuxième tente de s’y implanter. En Libye, l’EI a conquis ces derniers mois des territoires de plus en plus vastes sur la côte et est en passe de supplanter AQMI. Mais l’assaut à Ouagadougou montre que la capacité de nuisance de Mokhtar Belmokhtar n’est pas entamée. En frappant le Burkina Faso, AQMI porte un coup en dehors de sa zone d’action habituelle. En réalité, le domaine terroriste est hautement concurrentiel. Car évidemment, celui des groupes djihadistes qui prendra la main, s’assurera du même coup le ralliement d’autres factions qui voudront faire allégeance au plus puissant des deux. (18 janvier 2016)

[1] « Pays des Hommes intègres ». C’est le 4 août 1984, un an après le coup d’Etat qui avait porté le capitaine Thomas Sankara à la tête de la Haute-Volta – plus exactement à la présidence du Conseil national révolutionnaire – que cette dernière a été rebaptisée Burkina Faso. Il s’agissait non seulement de bannir une appellation héritée de la colonisation, mais aussi de trouver un nom susceptible de renforcer la cohésion nationale. C’est pourquoi celui-ci a été constitué d’emprunts à plusieurs langues. Burkina signifie « homme indépendant » ou « intègre » en mooré (parlé par les Mossis) alors que faso est la « maison du père », donc la patrie, en dioula. Pour désigner la nationalité des habitants du pays, on a fait appel à une troisième langue en ajoutant au radical burkina le suffixe bè, qui veut dire « les enfants de », en fulfulde (parlé par les Peuls). Un nouveau narratif a été développé pour qualifier les rivières, par exemple (les trois Voltas) et un chant national s’est inscrit dans ce nouveau baptême. Thomas Sankara sera assassiné, en octobre 1987, par celui considéré comme l’un de ses très proches : Blaise Compaoré… Le rôle des services français – ­ à l’époque de la cohabitation Chirac-Mitterrand – dans ce coup d’Etat a été à plusieurs reprises assez bien documenté. Mais, jamais l’enquête sur ce crime n’a été menée à son terme ! Un médecin militaire l’avait déclaré « décédé de mort naturelle » quelques jours après le 15 octobre.

(Rédaction A l’Encontre)

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