Austérité : l’échec
Le gouvernement fédéral a choisi de maintenir le cap sur le retour à l’équilibre budgétaire dès l’exercice 2015-2016, année durant laquelle il prévoit même dégager un surplus. Le ministre Flaherty aura donc cédé aux partisans de la ligne dure au sein du gouvernement en ne repoussant pas d’une année la résorption du déficit, un choix que même Alain Dubuc qualifiait hier dans le journal La Presse d’« assez idéologique ». En effet, outre les motifs électoraux, on saisit mal comment le gouvernement peut maintenir l’austérité en dépit des conséquences sur la croissance de l’économie – sa faiblesse aura cette année durement affecté les revenus de l’État – et malgré un contexte international dont l’incertitude devrait encourager à beaucoup plus de prudence.
Le déficit pour l’exercice 2013-2014 sera donc de 18,7 G$ (1% du PIB), plus important de 2G$ à ce qui était prévu à l’automne et plus de 8G$ en-deçà des prévisions du budget de 2012. Malgré ces ratés majeurs dans la résorption du déficit, le gouvernement croit pouvoir le réduire des deux tiers au terme du prochain exercice (2014-2015) afin qu’il atteigne 6,6 G$, en route vers l’équilibre budgétaire (et même un surplus) en 2015-2016. Cet optimisme est surprenant étant donné les effets de tant d’austérité sur la croissance. Selon les calculs de nos collègues du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA), les mesures d’austérité réduisent de 0,8% la croissance du PIB en 2013.
Rappelons d’ailleurs que la stratégie de réduction du déficit du gouvernement fédéral porte surtout sur des compressions de dépenses et néglige l’augmentation des revenus. Le budget nous offre d’ailleurs une synthèse des imposantes compressions des dernières années qui atteindront en 2017-2018 plus de 16 G$.
Au plan des comparatifs internationaux, cet acharnement à brusquer le retour au déficit zéro est encore plus dur à comprendre. Le « plan d’action économique » (surnom donné au budget à Ottawa) du gouvernement va jusqu’à affirmer que la situation budgétaire du « Canada suscite l’envie du reste du monde » (p. 310). Pourquoi dans ce contexte imposer une telle cure d’austérité à l’économie canadienne et ce, en dépit de l’échec d’une telle approche dans les dernières années et ce, partout en Occident ?
Transformation du financement de la formation à l’emploi
La mesure phare du budget, celle que le ministre des Finances place bien en vue au sommet de toutes les autres, est une mesure qui n’a à peu près aucun impact budgétaire à brève échéance. Selon Ottawa, la formation des travailleurs canadiens ne correspond pas aux demandes du marché de l’emploi, il faudrait donc ajuster la première enfin qu’elle corresponde à la seconde. Dans un contexte de restriction budgétaire, Ottawa prévoit le faire sans mettre un sou de plus… et peut-être même en économisant dans ce poste budgétaire.
L’opération est assez simple. Le gouvernement fédéral donne aux provinces un montant total de 500 M$ annuellement pour appuyer le retour à l’emploi. Les provinces utilisent ce montant pour financer leur programme d’aide à la recherche d’emploi : on paie des fonctionnaires pour offrir des conseils et donner des outils à ceux et celles qui se cherchent des emplois. On paie également des formations qui semblent correspondre au profil des employés. Au Québec, Emploi-Québec semble bien faire son travail à ce chapitre dans les dernières années et certains prétendent même que le chômage aurait diminué à cause des pratiques de l’organisme.
Le gouvernement fédéral annonce maintenant que 60% de cette somme (300 M$) servira désormais à financer la subvention canadienne pour l’emploi. Cette subvention servira à payer des formations d’employés (et non des fonctionnaires) et elle sera versée uniquement si les entreprises et les gouvernements provinciaux participent à même hauteur que le fédéral.
L’exemple répété à maintes reprises dans les documents budgétaires est le suivant : le gouvernement fédéral donne 5000$ au provincial pour former un travailleur spécifique, le provincial doit alors verser lui aussi 5000$ et l’employeur doit faire à son tour la même chose. Lorsque toutes ces conditions sont remplies, le travailleur peut bénéficier d’une formation d’une valeur de 15 000$. Le 40% restant (200 M$) continuera d’être utilisé pour les programmes d’appui à la recherche d’emploi existant. Le 500 M$ reste donc le même, mais il doit être utilisé autrement. Un peu d’argent supplémentaire vient s’y ajouter (soit 60 M$ pour favoriser l’emploi chez les jeunes, les personnes handicapées, les autochtones et les nouveaux arrivants, des montants somme toute marginaux lorsque distribués à la grandeur du Canada – ce montant sera porté à 71M$ en 2014-2015).
Cette mesure, qui peut sembler intéressante à première vue, soulève plusieurs questions importantes.
D’abord, l’argent sera-t-il investi au complet ? Les conditions à remplir sont importantes : il faut que la province et l’employeur emboitent le pas avec des sommes équivalentes. Que se passe-t-il si cette condition n’est pas remplie, ou qu’elle ne l’est pas assez souvent pour utiliser tout le montant rendu disponible présentement par le gouvernement fédéral ?
Comme le gouvernement québécois est, lui aussi, en lutte (précipitée) au déficit, l’idée de devoir mettre le même montant qu’Ottawa pour l’obtenir pourrait grandement le refroidir. Avons-nous plus d’argent pour la formation de la main-d’œuvre à la fin de tout ça ? Ce n’est pas sûr. Bien sûr, les gouvernements provinciaux pourraient simplement décider de réaffecter des sommes qu’ils investissent déjà dans la formation directe pour se plier aux normes du fédéral, mais alors qu’elle aura été l’utilité de la mesure ?
Deuxième question, à quoi servira cet argent ? Imaginons une situation où l’entreprise dit : « je veux embaucher cet employé, mais il n’a pas les compétences requises. Cependant, j’ai dans mon entreprise des gens qui peuvent le former », pourrait-elle recevoir 10 000$ du provincial et du fédéral et investir un équivalent de 5 000$ en salaire d’un employé déjà embauché et de facto désigné pour offrir une formation ? Réponse au ministère des Finances : probablement. La subvention canadienne pour l’emploi est alors un moyen de transformer un montant qui allait aux gouvernements provinciaux pour former des travailleurs et travailleuses en subvention directe aux entreprises, en forçant la main, au passage, aux gouvernements provinciaux pour qu’ils fassent de même.
La fin du crédit d’impôt fédéral aux fonds de travailleurs
Le gouvernement fédéral décide de retirer son crédit d’impôt pour les sociétés à capital de risque de travailleurs. Selon le budget, « cette élimination graduelle du crédit d’impôt correspond à l’augmentation des placements en capital de risque découlant de la mise en œuvre du Plan d’action pour le capital de risque de 400 millions de dollars » (p.230). Donc on élimine un crédit d’impôt pour les fonds de travailleurs pour financer la stratégie de capital de risque, déjà annoncée l’an dernier.
Bien que des données ventilées par province de l’utilisation de ce crédit ne soient pas disponibles, les plus gros joueurs dans ce secteur sont au Québec de l’aveu même du ministère. Comme on le sait, ces fonds de travailleurs ont des politiques d’investissements qui favorisent tout particulièrement les entreprises locales.
Par quoi les remplace-t-on ? Par une stratégie de capitaux de risque qui investit dans des « fonds de fonds » entièrement gérés par le secteur privé. Est-ce qu’une part de ces investissements sera réalisée au Canada ? Le budget ne mentionne rien d’explicite. L’important à retenir c’est qu’il s’agit d’une stratégie financière et non d’une stratégie de développement économique. Les gens du ministère étaient à ce sujet très clairs : l’objectif c’est le rendement, qu’il vienne d’ici ou d’ailleurs.
Plan d’infrastructures pour… moins d’infrastructures
Le plan « Chantiers Canada » apparait d’abord comme l’une des autres pièces maitresses de ce huitième budget Flaherty. Certains s’attendaient justement à ce que le gouvernement relance les investissements en infrastructures. Comme il se produit souvent lors de présentations budgétaires, les sommes annoncées, dans ce cas-ci 53 G$, s’avèrent en fait, une fois dégonflées, être une réduction d’un milliard par année !
La majeure partie de cette somme correspond à des investissements déjà annoncés. Le seul véritable nouveau fonds, le « Nouveau Fonds Chantiers Canada », comprend un cumulatif de 14 G$ d’investissements qui s’effectueront majoritairement après… 2020. Ce qui est immédiatement appliqué, une dépense annuelle de 210 M$, remplace un fonds qui en prévoyait auparavant 1 250M$ chaque année. Au final, on annonce donc une réduction des investissements en infrastructures, sauf si les Canadiens réélisent le gouvernement Harper en 2015 et en 2019…