Édition du 17 décembre 2024

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Brésil : la vague de pression peut exploser

Loin d’être une image apocalyptique avancée par un militant radical, cette réflexion a été faite par le ministre du Secrétariat Général de la Présidence, Gilberto Carvalho à l’issue d’une rencontre avec des mouvements sociaux à Rio de Janeiro le 29 mai dernier. Après avoir été interpellé et hué par des militants opposés à la Coupe du Monde, le ministre a déclaré accepter qu’une « partie de la société » pense ainsi, mais qu’il ne s’agit que d’« une petite avant-garde ». Tout en ajoutant que les critiques sont une « vague de pression qui explose » (« O Estado de São Paulo », 29/4/14).

http://www.jornada.unam.mx/archivo_opinion/autor/front/16/41018

Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Il y a au gouvernement une certaine inquiétude quant à ce qui peut arriver pendant le Mondial. Le niveau de rejet de cette rencontre sportive augmente de manière soutenue. Selon l’entreprise d’opinion publique Datafolha, la Coupe du Monde avait le soutien de 79% des Brésiliens en 2008, chiffre qui est tombé à 48% en avril dernier (datafolha.folha.uol.com.br, 8/4/14). La majorité de la population affirme qu’elle ne souhaite pas que le Brésil postule à nouveau pour accueillir la Coupe du Monde.

Les raisons sont nombreuses : le gaspillage de deniers publics dans les chantiers des stades - qui bénéficient à une poignée de grandes entreprises de la construction alors que les moyens pour la santé, l’éducation et le transport se réduisent - ; l’expulsion de milliers de personnes de leurs quartiers afin d’agrandir des aéroports, des autoroutes et des stades ; et la législation imposée par la FIFA, qui empêche la vente ambulante aux abords des stades, et un ensemble de dispositions ressenties comme des affronts par une bonne partie de la population.

Mais l’élément central est la rébellion qui se propage à partir des favelas, surtout à Rio et à São Paulo. Au cours de ces derniers mois, l’activisme dans les favelas a parallèlement augmenté avec celle de la violence policière et il déborde régulièrement dans les rues. On a pu observer, au cours de l’année écoulée, trois moments clés de cet activisme croissant.

Le premier a eu lieu il y a un an, dans la conjoncture créée par les manifestations de juin. Malgré une répression brutale (balles en caoutchouc dans les rues et balles en plomb dans les favelas), les mobilisations des « favelados » ont commencé à croître. En juillet, elle se sont multipliées à la suite de la disparition du maçon Amarildo de Souza dans les locaux de l’Unité de Police Pacificatrice (UPP) de la favela Rocinha. Ce drame est devenu un symbole des tortures et des assassinats de la part de la police militaire.

En décembre et janvier, ce furent les « rolezinhos » ; la sortie massive des jeunes des favelas pour se divertir, danser du « funk » et chanter dans les grands centres commerciaux. Ce phénomène s’est surtout produit à São Paulo et a rassemblé jusqu’à 6.000 adolescents qui ont été reçus avec des insultes par les clients et les employés et par des coups de matraque par la police et les gardes privés des centres commerciaux. Au Brésil, la musique funk est considérée comme un genre apparenté au narcotrafic et est souvent persécutée pour cela.

Le troisième moment se passe actuellement. Le 16 mars dernier, Claudia da Silva Ferreira a été blessée par la police militaire au cours d’une opération dans la favela Morro da Congonha, à Rio. Son corps a été placé dans le coffre arrière d’une voiture de patrouille pour l’emmener à l’hôpital, mais en cours de route, le coffre s’est ouvert et elle a été traîné sur 300 mètres, ce qui l’a tué. Un enregistrement vidéo de la scène a été diffusé par les réseaux sociaux, ce qui a provoqué une vague d’indignation.

Le 22 avril, le corps sans vie du danseur de la TV Globo Douglas Rafael da Silva a été retrouvé dans une garderie de la favela Pavao Pavaocinho, où il avait été rendre visite à sa fille de quatre ans. Comme bien d’autres, il a été confondu avec un narcotrafiquant et tué par la police. Quelques jours plus tard, des centaines de manifestants ont occupé l’avenue Notre-Dame de Copacabana, proche de la favela, aux cris de « Police, assassine ! ». Dans la répression qui a suivi, un enfant de 12 ans a été tué par la police. Comme toujours, la police a menti et c’est la population qui a apporté les preuves qui l’inculpent. Ce qui est nouveau, c’est la capacité d’exprimer cette rage dans l’une des principales avenues de l’un des quartiers les plus huppés de Rio de Janeiro.

Trois éléments de fond sont à la base de cette croissante mobilisation des pauvres urbains. Premièrement, les politiques sociales sont en train de montrer leurs limites. Au cours des premiers mandats de Lula (2003-2011), les transferts de moyens et les successives augmentations du salaire minimum sont parvenus à améliorer de manière substantielle les revenus des plus pauvres. Mais les années passant, ceux-ci s’affrontent à d’autres problèmes : la mauvaise qualité des services, surtout dans la santé et l’éducation, et les faibles possibilités d’accéder à de meilleurs emplois.

En second lieu, les politiques de contrôle social, complémentaires aux politiques sociales, ont échoué. Les UPP, installées dans 38 des 700 favelas de Rio, ne résolvent pas le problème du narcotrafic alors qu’elles empirent la vie de la population. Le sociologue José Claudio Alves soutient que les UPP « sont une force d’occupation et non une force de changement de la logique politique, économique, sociale et culturelle des communautés » (IHU Online, 14/4/14).

D’une part, elles empêchent les manifestations culturelles des favelas associées au funk. De l’autre, elles affectent les profits du narcotrafic mais non le trafic en lui-même. Elles n’altèrent pas « l’essence du crime organisé, seulement sa manière de fonctionner », dit Alves. Pour désarticuler les bandes criminelles, il faudrait s’attaquer à l’appareil d’Etat lui-même, comme la police, car c’est lui qui les alimente.

En troisième lieu, les « favelados » ont de moins en moins peur. Avant d’occuper les avenues en criant « assassins » à la face des policiers, ils avaient essayé pendant longtemps de mener la rébellion dans leurs propres espaces. Mais il y a derrière tout cela des siècles d’affronts accumulés. Et les chantiers de la Coupe du Monde sont une insulte supplémentaire. Dans la favela Morro da Providencia (collée à la baie de Guanabara et au port), l’unique place a été occupée par une énorme tour du téléphérique qui permet aux touristes de photographier les pauvres en toute sécurité...

On sait ce qui se passe lorsque ceux d’en bas n’ont plus peur. A un certain moment, les masses vont occuper les larges avenues. Il est possible qu’elles profitent du mécontentement suscité par la Coupe du Monde. Ce n’est qu’une question de temps.

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