Mais il n’a pas fallu longtemps pour voir la véritable raison qui se camoufle derrière cette opération. Même le nom de l’opération, « Bouclier de l’Euphrate », dit ouvertement l’intention du gouvernement turc dans cette opération militaire. Dès le premier jour de l’opération, tant les autorités turques que celles des États-Unis ont ouvertement appelé les unités de protection du peuple kurde, l’YPG, branche armée du PYD, l’organisation des kurdes en Syrie, à se déplacer à l’est de l’Euphrate.
Alors qu’il n’y a aucun compte rendu officiel sur des affrontements avec Daesh censé être pourtant la cible principale de cette opération militaire, le compte twitter de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » permet d’accéder à de nombreux reportages et photos qui montrent les combats que l’armée turque et l’ASL mènent... contre les unités de protection du peuple kurde, l’YPG et la coalition des forces démocratiques syriennes du FDS. Dans les faits, les seuls visés par cette opération militaire sont bien les forces de protection du peuple kurde, l’YPG.
Une transition avec Assad
Le nouveau Premier ministre de la Turquie a également commencé à parler d’une transition en Syrie avec Assad, ce qui est un grand changement dans la politique du gouvernement de l’AKP vis-à-vis de la Syrie. Il parle aussi maintenant de la protection de l’intégrité territoriale de la Syrie, ce qui signifie clairement que la Turquie ne veut pas d’un contrôle kurde dans le nord de la Syrie, ce qui entraînerait un corridor contrôlé par les forces kurdes dans le sud de la Turquie.
Envisager une transition avec Assad est aussi un changement important dans la politique du gouvernement turc. Il est donc prévisible que la Turquie voudra obtenir en échange de ce changement de politique quelque chose de la part de l’Iran et de la Russie. Et des négociations vont certainement s’engager, passant par-dessus la vie des populations de Syrie. Voici la raison du silence de la Russie devant cette opération militaire. Même le régime syrien n’a fait que des déclarations très modérées contre l’intervention militaire de la Turquie. Et la Russie vient de déclarer que le gouvernement turc devrait coordonner ses efforts avec le gouvernement syrien. C’est un changement d’autant plus significatif que jusqu’à présent les forces aériennes turques n’étaient pas autorisées à survoler le territoire syrien, en particulier depuis la destruction de l’avion russe par l’armée turque en novembre 2015. Mais depuis, un accord semble donc avoir été trouvé entre la Russie et la Turquie.
Vers une présence militaire turque permanente
À moyen et long terme, même si toutes les intentions de la Turquie ne sont pas connues, il est clair que toute cette opération a été coordonnée avec la Russie et les États-Unis. Le but principal de la Turquie est d’établir une forme de contrôle dans cette zone géographique afin d’éviter sur ces mêmes territoires un contrôle des forces kurdes et de la coalition des forces démocratiques syriennes. À moyen terme, il s’agit donc de mettre en place une présence militaire permanente s’appuyant si nécessaire sur l’ASL. Pour les États-Unis, c’est pour le moment un jeu difficile car ils essaient de maintenir un équilibre entre deux de leurs alliés dans la région : la Turquie et l’YPG.
Alors que ces événements se déroulent, il n’y a malheureusement pas en Turquie de voix forte pour la paix ou contre cette intervention militaire. Après la tentative ratée de coup d’État, l’AKP a réussi à construire un « consensus national » avec presque tous les partis du Parlement (sauf le HDP) afin de « lutter contre le terrorisme ». Ce dangereux consensus s’est étendu au soutien à l’opération militaire en Syrie que le gouvernement turc peut mener sans rencontrer d’opposition.
Alors que la gauche en Turquie est politiquement paralysée depuis de nombreuses années, il n’y a donc presque aucune voix efficace contre l’intervention militaire. Les tensions entre la Turquie alliée à l’ASL et les forces kurdes du YPG vont augmenter et auront des conséquences certaines pour les Kurdes en Turquie. Cela rend encore plus urgent la nécessité de construire un mouvement indépendant pour la paix en Turquie.
D’Istanbul, Eyup Ozer
* « Sans contestation, Erdogan s’en va-t-en guerre ». Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 348 (30/08/2016) :
https://npa2009.org/actualite/international/turquie-sans-contestation-erdogan-sen-va-t-en-guerre
* Traduit par Jean-Claude Vessillier.