Accomplir quelque chose, c’est-à-dire traduire les engagements pris à Paris (en l’occurrence maintenir le réchauffement global le plus en-deçà des 2° C, et tendre vers 1,5° C) et passer enfin des paroles aux actes. Voilà plus de 20 ans, désormais, que la communauté internationale négocie un accord « universel » portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Durant cette période, ces mêmes émissions ont augmenté de plus de 60 %, soit la plus forte hausse de l’histoire : le devenir des mots, même lorsqu’ils ont le statut d’un accord international, ne dépend que de ce que nous en faisons.
Les trois piliers de la désobéissance climatique
Accomplir quelque chose, pour le mouvement pour la justice climatique, c’est donc admettre qu’il est temps d’opérer un basculement stratégique important, vers la « désobéissance climatique » : la désobéissance civile appliquée au climat.
Ce tournant vers la désobéissance climatique repose sur trois piliers que sont les résistances (le blocage), la non-coopération (le désinvestissement et les diverses formes de boycott de l’industrie fossile) et la construction (les alternatives).
Cette « désobéissance climatique » est plus légitime après Paris qu’elle ne l’était avant Paris. Nous ne nous mobilisons désormais plus en nous appuyant uniquement sur les rapports du GIEC ou de l’Agence internationale de l’énergie ou sur ce que nous savons des causes et des conséquences du réchauffement climatique. Nous le faisons désormais parce que nous prenons les déclarations politiques et les objectifs de réchauffement maximum fixés par l’accord de Paris au sérieux et nous sommes déterminés à faire en sorte que son objectif clef (maintenir le réchauffement sous la barre des 1,5 °C) soit tenu. Or, cet objectif a des conséquences claires : le gel de tout projet d’infrastructure fossile – qu’il s’agisse de l’extraction ou de la consommation.
L’objectif fixé par l’accord de Paris nous permet de ne pas en rester à « l’état d’urgence climatique » : nous pouvons désormais revendiquer un « état de nécessité climatique ». Ce glissement est loin d’être anodin. La notion d’état de nécessité permet en effet à un juge de faire la distinction entre le mobile (bien que frauduleux) et l’acte : entre deux impératifs contradictoires inscrits dans la loi, la justice reconnaît ainsi qu’il est légitime (donc acceptable y compris au regard de la loi) de choisir l’infraction la plus faible.
Résister, refuser de coopérer, construire des alternatives
Pour résister, l’enjeu est de tracer les lignes rouges partout où se joue la destruction du climat et de bloquer, temporairement dans un premier temps, tous les projets climaticides. Mais la résistance se joue aussi ailleurs : les collectivités locales peuvent refuser l’exploitation des gaz de schiste sur leur territoire, les États peuvent s’opposer aux traités de type TAFTA et TPP.
Refuser de coopérer c’est dire que la destruction du climat ne peut plus se faire en notre nom et avec notre argent. Nous devons récupérer notre capacité de peser sur les grandes décisions, en affirmant clairement que nous refusons que notre argent (privé comme public) serve à financer la destruction du climat et qu’il soit réorienté vers la transition. 2016 doit donc nous permettre d’engranger des succès plus grands encore sur le front du désinvestissement et des différentes formes de boycott du monde des énergies fossiles.
Des villes en transition à la relocalisation de l’activité économique, en passant par la permaculture ou l’habitat léger, les initiatives préfigurant une société juste et durable ne manquent pas et les formes de mise en réseau sont nombreuses. L’enjeu est de mieux ancrer ces pratiques dans le mouvement pour la justice climatique, donc de les lier aux dynamiques de résistance et de non-coopération.
Vers la construction d’un mouvement de mobilisations
Il ne s’agit bien évidemment pas de construire une organisation qui fasse les trois à la fois, mais plutôt de construire un mouvement qui mette en relation des collectifs et des organisations qui agissent selon l’une ou l’autre de ces modalités et qui permette d’élaborer des stratégies les articulant au mieux. Pour cela, nous n’avons pas tant besoin de construire un « mouvement de mouvements » (sur le modèle altermondialiste) qu’un « mouvement de mobilisations » qui combine des campagnes, des journées d’action et des résistances et luttes locales, avec des moments internationaux de rassemblement et de construction.
L’enjeu premier est de parvenir à articuler les trois piliers du mouvement pour la justice climatique à des échelles qui aient du sens et nous permettent de peser réellement sur le cours des choses pour bloquer les projets climaticides – en agissant à la fois sur nos modes de consommation et sur les structures qui fondent le capitalisme fossile.
Le mouvement pour la justice climatique a donc devant lui le défi de parvenir à créer des formes ‘translocales’ de solidarité et de luttes : il ne s’agit pas, comme dans le cas de l’altermondialisme, de faire de l’échelle transnationale le lieu privilégié de mobilisation et d’élaboration stratégique, mais de partir de l’expérience des territoires en luttes et des alternatives concrètes pour construire la transition vers des sociétés justes et durables. A cet égard, la mobilisation Break Free de ce mois de mai, qui vise à construire une journée mondiale d’action, à partir de luttes locales visant à bloquer des projets climaticides, constitue une étape importante.