Ce grand rassemblement citoyen fut en effet une première. Jamais n’avait-on vu une rencontre où les divers mouvements sociaux pouvaient échanger aussi librement, jamais n’avait-on vu une telle convergence tant au niveau des analyses tirées, des témoignages apportés sur la nécessité d’une résistance commune, sur la détermination de s’attaquer aux politiques d’austérité du gouvernement Couillard et d’en finir avec de telles politiques.
Un moment d’analyse et de réflexion
Philippe Hurteau de l’IRIS nous a montré comment le gouvernement Couillard avec ses politiques d’austérité, comme l’illustre ses offres aux travailleurs et travailleuses du secteur public, joue un rôle dans la régression salariale non seulement des employéEs du secteur public, mais également des travailleurs et des travailleuses du secteur privé. Quand le gouvernement Couillard offre une augmentation de 3 % sur cinq ans, dont trois ans de gel salarial, il envoie un message très clair au patronat que ce dernier reçoit dix sur dix. L’heure est à la régression salariale. La politique gouvernementale sur les retraites des employéEs municipaux est aussi un message au patronat. Ce message, c’est le caractère tout à fait acceptable d’ouvrir les contrats et de remettre en question les conventions collectives dûment signées. Bref, par ses politiques d’austérité, le gouvernement Couillard mène une stratégie de développement des inégalités et de défense des intérêts du 1%. Les élites économiques, elles, se portent bien. Leur part des richesses sociales augmente constamment.
Une animation qui désigne à qui profite les politiques néolibérales.
La réalité de la concentration de la richesse dans les mains du 1% a été largement illustrée par des statistiques précises qui démontraient de façon graphique la réalité des inégalités de revenus et la responsabilité des élites économiques dont la cupidité sans frein les conduit à accaparer une partie de plus en plus importante de la richesse sociale. Le patronat sent, aujourd’hui, le besoin de lancer une vaste campagne pour se présenter comme le porteur de la prospérité de l’ensemble de la société. Cette campagne vise essentiellement à bloquer le dévoilement de son rôle de profiteur des politiques actuelles du gouvernement Couillard.
Des témoignages percutants démontrant que l’austérité fait mal
Une série de témoignages ont démontré que les politiques d’austérité, contrairement aux affirmations des ministres du gouvernement libéral, s’attaquent aux services et détériorent les conditions de vie et de travail de la majorité populaire. Les personnes assistées sociales qui n’ont pas un revenu pour s’assurer une vie décente voient leurs maigres revenus encore coupés par le ministre de la Solidarité sociale(sic). Les étudiantEs doivent s’endetter, car les frais de scolarité continuent à monter au rythme de l’inflation et voient se multiplier les coupures qui s’attaquent aux universités et aux collèges. Des travailleuses de la santé ont expliqué que les coupures dans la santé se traduisent par un alourdissement de leurs tâches. Pour elles, l’austérité, ce sont des politiques qui les épuisent et les rendent malades. Pour les gens des régions, l’austérité, c’est la volonté du gouvernement de tout centraliser à Québec et de leur enlever le peu de pouvoir que les gens de ces régions avaient sur leur vie et sur leur économie. Quand le Conseil du patronat suggère aux personnes habitant dans les régions en difficultés de déménager dans les grands centres et d’abandonner ce qu’elles ont construit il a rajouté le mépris aux attaques. Les travailleurs et les travailleuses des municipalités étaient particulièrement outrés de l’arrogance du gouvernement qui a opéré un véritable hold-up sur leurs retraites. François Saillant a bien résumé le sens de bien des témoignages lorsqu’il a défini l’austérité comme la négation des droits : comme la violation du droit aux logements, violation du droit à un revenu décent, violation du droit à l’éducation, à la sécurité, à l’égalité.
Un retour sur les raisons de la colère et de l’indignation qui traversaient ces témoignages
Appelés à réagir à ces témoignages, les conférenciers Philippe Hurteau et Robert Laplante ont fait des rappels essentiels :
Il y a un véritable déficit au Québec, a souligné Robert Laplante, et ce n’est pas un déficit budgétaire, c’est un véritable déficit démocratique qui afflige l’ensemble de la société québécoise. Ce qu’on coupe a rappelé Robert Laplante, ce ne sont pas seulement des postes, mais des missions de l’État. Ce que favorisent les politiques du gouvernement Couillard, c’est l’inégalité des personnes et l’injustice fiscale.
Le gouvernement Couillard, a affirmé Philippe Hurteau vise a diminué les attentes de la population envers les services publics, envers notre capacité de prendre en charge le bien commun. Le gouvernement veut couper dans tout ce qui fait qu’on se reconnaît les uns et les autres et qu’on noue des rapports de solidarité. C’est cette logique qui fait que tout ce qui relève du social est assimilé par ce gouvernement à du gaspillage. Il s’attaque à la prise en charge de notre volonté de se donner les outils pour construire une société plus juste et plus égalitaire.
Le gouvernement Couillard mène une politique de dénationalisation de l’État québécois
L’intervention de Robert Laplante intitulée Les véritables intentions du gouvernement Couillard devait introduire la question directement politique dans cette rencontre. La thèse centrale du directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) était de faire le lien entre les politiques d’austérité et l’oeuvre de dénationalisation de l’État québécois opérée par un gouvernement néolibéral fédéraliste.
Ce qui est en jeu dans l’austérité, c’est la nature que les Québécois prêtent à leur gouvernement provincial. La majorité de la population québécoise considère leur gouvernement provincial comme le lieu où se définit d’abord et avant tout le bien commun. Cette vocation nationale s’est traduite sur trois grands axes : a. La volonté de traduire nos choix en politiques sociales et économiques ; b. La volonté de construire sur le territoire du Québec un espace économique qui soutient la volonté des communautés de vivre là où elles l’entendent, et c. de se donner des instruments de solidarité sociale. Ce qui est en jeu dans l’austérité, c’est d’abord et avant tout ces aspirations sociales qui sont considérées par Ottawa comme de travers dans le chemin. Depuis les quinze dernières années, c’est la réduction unilatérale des contributions fédérales qui est le principal facteur de déstabilisation des finances publiques du Québec, pas les services publics. Le gouvernement Couillard a accepté de vivre avec les moyens que le gouvernement du Canada lui laisse. Alors qu’Ottawa utilise les impôts du Québec pour des finalités que le Québec n’a pas choisies. Les politiques austéritaires du gouvernement Couillard sont dirigées contre la population québécoise car le gouvernement à Québec refuse de mener un débat de fond sur le contrôle de nos impôts qui serait nécessaire au financement de nos services.
La stratégie du parti fédéral, c’est la stratégie du choc, signale Robert Laplante. Il s’agit de frapper partout en même temps. Il n’y a pas de crise des finances publiques, il y a le projet de reconfigurer l’État du Québec et de normaliser sa conduite par rapport au reste du Canada. Les gouvernements Harper et Couillard accroissent l’emprise du grand capital sur le territoire québécois. Le paradigme de l’austérité est antinational dans la mesure où c’est Ottawa qui définit le développement et qui dit au gouvernement du Québec comment il doit utilise les 50 milliards de nos impôts pour contenir les aspirations du Québec. Le Premier ministre Couillard veut que la gouverne de la province de Québec soit l’affaire d’une élite qui est d’accord pour ne jamais faire de vagues à Ottawa.
Cette analyse percutante a surpris et n’a pas été sans susciter certaines réticences. Si elle démontrait la nécessité d’identifier le rôle du gouvernement fédéral dans les orientations néolibérales du gouvernement Couillard, elle évitait d’expliquer que l’ensemble des élites économiques, y compris nationalistes, sont parties prenantes des politiques austéritaires. Les politiques du déficit zéro du gouvernement Bouchard sont encore dans bien des mémoires. Et le gouvernement Marois, n’avait-il pas, lui aussi, repris cette perspective du déficit zéro. Le choix de Robert Laplante de ne pas souligner le rôle des gouvernements péquistes a empêché certains de reconnaître la justesse de sa dénonciation des politiques du gouvernement fédéral et de l’alignement du gouvernement Couillard sur l’orientation du gouvernement Harper. Si la critique de la soumission nationale du Québec, n’est pas liée à une dénonciation de la responsabilité de toutes les élites économiques, les défis stratégiques de la majorité populaire pour construire sa résistance ne peuvent être réellement tirés au clair
Un projet de déclaration, pour unifier la volonté de résistance qui demeure peu discutée
Le projet de déclaration est centré sur la défense des services publics, le soutien aux personnes en situation de pauvreté, le soutien au développement des régions, la nécessité de création d’emplois et la protection de l’environnement... Il critique également les paradis fiscaux et pose la nécessité d’imposer davantage les grandes entreprises et les banques.
Trois exigences sont soulignées : adoption d’une véritable politique de développement durable, une révision du régime fiscal qui assure un financement adéquat des services publics et des programmes sociaux et enfin l’ouverture d’un véritable dialogue social pour définir collectivement les finalités de l’État québécois.
La plate-forme est très générale. Elle ne comprend pas de revendications très précises. Rien sur les modalités de réduction de notre dépendance au pétrole ; aucune revendication claire sur une politique de création d’emplois, même le nouveau régime fiscal n’est pas réellement esquissé, contrairement, par exemple, aux revendications de la Coalition contre la hausse.
Mais le Grand rassemblement citoyen n’était pas une assemblée délibérante. Il ne s’agissait pas de discuter réellement le contenu la plate-forme, de l’amender ou de l’adopter. Sa discussion et son adoption ont été remises à plus tard.
Il n’en reste pas moins que le troisième axe qui parle d’ouverture d’un véritable dialogue social pour définir collectivement les finalités de l’État québécois n’a pas été sans créer de surprise à plusieurs. Alors que toutes les analyses et discussions s’orientaient sur la volonté d’en découdre avec ce gouvernement, de s’en débarrasser, on revenait avec le dialogue social. Qu’est-ce que cela signifiait-il au juste ? Si ce n’était que la volonté de renforcer la force de résistance des 99%, pourquoi pas, mais s’il s’agissait de reprendre des exercices comme les sommets de 96 qui sont avérés néfastes pour la majorité populaire, tel n’était pas l’agenda que semblait dessiner le Grand Rassemblement. Lorsque les quatre centrales syndicales demandent unanimement au gouvernement, de tenir un “grand rendez-vous” sur la relance de l’emploi et de l’économie” comme le rapportait le journal Le Soleil du 17 février, [1] on comprend mieux les interrogations soulevées par certainEs. Proposer une démarche de concertation sociale à un gouvernement qui mène des attaques à tous les niveaux contre la majorité populaire laisse, pour le moins songeur.
Oeuvrer à se débarrasser du gouvernement Couillard et de ses politiques d’austérité étaient pourtant le souffle qui traversait ce grand rassemblement citoyen. De sérieux débats sont certainement devant nous.
Les actions à venir - au-delà du foisonnement, une dynamique vers la grève générale est-elle possible et à quelles conditions ?
Semaine d’actions perturbantes proposées par la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics ; manifestation contre les compressions en éducations de la FEUQ, activités liées à la Marche mondiale des femmes, manifestation nationale de l’ASSÉ le 2 avril, manifestation des groupes environnementaux le 11 avril, contre-sommet, cocktail d’actions du 1er mai (grève sociale, activités de perturbations économiques, actions sur les lieux de travail, festival des solidarités...)
Les échanges sur les calendriers ont donné lieu à la présentation des diverses perspectives. Mais ces perspectives d’action n’ont pas été réellement l’objet de débats. Des militantEs de l’ASSÉ ont présenté leur scénario du possible développement d’une grève générale étudiante et ont invité les organisations populaires et syndicales de se joindre à leur combat. Cela a été bien reçu, mais n’a pas donné lieu à aucune remarque précise. Des militantEs de la Coalition contre la hausse et du FRAPRU ont souligné que leurs organisations étaient à la recherche de mandats pour une grève sociale le premier mai, mais il n’y a pas eu de ralliement de l’ensemble des organisations du Rassemblement citoyen à cette grève sociale. Des militantEs de groupes environnementalistes ont invité à la manifestation du 11 avril contre le tournant pétrolier du gouvernement Couillard. L’invitation a été fort bien reçue.
Mais, il y avait un éléphant invisible dans la pièce de ce Grand rassemblement citoyen. Alors que plus de 400 000 travailleurs et travailleuses secteur public sont en négociations, que les offres gouvernementales vont signifier un gel des salaires pour les cinq prochaines années, la détérioration des conditions de travail, la réduction des effectifs du secteur public, la privatisation des services, rien n’a été dit sur ces négociations, et sur l’importance stratégique de ces dernières dans la lutte actuelle contre les politiques austéritaires du gouvernement Couillard.
Des débats stratégiques restent à mener et l’unité de la résistance populaire ne pourra en faire abstraction dans les semaines qui viennent.
Ce Grand Rassemblement Citoyen a marqué un moment fort dans la construction de l’unité de la résistance populaire aux politiques d’austérité du gouvernement Couillard, mais il a également permis d’apprécier tout le chemin qui reste à parcourir pour consolider un vaste front social d’opposition à ce gouvernement néolibéral.