Car si la notion de racisme systémique —si à la mode aujourd’hui— permet de comprendre que le racisme n’est pas que le fait de quelques individus isolés, elle reste en même temps si vague et indéterminée qu’elle peut ouvrir la voie à de multiples interprétations, et donc à des manières bien différentes de mener le combat anti-raciste.
Un anti-racisme décolonial décontextualisé
C’est ainsi qu’un certain type d’anti-racisme décolonial décontextualisé a pris dans la société allochtone du Québec le haut du pavé et s’est fait entendre haut et fort ces derniers temps au travers de dérives passablement inquiétantes (voir entre autres les débats autour du comité anti-raciste décolonial au sein de QS !).
Car cette approche tend —au fil d’un discours apparemment radical— à réduire le combat anti-raciste à une série de positions manichéennes, individualistes, sectaires et moralisantes, loin de toute compréhension en profondeur du racisme et surtout des leçons historiques que nous pourrions tirer du si triste épisode des pensionnats autochtones. Car le racisme n’est pas qu’une question de couleur de peau, de fragilité blanche et de privilège ou mea-culpa individuels. Il est aussi une question d’État, et on ne peut en comprendre la profondeur qu’en le reliant à des politiques sociales et économiques menées depuis d’implacables intérêts de classes. Et c’est justement ce que nous rappellent les événements de Kamloops.
Pourquoi un régime des pensionnats ?
Car c’est dans la droite ligne de la loi sur les Indiens (1876) et de ses visées assimilatrices, que le régime des pensionnats fut officiellement instauré en 1892 par le gouvernement fédéral, suite à des ententes avec les clergés catholiques, anglicans, méthodistes et presbytériens. Et si ce régime a été officiellement aboli en 1969 (le dernier pensionnat a été fermé au Québec en 1991), il n’en a pas moins donné naissance à près de 140 pensionnats répartis dans tout le Canada (dont au moins 10 implantés au Québec et 40 gérés par la congrégation des Oblats) et qui ont pris en charge pendant toute cette période de plus de 150 000 enfants.
Il s’est donc agi, par le biais d’une alliance « entre le sabre et le goupillon », entre l’État fédéral et les Églises du Canada, d’assimiler et d’évangéliser les populations autochtones ; en d’autres mots de faire disparaître —par le biais d’une rééducation forcée de leurs enfants— tout ce qui avait à voir avec les mœurs, les langues, les cultures et traditions des Premiers Peuples. Non d’ailleurs sans des abus de toutes sortes : mauvais traitements, agressions sexuelles, expérimentations pseudo-scientifiques, nourriture insuffisante, etc. En ce qui concerne les Oblats, il faut ajouter que, s’ils étaient officiellement les gestionnaires financiers de ces pensionnats, c’étaient surtout des congrégations féminines (les soeurs grises notamment) qui étaient en charge au quotidien de ces enfants et des pédagogies répressives qui y étaient appliquées ainsi que des maigres ressources qui leur étaient allouées.
En fait, il ne s’est agi, avec ces 140 pensionnats, de rien d’autre que de la mise en marche d’un véritable ethnocide culturel des peuples autochtones visant à assimiler leurs propres enfants et à leur enlever —en la brisant— toute identité qui leur soit propre.
Un racisme d’État
Le régime des pensionnats, était donc une des pièces clefs des politiques coloniales prises au plus haut niveau de l’État fédéral et visant ultimement à répondre aux intérêts économiques des classes possédantes canadiennes qui cherchaient à s’emparer définitivement de vastes territoires inexploités et à les ouvrir au développement, ainsi qu’à l’exploitation forestière et minière. Il participait donc à ces stratégies d’exploitation économique et de répression des peuples sur la base de laquelle s’est d’ailleurs fondé puis renforcé le Canada.
En ce sens, s’il peut exister encore aujourd’hui un racisme dit systémique au Canada, c’est parce qu’il est d’abord —et continue d’être— un racisme d’État mis au service des intérêts politiques et économiques des élites possédantes canadiennes. Certes les élites religieuses québécoises y furent directement impliquées —notamment par le biais des Oblats— mais ce ne le fut qu’en se pliant et cautionnant ou légitimant (par la religion) ces politiques de colonisation économique et d’assimilation culturelle menées depuis l’État fédéral.
Beaucoup plus que des excuses
Aussi si l’on veut vraiment s’en prendre au racisme d’État toujours en vigueur au Canada, c’est beaucoup plus que des excuses venant des gouvernements ou des Églises qu’il faudrait exiger. C’est beaucoup plus que des réparations d’ordre monétaire, ou des mea-culpa individuels ou collectifs, ou encore des statues qu’on déciderait de déboulonner solennellement. C’est même beaucoup qu’une simple réconciliation, car il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice sociale, politique et culturelle.
Si l’on veut vraiment s’en prendre au racisme d’État toujours en vigueur au Canada, c’est nécessairement et en même temps, oser s’en prendre politiquement à cette prison des peuples que reste le Canada et qui fait que tant de peuples se sont trouvés —au nom d’insatiables intérêts économiques et jusqu’à aujourd’hui— dépossédés des territoires où ils vivaient, mais aussi de tout droit à l’auto-détermination, Québec compris.
Lutter contre le racisme, c’est donc nécessairement prendre en compte, toute la profondeur de cet arrière-fond économique, social et politique sans lequel le racisme n’aurait jamais pris le caractère systémique qu’il revêt aujourd’hui au Canada. Et si ce n’est pas là un mince défi, c’est pourtant à cette seule condition que l’on pourrait en finir avec ce terrible poison qu’est le racisme pour tant de peuples !
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