Édition du 12 novembre 2024

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France

Après le démantèlement de Calais, quelle politique d’accueil pour les réfugié-e-s ?

tire de : 2016 - 50 * 10 décembre : notes de lecture, textes, annonces, pétitions et lien

Avec les contributions de Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire, Aurélia Malhou, juriste au Centre Primo-Levi pour la Coordination française pour le droit d’asile et Michel Agier, anthropologue à l’École des hautes études en sciences sociales.

Publié le 5 décembre 2016

Un constat sinistre par Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire

Accueil ? Commençons par rappeler qu’il y a désormais 65,3 millions de femmes, d’hommes et de mineurs déplacés de force parmi lesquels se trouvent 23,3 millions de réfugiés, 40,8 millions de déplacés internes et 3,2 millions de demandeurs d’asile (source : UNHCR 2015). Tous ont fui les guerres, la torture, les persécutions politiques, religieuses, ethnico-raciales, ou encore celles liées au genre ou à leur orientation sexuelle. Accueil ? Beau mot ; délicat aussi comme les attentions qu’il annonce. En effet, il devrait obliger celles et ceux qui, en le prononçant, s’adressent aux personnes concernées. Ayant quitté leur pays pour préserver, autant que faire se peut, leur intégrité physique et psychologique, ces dernières sont arrivées dans une contrée étrangère au terme d’un long périple, coûteux et presque toujours dangereux. Aussi ressentent-elles, en raison des épreuves qui furent et sont encore souvent les leurs, le besoin impérieux d’être accueillies, c’est-à-dire reconnues comme des semblables en droit et en dignité à qui des égards et des regards sont dus. Dus, ils le sont, non en raison d’une soumission aveugle aux civilités de saison, mais parce qu’ils contribuent à rétablir ces réfugiés comme des égaux sur le plan symbolique, personnel et juridique afin que les souffrances qu’ils ont endurées soient surmontées au plus vite.

Semblables ? Assurément. Frères, tout autant. Fraternité, bien sûr, hélas trop souvent négligée et qui n’engage à rien. Accueil et hospitalité enfin. Le premier est le prélude à la seconde, et celle-ci la preuve de la sincérité de cet accueil. Contre les mentalités et les pratiques policières, qui se répandent comme des mauvaises herbes dans le champ politique des droites et des gauches de gouvernement, accueillir dans ces conditions, c’est signifier aux femmes et aux hommes jouissant de cette hospitalité qu’ils ne sont pas seulement chez nous mais qu’ils sont aussi chez eux. Plus encore, grâce à l’accueil-hospitalité – inventons le syntagme – il est possible d’arracher la clôture nationale-républicaine, et souvent xénophobe, qui circonscrit ce chez nous pour faire de celui-ci une catégorie inclusive permettant aux réfugiés de se sentir chez eux. D’ailleurs mais d’ici, désormais. Principe républicain ? Principe médiéval d’abord qui s’énonce ainsi : quid est in territorio est de territorio, comme le rappelle Hannah Arendt.

Politique d’accueil de la glorieuse République française ? Oxymore sinistre. À preuve les orientations mises en œuvre par les gouvernements successifs, quelles que soient les majorités sur lesquelles ils s’appuient. Dans la novlangue politicienne, élaborée par des communicants chargés de fournir à ceux qui les rémunèrent des « éléments de langage », cette politique d’accueil n’est qu’une expression creuse destinée à masquer l’application d’une véritable « politique de l’inhospitalité ». À preuve le plan quinquennal d’expulsions décidé par le président Nicolas Sarkozy et par son « collaborateur » à Matignon, François Fillon, puis mis en œuvre par Brice Hortefeux et Éric Besson entre 2007 et 2012. À preuve encore le sort indigne imposé aux femmes, aux hommes et aux mineurs rassemblés dans ce qui fut le plus grand bidonville d’Europe : la « jungle » de Calais. À preuve, en 2015 enfin, les 3 771 morts en Méditerranée par la faute de l’Union européenne, des chefs d’État et de gouvernement qui multiplient obstacles juridiques policiers et militaires destinés à « gérer les flux migratoires ». De cela aussi, François Hollande, Manuel Valls, les ministres et la majorité qui les soutient sont comptables.

Le gouvernement doit faire preuve de courage politique
par Aurélia Malhou, juriste au Centre Primo-Levi pour la Coordination française pour le droit d’asile

Alors que le centre humanitaire de la Mairie de Paris vient d’ouvrir, de lourdes incertitudes planent sur la capacité de ce dispositif à résoudre la crise de l’accueil de milliers de personnes sollicitant l’asile à Paris. Nous, organisations membres de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), venons de signer une lettre1 appelant le gouvernement français à prendre enfin les mesures qui s’imposent pour mettre un terme à la situation désastreuse d’hommes, de femmes et d’enfants qui, après les persécutions à l’origine de leur départ et les dangers de l’exil, doivent subir des conditions de vie indignes dans notre pays. Les mesures à prendre sont simples, mais elles exigent lucidité et courage politique. Il s’agit de mettre fin aux opérations de dissuasion (évacuations, arrestations, placements en centre de rétention) exercées à l’encontre des personnes qui attendent un rendez-vous auprès des plateformes d’accueil et des préfectures. Ces pratiques sont d’autant plus inacceptables que les conditions dégradantes dans lesquelles elles vivent sont intégralement imputables aux autorités françaises. Ces personnes doivent être présumées réfugiées. Les départements et l’aide sociale à l’enfance doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les enfants non accompagnés qui sont à la rue. La minorité des enfants isolés est souvent mise en doute. Leurs conditions d’accueil d’urgence sont déplorables et les délais pour décider de leur protection sont disproportionnés au regard des enjeux. Le fait qu’un enfant ne peut être éloigné du territoire ne doit pas l’exclure de la procédure d’asile. Il faut prendre en charge immédiatement les personnes dont l’état de santé nécessite un suivi particulier. L’application de plus en plus restrictive du droit à une protection maladie, ainsi que la multiplication des refus et retards de soins à l’encontre des exilés dans les hôpitaux publics conduisent à des situations médicales graves qui débordent largement les capacités des centres de soins « humanitaires ». Il faut accélérer l’ouverture des droits des personnes malades à une couverture santé. Dans l’attente, les permanences (publiques) d’accès aux soins de santé doivent être dotées des moyens nécessaires, notamment en termes d’interprétariat professionnel et de prise en charge de la santé mentale.

Des mesures d’urgence dans les préfectures concernées s’imposent, comme la mise à disposition des moyens nécessaires pour que les demandes d’asile soient enregistrées dans les délais légaux. Les textes européens exigent de la France que l’enregistrement des demandes se fasse dans un délai de trois jours ouvrés ; il est aujourd’hui de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, à Paris et à Cayenne. Ou encore, l’ouverture de places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile – seul dispositif assurant un suivi juridique. Les textes européens exigent que la France offre des conditions d’accueil décentes à tous les demandeurs d’asile. Alors que la France ne fait pas face à une hausse exceptionnelle du nombre de demandeurs d’asile, le dispositif d’accueil dédié ne permet d’héberger que 40 % d’entre eux. Si le gouvernement souhaite réaliser son objectif d’héberger 80 % d’entre eux, il doit doubler le nombre de places prévues pour la fin de 2017 (60 000 places).

Enfin, il s’agit de permettre aux demandeurs d’asile de vivre de façon autonome : rétablir le droit effectif au travail, à la formation linguistique et à la formation professionnelle. Pour favoriser l’autonomie des personnes, il faut revaloriser le montant de l’allocation pour demandeur d’asile afin qu’elles puissent se loger par elles-mêmes, et rétablir les droits et les dispositifs leur permettant de travailler, de suivre une formation linguistique et de bénéficier d’une formation professionnelle.

L’hospitalité qui vient
par Michel Agier, anthropologue à l’École des hautes études en sciences sociales

La question de l’hospitalité est arrivée dans l’espace public, avec ce qu’on appelle la crise des migrants, qui est plutôt une crise des États face aux migrants, une crise des politiques d’accueil, de la réception, de l’intégration. La confrontation est inégale entre des États-nations d’un côté et, de l’autre, une arrivée considérée par certains « catastrophique », par d’autres juste importante, de migrants, de réfugiés, de demandeurs d’asile, de personnes qui se trouvent dans une situation juridiquement irrégulière, matériellement et socialement précaire, et qui peuvent être appelées par certains gouvernants « clandestins ». Comme toile de fond, la responsabilité des États dans la production des catégories institutionnelles et, à partir de là, des classements sociaux est fondamentale. Si la question de l’hospitalité revient, c’est d’abord parce qu’on l’a vu manquer. On a bien vu la panique de nos gouvernants, on a vu la cruauté extraordinaire de l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie en mars 2016 pour garder les migrants loin de l’Europe, et même des migrants potentiellement réfugiés comme le sont les Syriens retenus en Turquie ou même renvoyés des îles grecques vers la Turquie avant d’avoir pu demander formellement l’asile. Il s’agit d’une inhospitalité manifeste, assumée par de nombreux gouvernants européens.

Mais si la question de l’hospitalité revient, c’est aussi parce que, dans ce contexte, on l’a vu réapparaître dans le tissu social, accentuant encore l’impression forte, aujourd’hui, d’une rupture entre les gouvernants et les sociétés civiles. Plus de trois cents maires de communes françaises à l’automne 2015 déclarèrent qu’ils avaient de la place pour accueillir des migrants dans leurs communes et demandèrent au ministère de l’Intérieur de coordonner cet accueil, mais sans véritable résultat. Des personnes, soutenues par des associations ou des collectifs informels, se sont manifestées pour accueillir chez elles des migrants sans se soucier de savoir quel était leur statut juridique. On le voit en France dans la région de Vintimille, et aussi à Berlin, à Bruxelles, ou encore au Danemark où une association s’est formée regroupant plus de 20 000 personnes, les Habitants amicaux, qui a annoncé et rendu public le fait que ses membres aident les migrants en les logeant et éventuellement en leur faisant passer la frontière pour la Suède, même s’ils sont « en situation irrégulière ». Une forme de désobéissance civile qui fait de l’hospitalité un geste politique, et pas seulement une inclination personnelle vers les autres. On l’a vu aussi avec la formation de l’extraordinaire tissu associatif dans le Calaisis durant les quinze dernières années sans lequel le sort des migrants n’aurait pas été le même. En passant, on a vu émerger des compétences qui sont cruciales pour qui veut penser la société dans la mobilité, le changement et la multiculturalité de fait : traducteurs et interprètes, enseignants de « français langue étrangère », travailleurs sociaux, artistes, médiateurs, conseillers juridiques, autant de possibles métiers de l’hospitalité dans une société ouverte.

Certes, le contexte semble ne pas s’y prêter. Il est facile de faire porter sur les migrants en situation précaire, maillon faible de la mondialisation, les haines et les mesures d’exclusion. On en a eu une illustration avec la scène du démantèlement du camp de Calais entre les 24 et 28 octobre derniers. En quelques jours, devant près de 800 journalistes, et mobilisant des dizaines de fonctionnaires, policiers et pompiers, l’État a produit le spectacle obscène de la force de l’État-nation défendant le territoire en expulsant les étrangers indésirables. Une fiction – faire disparaître le « problème » de la migration en sortant les migrants de la scène publique – à laquelle s’oppose le travail quotidien, ordinaire, innovant de l’hospitalité.

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