Tiré de À l’encontre.
Vers 15h, le centre d’Alger était noir de monde. A 16h, des manifestants affluaient toujours vers la Grande-Poste et la place Audin. Une foule qui rappelait, à bien des égards, celles des premières semaines du hirak. Les participants à cette manifestation ont surtout réagi à l’instruction donnée à la Gendarmerie nationale par le chef d’état-major de l’armée de « verrouiller » la capitale. « Djina harraga lel assima » (On est venus comme des harraga – migrants clandestins – à Alger), ont-ils scandé plus d’une fois.
La déclaration faite par le vice-ministre de la Défense nationale, mercredi dernier, dans laquelle il avait affirmé qu’il avait instruit la Gendarmerie « pour faire face avec fermeté à ces agissements, à travers l’application rigoureuse des réglementations en vigueur, y compris l’interpellation des véhicules et des autocars utilisés à ces fins, en les saisissant et en imposant des amendes à leurs propriétaires », n’a pas laissé les Algériens indifférents. « Cela fait trois semaines que je n’ai pas marché pour des raisons qui me sont propres. Aujourd’hui j’ai décidé de reprendre. Personne n’a le droit d’interdire aux gens de venir à leur capitale », nous a confié un jeune manifestant. « J’habite Alger-Centre, et je marche chaque vendredi et chaque mardi, comme beaucoup de gens de mon quartier et des environs. On est heureux de rencontrer des habitants d’autres villes ou wilayas », a déclaré un autre.
Pour Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh), « les Algériens sont un peuple des défis. Ils ont relevé le défi de sortir en masse, comme c’était le cas le 22 février contre le 5e mandat », a-t-il estimé.
Certains citoyens, venus des wilayas limitrophes, relataient les circonstances de leur « passage » à Alger. Si pour certains, le dispositif sécuritaire installé sur les grands axes menant vers la capitale n’était pas plus drastique que celui des semaines précédentes, d’autres par contre ont relevé qu’ils ont été longuement retardés par ces barrages. Certains ont fait remarquer qu’aux barrages routiers, les gendarmes traquaient le drapeau national, comme signe d’une volonté de prendre part aux manifestations.
« A un barrage aux alentours de Belouizdad, j’ai vu un policier tenir les documents d’un automobiliste et un drapeau que ce dernier détenait. Je ne sais pas par la suite, s’il le lui a rendu ou confisqué », a déclaré un manifestant. En tout cas, cette affaire de bouclage de la capitale était le sujet de discussion principal des hirakistes lors de la marche d’hier.
Des jeunes ont même porté des tee-shirts avec les matricules d’autres wilayas inscrits sur le dos. « Le peuple a libéré la capitale du blocus », a commenté Mohcine Belabbas, président du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), qui a pris part à la manifestation en compagnie d’autres chefs des formations de l’Alternative démocratique.
Bien évidemment, les manifestants ont, une nouvelle fois, exprimé leur rejet du processus électoral en cours. « Makanch intikhabat maâ el îssabat » (Pas d’élection avec la bande) ou « Dirou intikhabat fel Imarat » (Organisez les élections aux Emirats), ont-ils scandé. Un groupe de manifestants a brandi une large banderole sur laquelle était inscrit : « On n’acceptera pas le recyclage du système ! »
Comme à chaque manifestation, les Algériens aiment à évoquer, avec fierté, les symboles de la Guerre de Libération nationale. « Ali La Pointe [héro de la « bataille d’Alger], L’Algérie est revenue », ont-ils scandé.
Des manifestants s’en sont, fortement, pris au chef d’état-major de l’ANP, qui, depuis plusieurs semaines, cristallise toutes les critiques. « Echaâb yourid iskat Gaïd Salah » (Le peuple veut la chute de Gaïd Salah), ont-ils crié plus d’une fois, en plus de « Dawla madania machi askariya » (Etat civil non militaire).
Par ailleurs, les marcheurs ont exprimé leur soutien aux activistes et militants politiques arrêtés cette dernière semaine, qui sont Karim Tabbou, Samir Belarbi et Fodil Boumala. « On ne s’arrêtera pas. Mettez-nous tous en prison », ont-ils lancé de nouveau.
En plus du nombre de manifestants qui était plus important que les vendredis précédents, le hirak d’hier a duré aussi plus longtemps. Vers 17h, les manifestants étaient toujours très nombreux au niveau de la Grande-Poste. Ce n’est que vers 18h que la place a commencé à se vider. En tout cas, la foule était au rendez-vous en ce 31e vendredi de contestation. Sept mois après le début du hirak, la mobilisation est toujours intacte et enregistre même un net regain ces derniers vendredis. Pour plus d’un, hier, le nombre de manifestants était, au moins, aussi important que le 5 juillet dernier.
Article publié dans El Watan en date du 21 septembre 2019.
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