Édition du 17 décembre 2024

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Planète

Alain Deneault : repenser l’écologie dans un monde en « polycrise »

De passage à Montréal pour le lancement de son nouveau livre sur l’économie de la pensée, Alain Deneault était l’invité des Amis du Monde Diplomatique pour une conférence à l’UQAM sur le thème de l’écologie. Pour l’occasion, il a ainsi abordé les enjeux écologiques et les possibilités d’agir dans un monde dit en polycrise. Il invite ainsi à réfléchir sur l’écoanxiété ou l’écoangoisse et à (re)penser un futur davantage respectueux du vivant par le biais de l’esthétique et de l’imagination, notamment via les biorégions.

Tiré du Journal des Alternatives

Par Théa Lombard -25 avril 2024

Dessin de la synthèse du Forum mondial sur l’entreprise et l’environnement , Oxford 2010, - @The Value Web Photo Gallery CC BY 2.0.
Théa Lombard, stagiaire à Alternatives et correspondante au journal

Pour Alain Deneault, l’écologie apparaît comme un enjeu politique et social actuel, nécessitant une réorganisation de nos moyens de consommation, de nos actions et de nos modes de pensées. Les dégradations et problèmes écologiques sont aujourd’hui multiples et investissent toutes les sphères de notre vie.

Déprime, écoanxiété et écoangoisse

La déprime, l’écoanxiété ou plutôt l’écoangoisse, comme le définit Alain Deneault, sont des réalités centrales en écologie contemporaine. Le vocabulaire dédié à cette thématique ne définit pas précisément les faits et les conséquences de cet enjeu. L’utilisation du terme anxiété semble davantage renvoyer à une médicalisation et pathologisation d’un phénomène commun, compte tenu du contexte actuel.

Préférant le terme écoangoisse, Alain Deneault définit cette dernière comme un signe de bonne santé mentale, par la conscience des phénomènes environnementaux et problèmes écologiques. L’écoangoisse n’est donc pas un problème individuel. Il s’agit d’un véritable enjeu public et commun, dans lequel les affects sont collectifs. L’écoangoisse s’accroît avec l’analyse des impacts environnementaux définis comme irrémédiables et irréparables. Il nous amène à une réflexion sur le vivant, sur notre place au sein de ce dernier et sur les futurs possibles.

Le dérèglement climatique apparaît comme un phénomène autonome et exponentiel, dans lequel nos possibilités d’agir semblent dérisoires. La réduction de la biodiversité accentue la vulnérabilité des êtres humains aux maladies circulant parmi les autres espèces animales, comme le Covid, et renvoie à ce qu’on partage en « commun » en santé avec les animaux. La conjoncture industrielle amène d’importants changements dans nos habitudes de consommation et de vie. La diversification des moyens utilisés pour exploiter les ressources de pétrole est source de contamination massive et de destruction, y compris de l’eau.

Le capitalisme participe à cette aggravation des crises sociales et environnementales, qui profitent à une minorité. Il renforce les disparités et accentue la richesse de puissances occidentales. Quant à la transition énergétique du capitalisme vert, elle utilise les infrastructures existantes pour les faire perdurer. L’informatisation des éoliennes, les panneaux voltaïques, les voitures électriques ne suffisent pas à renverser la balance et ne sont pas des solutions durables. Leur coût en minerais, notamment en lithium, amène d’autres conséquences écologiques et ne permet pas d’inscrire leur utilisation à long terme. Dans le système actuel, le développement durable n’est pas profitable à tous.tes et ne permet pas de se projeter à imaginer un futur davantage en accord avec les besoins écologiques et sociaux.

Comment penser la transformation écologique ?

La situation vécue actuellement est sans précédente et on ne dispose pas de points de comparaison dans le passé qui puissent nous faire penser au présent, mais aussi au futur. Il apparaît crucial de se fixer un objet, sur lequel rapporter la pensée et l’action écologique. Pour nous fixer un objet, nous devons utiliser aussi bien l’esthétique et l’imagination.

L’esthétique nous permet de représenter la situation, de créer des références concernant la crise actuelle écologique, par des fictions pouvant non seulement servir d’appui pour penser le présent, mais aussi penser le réel. La participation des artistes, écrivain.es, est donc nécessaire pour tenir compte de la complexité de la situation et permettre d’autres imaginaires. L’imagination nous permet de trouver des objets adaptés afin de sortir de l’écoangoisse, la canaliser et la mobiliser à bon escient pour l’utiliser en tant que moteur.

Les biorégions

Le concept de biorégion, apparu dans les 1970, en est un exemple. Objet politique à objectif régional, la biorégion donne à l’écologie les mêmes droits que le social, promouvant une politique à l’intérieur même du vivant, incluant les espèces et redéfinissant des rapports différents avec ces dernières et avec la nature.

La biorégion invite la créativité, la projection et l’inventivité. Elle amène à repenser les savoirs individuels. Plutôt qu’un projet, elle est un impératif historique, une nécessité plutôt qu’une option. En ville, la biorégion se pense par l’apparition d’écoquartiers, l’utilisation de cultures sur les toits. Les spécificités varient selon les villes, les climats, les ressources.

Pour Alain Deneault, elle n’est pas un nouveau modèle universel et permet une cohabitation avec d’autres structures politiques. La biorégion n’est ni parfaite ni utopique, des tensions, des manques et des combats restent présents.

L’écologie politique se veut radicalement démocratique, avec une prise en compte des savoirs scientifiques, mais également des savoirs et apprentissages davantage populaires et communautaires, pour penser l’écologie dans un monde en polycrise.


Alain Deneault est un philosophe québécois et docteur en philosophie de l’Université Paris-VIII. Actuellement enseignant au sein de l’Université de Moncton, il est également auteur de nombreux essais critiques, notamment sur les politiques canadiennes du secteur minier, les paradis fiscaux, les multinationales, l’idéologie ou l’écologie. https://alaindeneault.net/

Pour (re)voir la conférence :

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