Hebdo L’Anticapitaliste - 660 (03/05/2023)
Par Paul Martial
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C’est une véritable guerre qui se déroule au nord-ouest du Nigeria depuis que les forces armées ont exécuté le dirigeant Mohamed Yusuf. Depuis 2009, date de l’assassinat, cette région est confrontée à des attaques incessantes du groupe. En 2016, Boko Haram a connu une scission, la partie majoritaire a fait allégeance à l’État islamique et est connue sous l’acronyme anglais de l’ISWAP (Islamic State’s West Africa Province - État islamique en Afrique de l’Ouest).
Le calvaire des femmes
On estime que près de 300 000 personnes sont mortes, essentiellement des civils, la plupart en raison des famines et des maladies occasionnées par le conflit. L’agence de presse Reuters a publié une enquête dévoilant un programme secret de l’armée nigériane particulièrement scandaleux.
Lors des attaques de villes et villages par les djihadistes, ces derniers enlèvent des femmes et des filles. On se souvient de l’enlèvement des lycéennes de Chibok en 2014 qui avait provoqué un grand mouvement de solidarité.
Ces enlèvements ont pour but de fournir des femmes aux combattants et sont importants dans le processus de recrutement. En effet, pour beaucoup d’hommes pauvres, le mariage est impossible faute de pouvoir payer une dot.
Les captives sont battues, violées, et vivent dans des conditions misérables. Lors des opérations militaires, si ces femmes sont libérées, leur calvaire n’est pas pour autant fini.
Avortements forcés en masse
Les femmes et filles enceintes sont victimes d’avortements imposés par les militaires, soit dans les hôpitaux de la ville de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, soit dans les casernes dans des conditions sanitaires déplorables. Souvent, les avortements sont pratiqués sous forme médicamenteuse par l’utilisation de misoprostol et de mifépristone ; d’autres se voient injecter de l’ocytocine, une hormone puissante, par voie intramusculaire. Un procédé particulièrement dangereux car une injection trop rapide peut provoquer la rupture de l’utérus et la mort.
Les journalistes de Reuters qui ont mené l’enquête estiment qu’au minimum plus de 10 000 femmes et filles ont été victimes de ces pratiques depuis des années.
Le nombre et la durée impliquent qu’il s’agit bien d’une opération officielle exigeant une logistique conséquente menée par la 7e division de l’armée en charge de la lutte contre les djihadistes, même si elle nie toute responsabilité.
Un « djihadisme héréditaire »
Les militaires, qui ont accepté sous couvert d’anonymat les entretiens avec les journalistes de l’agence de presse internationale, avancent que ces avortements imposés sont justifiés pour le bien de la mère. Elle serait sinon, elle et son enfant, stigmatisés par la population. Mais la principale raison évoquée est qu’un enfant dont le père est djihadiste sera plus tard lui aussi un terroriste. Un argument qui trouve écho à une autre affaire tout aussi horrible où est impliquée de nouveau la 7e division de l’armée.
Reuters a en effet documenté des massacres de femmes avec leurs enfants. Là aussi on est loin des bavures et leur pratique revêt un caractère régulier. Lors de la libération par l’armée des territoires occupés par les djihadistes, les exécutions sommaires sont fréquentes. Des témoignages font état de femmes, couchées au sol visage face terre avec leur bébé dans le dos, froidement exécutées. Les militaires se justifient en expliquant qu’il ne faut prendre aucun risque. Ces enfants peuvent être des enfants de djihadistes et ils seront des combattants parce que leur sang est contaminé. À côté de cette explication irrationnelle, d’autres sont avancées tout aussi terrifiantes. Parmi les soldats peu payés, mal équipés, pris au piège d’une guerre qui s’enlise, certains pensent que la seule solution est la politique de la terre brûlée pour en finir et montrer aux populations que l’armée peut faire bien pire que les djihadistes. D’ailleurs certaines offensives particulièrement violentes de l’armée sont décrites par les officiers comme des Operation No Living Things (« opération aucun être vivant »). Une barbarie partagée par les deux camps.
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