Tiré de The conversation.
Ce n’est qu’en qualifiant la situation en Afghanistan de crime contre l’humanité que la communauté internationale pourra légalement lutter contre la discrimination systématique dont sont victimes les femmes et les jeunes filles de ce pays.
L’éradication des femmes de la sphère publique est au cœur de l’idéologie talibane. Les institutions de défense des droits de la femme en Afghanistan, notamment le ministère des Affaires féminines, ont été démantelées, tandis qu’on rétablissait le redoutable ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice.
La Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan a été dissoute et la constitution de 2004 abrogée ; la législation garantissant l’égalité entre les hommes et les femmes a quant à elle été invalidée.
Aujourd’hui, les femmes afghanes n’ont pas accès à l’enseignement supérieur, elles ne peuvent pas quitter la maison sans un chaperon masculin, elles ne peuvent pas travailler, sauf dans le secteur de la santé et dans certaines entreprises privées ; les parcs, les salles de sport et les salons de beauté leur sont interdits.
Femmes ciblées
Sur les quelque 80 décrets promulgués par les talibans, 54 ciblent particulièrement les femmes, restreignant gravement leurs droits et violant les obligations internationales de l’Afghanistan ainsi que ses lois constitutionnelles et nationales antérieures.
Les talibans ne semblent pas inquiétés, continuant là où ils s’étaient arrêtés il y a 20 ans, lorsqu’ils ont pris le pouvoir pour la première fois. Les résultats de leurs ambitions sont presque apocalyptiques.
L’Afghanistan est confronté à l’une des pires crises humanitaires du monde. Environ 19 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis que plus de 90 % des Afghans la ressentent sous une forme ou une autre, les ménages dont le chef de famille est une femme et les enfants étant les plus touchés.
La violence fondée sur le genre a augmenté de façon exponentielle, avec à la clef une impunité pour les auteurs et un manque de soutien pour les victimes, tandis que les minorités ethniques, religieuses et sexuelles subissent une persécution acharnée.
Cette triste réalité souligne la nécessité urgente d’aborder la manière dont les préjudices civils, politiques, socio-économiques et fondés sur le genre sont interconnectés.
Crime de droit international
Karima Bennoune, universitaire algérienne et américaine spécialisée dans le droit international, a préconisé de reconnaître l’apartheid de genre comme un crime au regard du droit international. Cette reconnaissance découlerait des engagements juridiques internationaux des États en matière d’égalité des sexes et du cinquième objectif de développement durable des Nations unies visant à atteindre l’égalité des sexes à l’échelle mondiale d’ici 2030.
La criminalisation de l’apartheid de genre fournirait à la communauté internationale un cadre juridique puissant pour répondre efficacement aux abus des talibans. Si les Nations unies ont déjà qualifié la situation en Afghanistan d’apartheid de genre, ce terme n’est actuellement pas reconnu par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale comme faisant partie des pires crimes internationaux.
Lors de la présentation de son rapport au Conseil des droits de la personne des Nations unies, Richard Bennett – le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de la personne en Afghanistan – a déclaré :
- Une discrimination grave, systématique et institutionnalisée à l’encontre des femmes et des filles est au cœur de l’idéologie et du pouvoir des talibans, ce qui fait craindre qu’ils ne soient responsables d’un apartheid fondé sur le genre.
La criminalisation de l’apartheid de genre à l’échelle mondiale permettrait à la communauté internationale de s’acquitter de son obligation de réagir efficacement et de tenter de l’éradiquer définitivement. Elle fournirait les outils juridiques nécessaires pour garantir le respect des engagements internationaux en matière de droits des femmes dans tous les aspects de la vie.
Shaharzad Akbar, directrice du groupe Rawadari pour la défense des droits de la personne et ancienne présidente de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, a exhorté le Conseil des droits de la personne à reconnaître que la situation en Afghanistan en est une d’apartheid fondé sur le genre.
Elle souligne que « les talibans ont transformé l’Afghanistan en un véritable cimetière des ambitions, des rêves et du potentiel des femmes et des jeunes filles afghanes ».
Soutien de l’Afrique du Sud
Un certain nombre de défenseurs afghans des droits des femmes ont également demandé l’inclusion de l’apartheid de genre dans le projet de convention des Nations unies sur les crimes contre l’humanité.
Plus remarquable encore, Bronwen Levy, représentante de l’Afrique du Sud au Conseil de sécurité, a exhorté la communauté internationale à « prendre des mesures contre ce que le rapport (de M. Bennett) décrit comme un apartheid de genre, tout comme elle l’a fait pour soutenir la lutte de l’Afrique du Sud contre l’apartheid racial ».
Ailleurs, la présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen, ainsi que le chef de sa délégation pour les relations avec l’Afghanistan, ont qualifié la situation de l’Afghanistan d’« inacceptable » et représentant un apartheid de genre.
Chaque fois qu’un système d’apartheid apparaît, c’est un échec de la communauté internationale. Le contexte afghan doit l’obliger à répondre efficacement à la persécution des femmes.
Reconnaître que le régime taliban est un apartheid de genre n’est pas seulement crucial pour les Afghans, il l’est tout autant pour la crédibilité de l’ensemble du système des Nations unies. Comme l’a fait remarquer au Conseil de sécurité la militante afghane des droits de la personne Zubaida Akbar :
- Si vous ne défendez pas les droits des femmes ici, vous n’avez aucune crédibilité pour le faire ailleurs.
Les deux années atroces des talibans depuis leur arrivée au pouvoir en Afghanistan nous ont appris que les initiatives classiques en matière de droits de la personne, bien que primordiales, ne suffisent pas à lutter contre l’apartheid de genre. Le monde a besoin d’une action collective internationale inflexible pour mettre fin à la guerre contre les femmes. Pas dans deux mois. Pas dans deux ans. Maintenant.
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