Quand le Canada a dénoncé du bout des lèvres, sur le tard, sa réaction n’a pas convaincu grand monde. Certainement pas l’Arabie saoudite, qui a déjà annoncé qu’elle allait continuer d’administrer des coups de fouet à M. Badawi, malgré un renvoi à la Cour suprême saoudienne.
Sur son site internet, l’ambassadeur du Canada en Arabie saoudite prétend que les deux pays partagent des intérêts communs, dont « les causes humanitaires pour les réfugiés » et « l’émergence de la paix et de la résolution de conflits dans la région ». La Russie n’a pas eu droit à de telles flatteries quand la diplomatie canadienne s’est interposée en Ukraine, cet été. Pourquoi parlons-nous des deux côtés de la bouche quand il s’agit de condamner les pires violations des droits humains ?
Le début d’une réponse se trouve dans un reportage publié dans le Globe and Mail d’hier. C’est une réponse à 15 milliards de dollars : le montant que verserait l’Arabie saoudite au secteur de la défense en échange d’une commande de véhicules blindés légers. Nous ne savons pas si ces armes seront utilisées contre les citoyens saoudiens. Le département des Affaires étrangères du Canada a refusé de commenter. Mais nous savons que ce pays, s’appuyant sur une interprétation fanatique de l’Islam, est devenu une source de financement importante pour les groupes djihadistes, de l’Afghanistan dans les années 80 à l’Irak et à la Syrie aujourd’hui.
Raif Badawi est l’une des nombreuses victimes d’un système judiciaire barbare, qui torture, fouette et décapite ceux et celles qui sont trouvés coupables d’avoir parlé trop haut, d’avoir abandonné la foi musulmane ou d’avoir commis une adultère. Un système qui criminalise les femmes au volant - mais qui, jusqu’à récemment, tolérait la violence conjugale.
Nous ne pouvons pas nous faire complices de la répression saoudienne pour sauver une vente d’armes.
Le Canada est à nouveau impliqué dans une guerre en Syrie et en Iraq. Cette semaine, nos soldats ont même échangé des tirs avec des militants de l’État islamique. Pour Stephen Harper, cette intervention est un nouveau chapitre de la lutte contre l’intégrisme. Ses déclarations belliqueuses, cependant, ne font qu’ajouter de l’huile au feu. Après les événements de Charlie Hebdo, ce gouvernement devrait emprunter le chemin de la prévention, de l’éducation et de l’implication diplomatique pour combattre le djihadisme.
Raif Badawi est coupable de s’être saisi d’un crayon et d’une feuille de papier pour dénoncer la tyrannie. Ses armes sont ses mots. Notre inaction, quant à elle, est une reddition inconditionnelle aux mains de ceux qui crachent sur les droits humains.
Des milliers de Canadiens ont demandé à ce gouvernement d’agir et de mettre l’ensemble de nos moyens diplomatiques à contribution pour libérer M. Badawi et lui permettre de quitter l’Arabie saoudite. Des vigiles ont été organisées par Amnistie internationale dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal et Ottawa. L’ambassade de l’Arabie saoudite a été inondée d’appels. Des intellectuels connus, au Canada et ailleurs, ont appuyé la campagne. Nous continuerons à témoigner de notre solidarité.
La balle est maintenant dans le camp d’Ottawa
Même si M. Badawi n’est pas citoyen canadien, comme l’a fait remarquer Christian Paradis la semaine dernière, notre responsabilité demeure importante. La femme du blogueur, Ensaf Haidar, et ses trois enfants ont été accueillis à Sherbrooke, où elle se dit détruite, mais « refuse de s’assoir dans un coin et de pleurer ». Nous écrivons ces mots pour Mme Haidar, au nom de nos valeurs et de notre histoire.
Le Canada se targue d’être une terre d’accueil pour les prisonniers de conscience. En leur nom, nous sommes intervenus avec force auprès de nombreux gouvernements répressifs dans le passé. Intervenir pour Raif Badawi, symbole d’une promesse de réforme, ferait honneur à cette réputation. Considérant la proximité des deux pays, l’Arabie saoudite ne peut rester indifférente.
Dans 24 heures, Raif Badawi subira 50 nouveaux coups de fouet. Le gouvernement canadien a le choix : détourner le regard ou passer de la parole aux actes.
Ce billet est une adaptation d’une lettre à l’Honorable John Baird, ministre des Affaires étrangères du Canada.