Édition du 14 mai 2024

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Sports

« Affaire Lance Armstrong : tous complices »

On a présenté le 24 octobre le tracé du prochain Tour de France, qui sera le 100e, beau spectacle en perspective, le 22 octobre était confirmée la suspension à vie de Lance Armstrong et la perte de ses sept Tours. Coïncidence cocasse, mais pas dénuée de sens.

Je plains Armstrong. Pas pour sa sanction, pour sa folie. S’être chargé à la testostérone, aux corticoïdes et à l’EPO, frôler la mort à cause d’un cancer, en réchapper et recommencer à s’injecter des hormones, à jouer avec son sang tout en se présentant comme un exemple de rémission et d’espoir. Au-delà de l’extravagance d’un individu, que nous apprend cette affaire planétaire d’icône déchue ? Les médias qui plaçaient en « une » l’Américain à chacun de ses Tours gagnés l’ont, sans surprise, de nouveau placé en « une » ces dernières semaines. Ils n’avaient pas plus cherché à comprendre le phénomène de ses victoires qu’ils ne s’attarderont sur les mécanismes, nombreux et complexes, qui l’ont amené à dominer le cyclisme avec tant d’arrogance pendant sept ans.

Or toutes les langues qui se sont déliées au cours de l’enquête menée par l’Agence américaine antidopage (Usada) sont venues confirmer ce que tout le monde savait, suspectait. Dès la première ascension qui assit le mythe du cancéreux revenu de ses chimios, à Sestrières en 1999, le doute, la suspicion, étaient là. On a préféré les étouffer.

Un an après l’affaire Festina, c’était pourtant gros. Comment la supercherie a-t-elle pu durer treize ans ? Comment, alors que le coureur français Christophe Bassons avait, dès 1999, interrogé les performances d’Armstrong ? Précurseurs, deux journalistes avaient produit une enquête en 2004 (L.A. Confidentiel, les secrets de Lance Armstrong, La Martinière). Avant l’heure, Pierre Ballester et David Walsh apportaient quantité d’éléments précisés huit ans plus tard par l’Usada.

L’Equipe avait révélé en 2005 son utilisation d’EPO sur le Tour 1999. Floyd Landis et Tyler Hamilton, ex-coéquipiers, ont, à la fin des années 2000, incriminé le septuple vainqueur du Tour et ses méthodes. L’Agence française de lutte contre le dopage avait averti, en 2009, des difficultés pour le contrôler. Tout le monde savait, donc. Et tout le monde, ou presque, se taisait. Il y avait pourtant matière à s’interroger. Rares sont ceux qui l’ont fait.

On pénètre là les mécanismes de l’omerta. Le monde des intérêts partagés et des connivences occultes. A qui profitent le crime et sa non-dénonciation ? Au système. Et derrière ? Au business. De tous : fédérations, organisateurs d’événements, sponsors, sportifs, entraîneurs. Médias qui payent (23millions d’euros par an pour France Télévisions hors frais de production) pour diffuser le Tour et ne peuvent cracher dans la soupe. Le coureur et l’entraîneur se taisent pour ne pas être mis au ban et continuer à gagner leur vie, tous les autres cherchent avant tout à véhiculer de l’image positive pour attirer téléspectateurs, lecteurs, pratiquants, licenciés, consommateurs.

« Les coureurs sont des adultes, et au lieu de dire non, ils ont dit oui, expliquait Pat McQuaid, le président de l’Union cycliste internationale (UCI), en marge de l’annonce de la sentence. A la fin, c’est le coureur qui décide. Mais les éléments du rapport (de l’Usada) m’ont aidé à comprendre les pressions du système. » Il était temps ! Après quatorze années à l’UCI, autant à la fédération irlandaise, un passé de coureur amateur ayant refusé de passer pro pour ne pas céder au dopage... Faut-il que ces dirigeants soient aveugles ? Ou dépassés ? Ou complices ? Sans l’obstination d’un homme (Travis Tygart, patron de l’Usada), et celle de son administration, le système aurait continué à s’accommoder du cas Armstrong.

Les révélations sur l’ex-RDA, le sprinteur canadien Ben Johnson, l’affaire Festina, le scandale Marion Jones, l’affaire Puerto, Armstrong désormais, pour ne citer que les cas les plus célèbres, se suivent et se ressemblent. Tant que la lutte antidopage incombera aux institutions chargées de promouvoir leur sport, on peut le prédire, rien ne changera.

Ludo Sterman est journaliste et romancier. Il est est l’auteur de Dernier Shoot pour l’Enfer ((Fayard, 366 p., 19 euros).

* Le Monde.fr | 26.10.2012 à 14h19 • Mis à jour le 26.10.2012 à 15h59.

Ludo Sterman

Journaliste (Le Monde) et romancier, Il est l’auteur de Dernier Shoot pour l’Enfer ((Fayard, 366 p., 19 euros).

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