Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

À l’aube des États-Généraux du syndicalisme Penser la démocratie syndicale

Dans le monde ouvrier de l’automne 2021, on pouvait y lire que la FTQ se prépare à la tenue d’États généraux sur le syndicalisme 2024. Nouvelle combien enthousiasmante, la centrale énumère quelques problématiques que traverse le mouvement syndical : l’essoufflement du dialogue social, l’effritement de la solidarité syndicale, la judiciarisation des relations de travail, etc.

Par ailleurs, le philosophe Christian Nadeau, dans son livre intitulé « Agir ensemble », publié en 2017, se questionne à propos du marasme que traverse le mouvement syndical et propose même des pistes de solution. À l’aube des états généraux, les partisanes et partisans d’un syndicalisme plus combattif doivent saisir l’opportunité. Le livre de Nadeau peut aider les syndicalistes à réfléchir sur les moyens pour redonner les lettres de noblesse au syndicalisme

Le livre est structuré en quatre chapitres : philosophie de l’action collective, syndicalisme et vie démocratique, participer à la vie syndicale : quelques pistes et une démocratie syndicale pour démocratiser notre société. Dans son premier chapitre, l’auteur explique que le syndicalisme est vecteur de démocratie non pas seulement pour les membres de syndicat, mais pour l’ensemble de la société : «  De la célèbre grève d’Asbestos en 1949, en passant par l’adoption du Code du travail en 1964 et le Front commun de 1972, les syndicats québécois ont complètement changé l’univers des travailleurs en leur offrant des conditions dont ils ne pouvaient pas même rêver auparavant. Ils ont également créé un véritable rapport de force contre les élites politiques et économiques en protégeant des centaines de milliers de personnes contre l’arbitraire des plus puissants1  ». Donc, pour Nadeau, le syndicalisme dépasse le cadre des conventions collectives et permet aux syndicats d’être des acteurs dans la vie politique d’une société. Les syndicats ont ce potentiel d’amener un changement social.

Au deuxième chapitre, le philosophe avance quatre éléments qui viendraient selon lui, miner la participation des travailleurs syndiqués dans leur structure syndicale : la juridicisation du syndicalisme, le clientélisme et le maraudage, la professionnalisation du syndicalisme et l’autoritarisme. Tout de go, Christian Nadeau n’appelle pas à une remise en cause de la démocratie représentative, car selon lui, elle est nécessaire, mais fait plutôt la promotion d’une structure syndicale additionnelle plus axé sur la délibération. En effet, l’auteur distingue deux types d’assemblée ; celle qui est régit par des procédures et des codes (tel que le code morin à la CSN et le code Bourricot à la FTQ) et d’autres plus informelles, où l’ordre du jour est plus souple, plus enclins à la délibération. À la page quarante-neuf, il explique les limites de la démocratie représentative : «  Toutefois, si elles représentent d’excellentes méthodes pour en arriver à des choix collectifs, elles permettent difficilement ce que j’appellerai, pour faire vite, « la formation des préférences », c’est-à-dire la conception des options entre lesquelles il faudra ensuite choisir. Une assemblée informelle peut au contraire laisser place à une discussion ouverte où, peu à peu, on constate l’émergence d’idées, d’options, de questions, etc. L’assemblée formelle, structurée par un code, ne vise plus la formation des préférences, mais l’évaluation de ces dernières par un choix qui sera fait entre elles. Bien entendu, dans une assemblée informelle, il est aussi possible d’évaluer ce que vaut une idée, mais pas en fonction de considérations stratégiques (recevra-t-elle l’aval du groupe ?). Il s’agit vraiment de deux logiques et de deux types de participation très différents l’une de l’autre  ». Alors, pour contrer les effets néfastes des problèmes interne auquel font face les militant-e-s de la base, l’auteur propose de juxtaposer à la démocratie représentative, une démocratie plus directe, plus délibérative où il serait plus aisé de discuter d’idée sans provoquer un point d’ordre.

C’est au troisième chapitre que l’auteur est plus audacieux. Il propose même des idées qui dépassent l’imaginaire : des jurys « syndicaux », un budget participatif, des sondages délibératifs. Sans entrer dans les détails, ces idées permettraient la participation des membres à certaines prises de décision. Cela encouragerait la mobilisation et donnerait de l’empowerment aux militant-e-s de la base. À la page soixante-cinq, Nadeau explique : «  La participation et la représentation, si elles se traduisent dans des pratiques convergentes et bien organisées, permettront un aller-retour constant entre les demandes de la base et les réponses concrètes votées par les instances pour faire face à des problèmes précis, qu’il s’agisse d’ancienneté, de santé et sécurité au travail, ou encore de la rémunération du temps supplémentaire ».

Dans le quatrième chapitre, le philosophe concentre ses propos sur l’importance chez les syndicats d’assumer leur rôle de vecteur de changement social. Il traite de la question des alliances politiques avec les organisations progressistes, l’importance de développer un média de masse et jouer un rôle d’éducation.

Pour terminer, le livre de Christian Nadeau offre des avenues intéressantes pour qui voit le syndicalisme comme un vecteur de changement social et non comme un distributeur d’assurance à ses membres cotisants. À l’aube des États Généraux, il est important de participer aux débats si nous souhaitons construire un syndicalisme qui fait la promotion d’un projet de société. Laissons au philosophe le mot de la fin : « Le syndicalisme est une lutte collective. Pour agir ensemble, il faut penser ensemble. Et penser ensemble implique de parler entre nous. Partout on veut taire l’opposition pour imposer le silence devant les pires injustices. Si ce livre devait avoir un jour une suite, le prochain chapitre serait à écrire par celles et ceux dont il sera la voix. Oui, un philosophe peut jouer un rôle en offrant des propositions de travail pour la démocratie. Le vrai travail viendra toutefois de la volonté des femmes et des hommes qui sauront se donner les moyens de prendre la parole, car celle-ci est une liberté, un pouvoir, une émancipation. Et ainsi nous pourrons dire aux adversaires de l’égalité qu’ils n’auront jamais le dernier mot ».

Rémi Arsenault
SCFP 2881
Notes
1. Agir Ensemble : penser la démocratie syndicale, Christian Nadeau, Éditions somme toute, Montréal, 2017, p.291.

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