Au milieu des automobilistes ébahis que la municipalité n’avait pas pris soin d’écarter, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Lima le matin du mercredi 10 décembre. Ils étaient indigènes, syndicalistes, féministes, travailleurs, écologistes, altermondialistes, jeunes, ou tout cela à la fois. Ils étaient Péruviens, Latino-américains, Asiatiques, Africains, Nord-américains et Européens. Ils venaient proclamer, avec force couleurs, chants, danses et mises en scène leur besoin de justice, de transition sociale et écologique, de reconnaissance de leurs droits et de leurs luttes.
Qu’ils promeuvent les alternatives au système actuel, qu’ils rappellent la nécessité d’en finir avec les énergies fossiles, qu’ils protègent leur culture et leurs cultures, qu’ils exposent leurs luttes contre les projets miniers ou les projets de compensation carbone REDD, qu’ils dénoncent le rôle des multinationales ou l’inaction des gouvernements, leur union dans une marche pour le climat rappelait bien une chose : les changements climatiques sont le symptôme d’un système dysfonctionnel qui, chaque jour, ravage toujours plus de territoires, menace toujours plus de communautés, s’attaque toujours plus à ceux qui s’indignent.
Considérée comme la marche la plus importante sur le climat en Amérique latine, cette manifestation organisée symboliquement le jour des Droits de l’homme a prouvé avec toute l’énergie et l’inventivité de ses participants que la question climatique est une question de droits, une question sociale. « Queremos agua, no oro » (on veut de l’or, pas de l’eau), entendait-on en écho à la lutte des communautés péruviennes contre le projet minier orifère Conga. « Leave the oil in the soil » (laissez le pétrole dans le sol) rappelaient les Nigérians en combat contre Shell.
« Ne laissez pas les grandes entreprises diriger le monde » scandaient les Amis de la Terre International en résonnance avec les activistes de la Casa Tierra Activa, lieu de convergence où depuis deux semaines se préparaient les banderoles et les batucadas flamboyantes, qui, juchés sur un vélo ubuesque reprenaient un slogan célèbre des Andes : « Queremos chicha, queremos maiz, las transnacionales fuera del pais » (Nous voulons de la chicha [boisson à base de mais], nous voulons du maïs, que les multinationales sortent du pays).
"C’est notre climat, pas votre business"
Une action directe non violente dénonçant la tenue d’un sommet du secteur privé, a été tenue à l’issue de la marche. Quatre cent péruviens et internationaux se sont réuni devant l’hôtel Hilton en fin d’après-midi pour rappeler que les logiques de profit court-termiste causent les changements climatiques et les atteintes aux droits des communautés. En écho, les Jeunes Amis de la Terre Europe réunis à Bruxelles dénonçaient le parrainage de cet événement par la Banque européenne d’investissement, banque publique de l’Union européenne.
Bien mal dénommé, le World Climate Summit (Sommet Mondial sur le Climat) va, selon leur site web, « réunir la plus forte et influente coalition du business, de la finance et des gouvernements ». Sponsorisé par des institutions financières comme la Banque européenne d’investissement, des fonds d’entreprises ou des entreprises comme Alstom, le sommet compte parmi ses participants les grands pollueurs de la planète, entreprises ou acteurs financiers qui investissent de par le monde dans les énergies fossiles, nucléaire ou promeuvent les projets de compensation carbone ou la capture et le stockage du carbone.
Mais plusieurs gouvernements soutiennent aussi ce Sommet des multinationales. La France qui se prétend exemplaire en vue de la COP21 qu’elle accueillera en 2015 laisse sa ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, y donner une intervention.
Et maintenant ?
Les deux derniers événements internationaux de mobilisation sur le climat, la marche du 21 septembre à New York et dans le monde, et la marche de Lima, présentent des similarités. Toutes deux réussissent la convergence d’acteurs portant une diversité de sujets, de luttes et de modes actions. On l’a vu à New York avec la présence massive de mouvements sociaux marchant de concert avec les syndicats ou les associations écologistes.
Toutes deux ont montré la volonté de dénoncer les responsables du changement climatique, comme à New York où des milliers d’activistes non violents ont occupé le quartier de Wall Street le lendemain de la marche.
Présents à Lima, les mouvements français ont pu renforcer leurs liens avec la communauté internationale et mesurer la force de la construction du mouvement sur la justice climatique, qui, de la désillusion de Copenhague, en passant par le renforcement à Cochabamba, et la mobilisation contre la financiarisation de la nature à Rio +20, a agrégé les contestations et les alternatives au système. De Lima à Paris et au-delà. La lutte continue.