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Planète

Compromis ou radicalité, le mouvement écolo cherche sa stratégie

Alors que l’écologie a été propulsée au cœur du paysage politique et médiatique cette année, et que les mouvements écologistes s’étoffent, des débats stratégiques se posent. Comment discuter avec le gouvernement ? Comment parler aux classes populaires ? Reporterre lance la discussion. Enquête.

27 juillet 2019 | tiré du site reporterre.net

Le ton a été donné fin août 2018, avec la démission surprise de Nicolas Hulot. Ont suivi les marches et les grèves pour le climat, l’Affaire du siècle, la montée en puissance des actions de désobéissance civile, les mobilisations sur les Zad, le bon score d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) à l’élection européenne. En un peu moins d’un an, le mouvement écologiste a grandement gagné en coffre. La révolte des Gilets jaunes est venue le bousculer du côté social, étoffant ses questionnements et son champ d’action. Dans le même temps, le gouvernement a répondu à coup de forces de l’ordre nombreuses et équipées d’armes mutilantes, de renvois devant la justice, et d’une loi dite « anticasseurs » sur les manifestations.

Dans ce paysage bouleversé, quelles stratégies le mouvement écologiste peut-il adopter ? Reporterre a décidé de prolonger un débat commencé ici et ailleurs : la solution à la crise écologique passe-t-elle forcément par les institutions ? Peut-on encore discuter avec le gouvernement quand il mutile des Gilets jaunes, tue dans les banlieues ou gaze les activistes du climat ? Doit-on, pour amener à la cause écologique toujours plus de monde, adapter le discours ? Comment l’écologie peut-elle parler aux classes populaires ?

Au cœur de ces débats, réside d’abord la question du rapport à l’État. La frange électorale du mouvement pousse à une écologie plus institutionnelle, avec une stratégie de conquête du pouvoir. Certaines associations d’envergure nationale se spécialisent aussi dans le plaidoyer et interpellent le gouvernement sur les dossiers environnementaux.

« On limite la catastrophe, explique Alma Dufour, des Amis de la Terre, on tente de se fixer des objectifs gagnables avec des demandes concrètes pour éviter que ça empire. » Le logiciel se veut ici « radicalo-pragmatique » : « On ne se détourne pas complètement du gouvernement. On continue d’échanger avec lui tout en maintenant la pression par d’autres moyens. Notre méthode est pragmatique, notre horizon, radical. »

Pour David Cormand, secrétaire national d’EELV, « cela n’a pas de sens de ne pas du tout parler à ceux qui sont aux manettes quand il y a une telle urgence climatique. Cela ne veut pas dire qu’on est dupe. Après, la difficulté, quand on a affaire à Macron, c’est qu’il est particulièrement habile pour donner l’illusion qu’il s’empare d’un sujet ». Tous constatent qu’« il n’y a pas de sursaut politique, aucune rupture, comme le dit Maxime Combes, porte-parole d’Attac. Le gouvernement aménage simplement l’existant. Les mesures qu’il prend auraient pu être utiles il y a trente ans mais aujourd’hui elles ne sont plus à la hauteur des enjeux ».

L’action du gouvernement déçoit mais nombreux sont ceux qui le considèrent comme incontournable. « Est-ce qu’on a trois ans à perdre en attendant un nouveau gouvernement, s’interroge le réalisateur et ex-directeur des Colibris Cyril Dion. Si vous regardez les gouvernements successifs, il y a toujours des éléments qui pourraient nous faire dire que ce sont des criminels. On parle à qui alors ? On les décapite, c’est cela, l’alternative ? Dans la démocratie délibérative, en France, si vous n’allez pas discuter avec les élus, il ne se passe rien. »

« Le gouvernement a tenté de nous récupérer »

L’historien Christophe Bonneuil, co-fondateur de la revue Terrestreset co-auteur de L’événement anthropocène , alerte néanmoins sur les risques de cette institutionnalisation. « Au fil de l’histoire, les dispositifs de pouvoir ont toujours coopté le discours environnemental. Ils l’ont domestiqué. » À quel moment sert-on alors de caution ? Le chercheur indépendant et collapsologue Pablo Servigne fait une distinction entre « la participation au débat politique, nécessaire » et le fait d’être valorisé par ce milieu. « Nous devons refuser de parvenir, ne pas accepter les honneurs qui sont autant de pièges qu’on nous tend, n’être que des étrangers, de passage »
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Un chemin de crête se dessine. « Ne pas déserter complètement le champ institutionnel mais y avoir des pratiques subversives », pense Maxime Chédin, chercheur en philosophie de l’environnement. Il propose d’adresser au gouvernement des demandes « ingérables, par exemple demander une interdiction quasi totale du transport aérien, c’est une demande qui perturberait l’ordre actuel et obligerait à ouvrir un vaste débat que l’État n’a pas du tout envie d’engager ». Dans unelettre ouverte à Extinction Rebellion, John Jordan, un artiste habitant de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, met en garde les nouveaux activistes qui se mobilisent pour le vivant. « Je sais ce que l’on ressent quand le système, réalisant que nos victoires sont une menace pour sa survie, se retourne contre nous. » La répression n’est pas seulement policière. « Souvent, elle se faufile par-derrière, dans une stratégie d’assimilation et d’incorporation qui transforme nos actions. »

Sandy, du mouvement Youth for Climate (jeunes pour le climat), a bien observé ces mécanismes. « À maintes reprises, le gouvernement a tenté de nous récupérer. Il voulait instrumentaliser notre fraîcheur. » Lors de la première manifestation des jeunes en faveur du climat, Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, et Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ont défilé avec eux dans la rue. Ils les ont même invités à venir dans leurs ministères. « On a toujours refusé de les rencontrer, rappelle Sandy ; à quoi ça sert de discuter trente minutes avec des conseillers ministériels ? Tout a déjà été écrit et dit, les rapports, les études, les appels… Maintenant, il faut des actes et du courage. Notre discours doit se durcir. On a pris conscience que l’on n’avait pas que des alliés. »

Désigner des ennemis, voilà un autre point qui fait polémique. Si certains veulent renforcer l’antagonisme avec l’État ou avec les grandes entreprises, d’autres restent plus nuancés. « Évidemment, notre adversaire, c’est le système capitaliste financier, dit Cyril Dion. Mais nous en sommes tous partie prenante, drogués au consumérisme. On peut enlever Macron mais le libéralisme continuera, on peut supprimer deux entreprises mais cela ne changera pas le système. » Pour Maxime Chedin, au contraire, « il ne faut pas occulter le fait que les multinationales nous voient déjà comme des ennemis à neutraliser. Certains écolos pêchent par amnésie historique. On ne pourra pas réformer les élites au pouvoir. Je reproche à ce courant consensuel de désarmer l’écologie en la déconflictualisant. »

Articuler les modes d’action ?

Au gré des marches pour le climat et des mobilisations, ce désir de conflictualité croît dans la jeunesse, observe une membre de Radiaction, un groupe impliqué dans lesactions de désobéissance Ende Gelände. « Les jeunes veulent désormais mettre leur corps en jeu, ne pas se cantonner à l’indignation mais agir, prendre part à l’action avec des résultats concrets, en matière d’occupation et de blocage. »

Au niveau national, une limite à cette conflictualité semble cependant posée. Les grandes organisations, Alternatiba, ANV-COP21, Greenpeace appellent avant tout à la désobéissance civile non violente. Extinction Rebellion en a fait aussi son crédo. Localement, dans les luttes de territoires, le rapport à la violence et à l’action directe, lui, est plus pragmatique. Alors que les travaux de la gare ont débuté au triangle de Gonesse, le porte-parole des opposants au projet EuropaCity, Bernard Loup, l’admet, « Moi, affronter les gendarmes, je ne sais pas faire, je n’en ai pas la force. Mais si des personnes arrivent avec d’autres modes d’action, on ne condamnera pas, on les soutiendra. » À Notre-Dame des-Landes et dans la lutte contre le projet d’aéroport « deux leçons peuvent aussi être tirées », analyse Nico, un habitant de la Zad, « il a d’abord été nécessaire d’assumer une stratégie de choc frontal et d’affrontement direct avec l’État. Les gens se sont opposés physiquement, dans l’illégalité, grâce à des barricades, des jets de projectiles, des sabotages, tout en gardant l’assise d’un mouvement populaire. Ensuite, nous avons refusé de nous laisser endormir par les processus démocratiques et le piège du “référendum” ».

Ces différentes pratiques — le dialogue et le choix de l’illégalisme — sont-elles articulables ? C’est ce que veut croire Maxime Combes : « La combinaison de ces modes d’action bâtit le rapport de force. Ce n’est pas en opposant des actions prétendument radicales ou non radicales que l’on avancera. Mais, en tissant des liens entre différentes personnes et pratiques ». « Les résistances, les utopies concrètes et les institutions se complètent », pense David Cormand, qui appelle de son côté à une sorte d’union sacrée : « Parfois, on est plus enclins à regarder la petite différence entre nous que de faire corps contre nos vrais adversaires. Alors qu’aujourd’hui, toute la galaxie écolo n’a jamais été aussi cohérente. »

Mais ceci est contesté. Pour Christophe Bonneuil, « le discours du consensus est faux ». Les logiques peuvent s’avérer antagonistes, en fonction du contexte. Si, à Notre-Dame-des-Landes, on a pu observer une vraie articulation entre différentes pratiques, pourtant très éloignées, cela ne se reproduit pas toujours. Par exemple, aller à l’Élysée en pleine révolte des Gilets jaunes peut être vu par certains comme une forme de trahison par rapport à la base du mouvement, qui refuse toute délégation et négociation avec le pouvoir. Maxime Chedin ajoute que « la politique sécuritaire mise en place par les gouvernements successifs fait qu’il y a une espèce de préalable avant d’aller discuter. Il est difficile de discuter s’il n’est plus possible d’aller en manif à cause de la répression ».

« Le changement radical de société, on ne pourra pas le faire si on n’a pas tout le monde »

Ces stratégies et attitudes différentes face au pouvoir ont tout de même réussi à instaurer cette dernière année — en partie — ce rapport de force tant recherché. « Plus aucun responsable politique ne peut s’épargner d’avoir un discours sur l’écologie », observe Jean-François Julliard, de Greenpeace. Un premier succès qui apporte, entre autres, l’espoir de voir enfin une grande partie de la société se rallier à la cause écologique. « La massification est cruciale, insiste Léa Vavasseur, d’Alternatiba. Le changement radical de société, on ne pourra pas le faire si on n’a pas tout le monde. »

Réunir des masses, certes, mais quelles masses ? « Ce n’est pas parce qu’on sera 500.000 personnes à marcher que cela va changer la politique gouvernementale. Ce qui peut faire bouger le gouvernement, c’est la grève générale », affirme l’ex-députée écologiste, sortie de la politique institutionnelle, Isabelle Attard. « La massification est une garantie contre la répression. Mais ce n’est pas suffisant d’être une masse, la question est de savoir comment on lui donne de la puissance », s’interroge de son côté Alma Dufour, des Amis de la Terre. « L’essentiel, ce ne sont pas les rassemblements où l’on se compte, mais où l’on fait des gestes forts », poursuit Nico, habitant de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Il cite en exemple la manifestation d’octobre 2016 qui avait rassemblé 40.000 personnes venues planter leur bâton, affirmant par là symboliquement qu’elles viendraient défendre la Zad et qu’elles continuaient de s’opposer à l’aéroport. « Il y a d’autres indicateurs, ajoute Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. Un élément clé est aussi le fait que ça dure. Cela fait un an que la mobilisation climat tient, sous une forme jamais vue en France. »

« Il n’y a pas d’interrogation plus profonde sur les inégalités qui structurent notre société »

Un autre enjeu est celui du profil des participants au mouvement climat. Des sociologues les ont étudiés. Les participants se sont révélés majoritairement jeunes, diplômés et issus des catégories socioéconomiques supérieures. Des catégories sociales, qui, ironie de l’histoire, sont certes plus sensibilisées aux questions écologiques que la moyenne, mais polluent aussi davantage (notamment à cause des voyages en avion), comme l’avait constaté une étude du Crédoc. Et si les stratégies mises en œuvre dépendaient aussi de l’origine sociale de ceux qui les choisissent ?

« Cette sociologie a des effets considérables, estime Maxime Chedin. Les participants au mouvement climat expriment surtout une angoisse existentielle sur l’avenir et la stabilité de leur mode de vie. Il n’y a pas d’interrogation plus profonde sur les inégalités qui structurent notre société. »

Par ailleurs, le fait que la crise écologique concerne toute la planète a tendance à faire oublier qu’elle ne touche pas tous ses habitants de façon égale. Il vaut sans doute mieux vivre la canicule dans une maison secondaire entourée d’arbres à la campagne que dans un HLM de banlieue. Nous sommes tous dans le même bateau, mais nous n’y sommes pas tous égaux, rappelle Christophe Bonneuil :« Le capitalisme est aujourd’hui un navire dans la tempête climatique et écologique. Mais il ressemble moins à l’arche de Noé (trop d’espèces sont déjà éteintes et on ne peut réduire l’humanité à un bon berger mâle) qu’à un navire négrier : il y a l’armateur et les investisseurs, ces 1 % les plus riches, le capitaine, en France, c’est le gouvernement et sa politique, qu’on a vu dans le passé dramatique du commerce négrier jeter des esclaves à la mer pour mieux passer une tempête, les marins (aujourd’hui, les classes moyennes mondiales), et les esclaves enchaînés dans les cales (aujourd’hui, les ouvrières chinoises, les paysans africains, ou les plus affectés par les catastrophes climatiques ou par la précarité énergétique et sociale). »

Le mouvement des Gilets jaunes a cependant ravivé chez les écolos la réflexion autour des questions de justice sociale et d’écologie. « Nous, écolos petits blancs plutôt favorisés, on s’est pris un bon coup de pied aux fesses », estime Cyril Dion. Alternatiba et ANV-COP21, ont, à plusieurs reprises, organisé avec eux des blocages communs. Gilets jaunes et verts ont été invités à défiler au slogan de « fin du monde, fin du mois, même combat » aux marches pour le climat. « Le mouvement écolo au sens large n’a pas encore suffisamment fait sa transition sociale, explique cependant Jean-François Julliard. Les Gilets jaunes et verts, pour moi, cela n’a pas réussi, les deux mouvements n’ont pas vraiment fonctionné ensemble. Nous devons davantage parler aux autres mouvements sociaux. »

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