Les documents de l’ONU sont pourtant clairs : le but de cette année thématique est de « rehausser l’image de l’agriculture familiale et de la petite agriculture en focalisant l’attention du monde entier sur leur contribution significative à l’éradication de la faim et de la pauvreté, à l’amélioration de la sécurité alimentaire, de la nutrition et des moyens d’existence, à la gestion des ressources naturelles, à la protection de l’environnement et au développement durable, en particulier dans les zones rurales. »
Tout le contraire, si je ne m’abuse, de l’agriculture industrielle intensive et
intégrée, qui vide les campagnes, carbure au pétrole, aux engrais chimiques, aux pesticides et aux OGM, détruit les sols et la biodiversité, contamine l’eau, accapare les terres, réduit les agriculteurs au rôle d’employés à forfait, bref, détruit la santé des gens et de la planète, mine ses propres fondements et sa propre raison d’être. Ces fermes-là ne sont pas des fermes familiales.
L’agriculture du Québec n’est plus une agriculture familiale
Et non, ce n’est pas vrai que l’agriculture québécoise est encore largement une agriculture familiale. Le nombre de familles qui en vivent diminue constamment : entre vingt et trente mille. De plus en plus d’exploitations fonctionnent sous l’emprise d’un contrat d’intégration avec des intégrateurs industriels ou la Coop fédérée, qui sont propriétaires des animaux et parfois même des terres, dictent les méthodes de production, fournissent le financement, les intrants et les marchés.
C’est le cas de 100% des élevages de veaux, de 75% des élevages de porcs et de plus en plus de producteurs de poulets, de bœuf, de céréales et de légumes. Les fermes laitières familiales traditionnelles disparaissent rapidement, faute de relève capable de les reprendre, au profit de méga-vacheries concentrées dans le centre du Québec. Je vis entouré de belles étables vides. Les terres, devenues inaccessibles pour les jeunes, sont accaparées par les gros et les fonds d’investissement. Quant au modèle d’agriculture pratiqué, il repose sur les méthodes de production intensive, spécialisée, sur grandes surfaces ou hors sol, qui sont à l’opposé de
l’agroécologie et de l’agriculture intégrée à sa communauté. Les fumiers sont gérés sous forme liquide presque partout, au grand dam des sols et des cours d’eau. Les vraies fermes paysannes familiales ne dépassent sans doute pas 5000. Mille seulement sont certifiées biologiques. Une centaine sont accréditées par le Réseau d’Agriculture soutenue par la communauté (Équiterre) comme fermes de famille (paniers). Les deux tiers des aliments disponibles dans les supermarchés proviennent de l’extérieur.
Notre agriculture familiale, soyons honnêtes, est en déroute. Elle ne nourrit plus le Québec. Elles n’entretient plus le territoire. Elle ne fait plus vivre les
villages. Elle ne crée plus d’emplois dans la communauté. Elle est de moins en moins productive. Elle ne remplit plus les fonctions que l’ONU souhaiterait lui voir remplir. Et par dessus tout, elle n’a pas d’avenir et n’est pas la solution au défi alimentaire de la planète pour les prochaines décennies.
Nous avons donc toutes les raisons de nous interroger nous aussi, en 2014, sur le virage indispensable de notre agriculture, sur les moyens et les efforts qu’il faudrait faire passer de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture de proximité. Le problème n’est pas réservé aux pays du Tiers-Monde.
Malheureusement, l’UPA, le Ministère de l’Agriculture, les barons de l’industrie agroalimentaire et les journalistes improvisés dans le domaine vont tout faire, d’une seule voix, pour nous faire croire que le Québec est le royaume de l’agriculture familiale et qu’il n’y a rien à remettre en question chez nous à ce chapitre. Et ceux qui comme moi croient le contraire auront bien peu de tribunes pour se faire entendre. C’est la rançon du monopole syndical agricole. Mais là aussi, ne vous inquiétez pas, le ministre Gendron répète sur tous les toits que ce monopole n’est pas un problème important.