Tiré de El Watan.
Au final, la marche hebdomadaire a pu se tenir, globalement, dans le calme. Cependant, dès 16h, les forces de police sont intervenues avec autorité à Alger-Centre et ont brutalement chargé les manifestants.
Les citoyens présents dans le périmètre de la place Audin et sur le bas de la rue Didouche Mourad ont été matraqués sans ménagement, et de nombreuses interpellations ont été opérées dans la foulée.
Ces scènes de violence policière sont emblématiques du traitement que réservent les autorités depuis quelques semaines à l’opposition hirakienne.
Ce vendredi saint du mouvement populaire, le troisième depuis le début du Ramadhan et le dixième depuis la reprise des manifestations citoyennes dans l’espace public après la longue trêve sanitaire, intervient ainsi dans un contexte extrêmement tendu, marqué par une nouvelle campagne d’arrestations ciblant les hirakistes. Malgré ce contexte difficile, Alger a vibré une nouvelle fois ce week-end sous les cris et les clameurs rageuses des protestataires.
Le hirak algérois a été de nouveau porté ce 30 avril par les vagues fougueuses en provenance de Bab El Oued, de La Casbah et de la banlieue ouest de la capitale, qui sont venues fusionner, aux abords de la Grande-Poste et de la Fac centrale, avec les flots émanant de la rue Didouche Mourad et ceux en provenance de Belouizdad et de la place du 1er Mai.
A noter qu’à Alger-Centre, le cortège, qui a pris son départ depuis la mosquée Errahma et la rue Victor Hugo et qui affichait un niveau de participation inférieur aux vendredis précédents, s’est ébranlé beaucoup plus tôt que prévu, vers 13h10, la prière d’El Djoumouaâ ayant été expédiée avec une étonnante célérité.
Haro sur la « raison sécuritaire »
Ce que l’on peut retenir d’emblée de ce 115e vendredi du hirak, c’est surtout la dénonciation à l’unisson de la répression qui s’abat sur les opposants, les activistes et les journalistes. « Libérez les otages », « Harrirou el mouâtaqaline » (libérez les détenus) ont été furieusement scandés par les marcheurs. Ces derniers s’époumonaient également en répétant ce serment : « Ya el mouâtaqaline maranache habssine » (Prisonniers, on ne s’arrêtera pas). On pouvait entendre aussi : « Edirou wech edirou, maranache habssine » (Quoi que vous fassiez, on ne s’arrêtera pas).
L’appel à la libération inconditionnelle des militants et citoyens injustement incarcérés revenait sur plusieurs pancartes. « Libérez les détenus politiques », « Liberté pour les détenus, liberté pour les hommes libres », « L’Algérie est emprisonnée, libérez mon pays », peut-on lire sur nombre d’écriteaux. Une militante dénonce crûment le déchaînement sécuritaire ambiant : « Votre répression pousse au pourrissement. A bas la raison sécuritaire. Libérez les détenus », écrit-elle. La condamnation de la gestion autoritaire des mouvements sociaux était exprimée avec force sur d’autres pancartes. Une dame dénonce : « Le recours à la violence est un aveu d’échec ». Un hirakiste fait, pour sa part, ce constat : « L’uniforme bleu est le mur qui sépare le peuple de la liberté ».
Une enseignante déplore de son côté le placement de l’adolescent Saïd C. dans un établissement de protection des mineurs, loin de sa famille. « Ils sont en train de réprimer et d’emprisonner à tour de bras pour faire passer leurs élections législatives que nous rejetons avec force. Mais nous ne reculerons pas, nous ne céderons pas et nous continuerons à nous battre avec acharnement », fulmine cette prof. Ce même état d’esprit, cette pugnacité se lisaient à travers de nombreux panneaux hissés par les frondeurs, comme l’illustre cet écrit : « La propagande du pouvoir a échoué et c’est la répression qui a pris le relais. Mais rien n’entamera notre détermination ».
Dans la même veine, ces messages : « La révolution pacifique continue », « Le hirak est une énergie renouvelable », « Nous sommes unis, ce n’est pas fini », « Vous avez tout sauf le peuple. Vous ne le posséderez jamais. On n’est pas en Corée du Nord », « Celui qui n’a pas le courage de se révolter n’a pas le droit de se lamenter », « Celui qui vit dans la crainte ne sera jamais libre »… Dans le lot, cette pancarte soulevée par l’ancien détenu d’opinion Walid Kechida, où il écrit avec une pointe d’humour ramadanesque : « Nous sommes unis dans tout sauf (sur la question) chorba frik VS hrira ».
La marche violemment écourtée par la police
Par ailleurs, les manifestants ont vigoureusement exprimé leur solidarité avec les étudiants qui ont été embarqués mardi dernier. « Haggarine ettalaba » (Oppresseurs des étudiants), ont martelé plusieurs fois les marcheurs. Il y avait aussi ce mot d’ordre qui revenait : « N’har ethlatha maâ ettalaba » (Mardi avec les étudiants).
Il convient de signaler au passage la présence dans la marche d’avant-hier de plusieurs étudiants parmi ceux qui ont été interpellés mardi dernier, une façon de signifier qu’ils ne se laisseront pas intimider. « Ils m’ont conduit au commissariat de Sidi Moussa et ne m’ont relâché qu’en début de soirée », témoigne l’un d’eux. Un autre insiste : « Mardi prochain, il faut que les gens nous rejoignent en force. »
Autre message-clé des manifestations de ce vendredi 30 avril : le rejet des élections législatives. « Pas d’élections avec les gangs », « Non au vote ! » « Je ne vote pas contre l’Algérie », disaient quelques-unes des inscriptions arborées.
Un monsieur dénonce à travers un large carton : « L’Algérie nouvelle par la répression. Pas de vote sous la botte ». Une manifestante formule, quant à elle, cette réflexion : « Le Parlement n’a aucun poids devant les prérogatives du Président ». Autre fait marquant : la silhouette bienveillante de maître Ali-Yahia Abdennour – Allah yerahmou – était bien visible dans les cortèges. Un hommage appuyé a été, en effet, rendu au doyen des défenseurs des droits humains qui nous a quittés le 25 avril dernier à l’âge de 100 ans, et plusieurs manifestants brandissaient affectueusement son portrait.
Mohamed, l’un des hirakistes les plus classe, connu pour ses pancartes remarquablement soignées, affichait une bannière assortie de ces mots touchants : « Merci pour tout maître Ali-Yahia Abdennour. Le combat pour la dignité continue ». Comme nous l’avons indiqué, la marche de ce vendredi a été brutalement dispersée par la police moins de trois heures après le début des manifestations. Pourtant, rien ne justifiait un tel traitement, les processions citoyennes ayant, comme toujours, défilé dans le calme et en toute « silmiya ». « Marche pacifique violemment dispersée dès 16h à Alger.
Plusieurs interpellations des manifestants pacifiques à la fin de la marche à Alger et dans plusieurs wilayas du pays. Halte à la répression. La LADDH dénonce et rappelle le respect du droit », a réagi la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme à travers sa page Facebook. Même un intellectuel de la trempe de Abderrahmane Hadj-Nacer, l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, n’a pas été épargné par le zèle de la police. « J’ai fait un petit tour dans un panier à salade pour une photo prise vers 15h30 à Didouche. J’ai partagé un temps précieux avec 16 concitoyens très divers et très motivés. Le hirak va bien. J’ai été libéré deux heures plus tard, seul », a témoigné l’auteur de La Martingale algérienne via son compte Facebook.
L’interpellation de M. Hadj-Nacer a suscité un vive émotion, tout comme celle des autres personnes qui ont été victimes des violentes rafles de ce vendredi, et dont la majorité a fini par être relâchée.
Un message, un commentaire ?