C’est parce qu’un type lui a mis un jour une balle dans le buffet, que ce type était riche et qu’il lui a signé un gros chèque pour qu’il la ferme, que le Brésilien Vik Muniz a pu prendre un billet d’avion pour New York et commencer une vie d’artiste. Plasticien aujourd’hui mondialement reconnu, il emploie une partie de son travail et de son talent à briser la boucle de la misère dont il est miraculeusement sorti.
Portraits. Pour ce faire, Vik Muniz a mis au point une méthode exemplaire. Pendant trois ans, il est retourné au Brésil et a partagé l’existence des ramasseurs de déchets qui arpentent tous les jours la plus vaste montagne d’ordures du globe, bucoliquement nommée Jardin Gramacho, aux environs de Rio. Avec ces damnés du détritus, il a élaboré un projet artistique soutenu, nourri de leurs mots, de leurs goûts, de leurs rêves. Il les a observés, filmés, interrogés. Puis il les a fait poser pour des portraits qui leur ressemblent, parfois inspirés par la grande histoire (la Mort de Marat) ou articulés autour d’événements de leurs vies, souvent tragiques. Ces portraits de conception monumentale sont composés à partir des déchets que les catadores,ces intouchables modernes, collectent infiniment. Puis ces tableaux sont photographiés et ce sont ces tirages d’œuvres éphémères que Vik Muniz vend… au profit de ses modèles.
C’est ce processus édifiant sans être moralisateur, à la fois expérimental et produisant des effets concrets sur la vie des gens, que la cinéaste britannique Lucy Walker a enregistré pendant les trois ans qu’a duré l’aventure de la décharge Gramacho. Le résultat forme toute la matière de l’émouvant Waste Land dont la sortie concomitante avec le festival Cinéma du réel ne saurait être tout à fait un heureux hasard. Il n’y a pas de génie cinématographique particulier à saluer ou même de style très personnel dans la mise en scène de Waste Land. Peu importe : ici, c’est vraiment le sujet qui s’impose. Bien sûr, l’originalité, la cocasserie même, de la solution artistique mise au point par Muniz pourrait suffire à fasciner, mais ce sont très vite les personnes avec lesquelles l’artiste travaille qui dévorent tout l’écran de leur intensité et de leur implication, immédiate et agile, dans cet espace de liberté nouvelle qui vient de se créer sous leurs yeux. Jamais le film ou Muniz lui-même n’ont la démagogie d’en faire des artistes. Mais des acteurs vivants, empoignant et embrassant de toute leur vitalité et de leurs dons le destin qui se présente, oui.
Transfiguration. La question du danger de cette transfiguration évidente qu’ils subissent, et qu’ils expriment eux-mêmes, n’est pas éludée par l’artiste, ni par la documentariste : que (re)deviendront-ils après le passage de cette révélation ? D’évidents effets positifs se consolident chez certains. Pour d’autres, le film n’a pas honte, à l’heure du bilan générique, de nous donner des mauvaises nouvelles, qui n’étonneront pas davantage. Mais sur la qualité humaine de Muniz, son ingénieuse vigueur à détourner de l’intérieur le circuit de l’argent et de l’art et sa capacité à nous faire toucher du doigt une réalité presque utopique dans une microsociété au comble de la misère, Waste Land tient toute sa promesse.
Le DVD de ce documentaire sera disponible au Québec à cvompter du 29 mars.
La bande-annonce : http://www.youtube.com/watch?v=sNlwh8vT2NU