Édition du 12 novembre 2024

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Violences sexistes et sexuelles : le changement, c’est pour quand ?

À l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, et alors que s’est tenu à Lyon les 3, 4 et 5 mars 2022 le colloque « REPAIR ». Violences Sexistes et Sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge, les organisatrices Bérénice Hamidi, Professeure en sociologie des arts à l’Université Lumière Lyon 2 et Gaëlle Marti, Professeure de droit à l’Université Jean Moulin Lyon 3, appellent les candidat.e.s à la présidentielle à clarifier leurs propositions sur cet enjeu politique et de santé publique majeur.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Publié le 9 mars 2022

Un constat toujours aussi alarmant et indigne d’une démocratie

Les différents #metoo ont permis de prendre la mesure du caractère massif et structurel du problème des violences sexistes et sexuelles. La « libération de la parole » et de l’écoute a confirmé ce que les chiffres disent depuis longtemps. Chaque année, un demi-million de femmes majeures déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles, et 94 000 de viols et tentatives de viol. Dans 91% des cas, les victimes connaissent l’agresseur. Dans la moitié des affaires, il s’agit du conjoint ou de l’ex-conjoint. Par ailleurs, la moitié des agressions sexuelles ont lieu avant la majorité des victimes.

La réalité statistique des violences sexistes et sexuelles est loin de l’image qu’on s’en fait (une jeune femme agressée sauvagement par un inconnu armé au fond d’un parking). Ce n’est pas un fait divers a-normal et extra-ordinaire. C’est un phénomène de société ordinaire, banal et banalisé, et ce sont avant tout des violences intrafamiliales (violences conjugales et inceste). Dans plus de la moitié des cas, l’auteur est un membre de la famille, et dans 15% des affaires c’est un membre de l’entourage.

Les violences sexistes et sexuelles sont des violences de proximité, relevant de la sphère du proche tout au long de la vie : dans la famille, le cercle amical ou social, au sport ou à l’église, au travail. Les victimes sont en majorité des enfants et des femmes, mais aussi des hommes (en 2020, un tiers des 7 millions de Français s’étant déclarés victimes d’inceste étaient des hommes). Un autre chiffre mérite réflexion et action : dans 95% des cas, l’auteur de violences sexuelles est un homme [1]. Il est donc illusoire de prétendre résoudre le problème sans interroger les modèles de masculinité valorisés.

Une réponse insuffisante

Dans le même temps, l’impunité demeure massive et la prise en charge judiciaire défectueuse, particulièrement pour les faits les plus graves : plus de 70% des plaintes pour viol sont classées sans suite, et seuls 10% des viols font l’objet d’un dépôt de plainte. In fine, entre 1 et 2% des auteurs de viol seulement sont condamnés par la justice.

Certes, on peut noter ces dernières années certains progrès : la population est mieux sensibilisée et la lutte contre les violences sexuelles a connu des avancées législatives (sur les délais de prescription, le cyber-harcèlement, les outils de lutte contre les violences conjugales et la prise en compte du continuum des violences sexistes). La création de commissions indépendantes a permis de mettre en lumière le caractère systémique de ces violences dans différentes institutions (CIASE [2] et CIIVISE [3]).

Mais ces actions ne suffisent pas à initier un véritable changement, sur le plan de la prévention et du traitement des violences comme de la lutte contre la récidive.

Des pans entiers de la législation sont à revoir pour une prise en charge adaptée et efficace. Le cloisonnement entre le droit de la famille et le droit pénal constitue un problème de fond (aujourd’hui, un parent qui a commis des violences sexuelles sur son enfant conserve l’autorité parentale). Autre problème crucial : le manque de formation de tous les personnels des institutions en charge du traitement judiciaire policier·e·s, avocat·e·s et magistrat·e·s).

Changer les représentations pour améliorer les prises en charge

Ces problèmes ne sont en réalité que la pointe émergée de l’iceberg des dysfonctionnements. Pour les résoudre, il faut s’attaquer à une montagne immergée mais incontournable : les représentations sexistes,dont l’effet redouble le préjudice subi par les victimes qui osent parler à leur entourage ou à la police et à la justice.

Les procédures judiciaires et la couverture médiatique continuent à mettre en doute massivement la parole des victimes et à leur faire porter la charge de la culpabilité. Trop de procédures judiciaires continuent à invoquer le « syndrome d’aliénation parentale », pourtant invalidé par la communauté scientifique internationale. La tendance à blâmer les victimes ou à les accuser de mentir est plus forte aujourd’hui qu’hier [4].

Cette violence de la société à l’égard des victimes est la conséquence d’un déni. Car prendre la mesure que les violences sexuelles sont un phénomène de société implique de regarder en face une autre vérité crue : ces questions nous regardent, elles nous concernent tous, et pas seulement comme des spectateur·ice·s impuissant·e·s et innocent·e·s.

Nous connaissons tous des victimes. Nous connaissons tous des agresseurs. Certains d’entre nous sont victimes ou co-victimes. D’autres parmi nous sont auteurs de violences sexuelles, parfois sans le savoir. Tous et toutes, nous sommes des témoins potentiels. Notre responsabilité morale et parfois même pénale, est engagée, car notre refus de voir et d’entendre fait de nous par défaut des complices.

Nous devons apprendre à ouvrir les yeux et à ne plus les fermer.

Pour que les choses changent, il faut apprendre à voir, et pour cela, il faut changer les représentations : « dézoomer » la scène des violences sexuelles et la recadrer pour en donner à voir tous les acteurs. Il faut aussi questionner les mots qui servent à dire et à penser ces violences.

À la disqualification de la parole des victimes répond la sous-qualification des faits, entre méconnaissance du droit et préjugés favorables aux agresseurs. Il faut montrer la bataille sur le langage : « crime passionnel » ou « féminicide » ? « Mains baladeuses » ou « agression sexuelle » ? « Zone grise » ou « non-respect du consentement » ?

Certains termes aident à voir, d’autres continuent à maquiller et à romantiser les violences sexuelles, dans un contexte où une majorité de Français considère encore que les rapports de domination constituent un ingrédient nécessaire et normal des relations affectives et amoureuses.

Les violences sexuelles et sexistes, « grande cause » de l’élection présidentielle ?

Le président de la République a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la « grande cause du quinquennat ». Le bilan est mitigé, tant sur le plan du discours que des actes. Par ailleurs, on aurait pu espérer que la France se saisisse de la Présidence du Conseil de l’Union européenne pour faire de cette question un enjeu européen. La volonté politique a résolument manqué.

À la veille des élections présidentielles et législatives, la lecture des différents programmes amène à douter de la volonté d’un changement concret et ambitieux en la matière.

Nous demandons donc aux candidat·e·s de clarifier leurs positions et propositions sur cet enjeu de société et ce problème de santé public majeur :

Quelles actions concrètes seront mises sur la table du débat démocratique pour contrer la culture du viol, pour éduquer au consentement et à l’égalité de genre et pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?

Quelle politique de formation des acteurs de la prévention et de la prise en charge des violences sexuelles et sexistes, en particulier à l’école, dans les commissariats et les gendarmeries, dans les tribunaux et dans les prisons ?

Quels moyens seront mis en œuvre pour que la justice ait la capacité de traiter correctement les plaintes ? Pour que se mette en place une véritable politique d’accès au soin pour les victimes et de prise en charge des auteurs au-delà d’une réponse pénale unanimement jugée insuffisante ?

La question des violences sexistes et sexuelles n’est pas un sujet parmi d’autres. Nous devons savoir précisément l’idée que chaque candidat·e à la présidence de la République française se fait de la dignité humaine et de la façon dont le futur gouvernement de la France, pays des déclarations des droits humains, entend garantir un accès effectif aux droits humains pour tous et toutes.

[1] Enquête VIRAGE, enquête CVS du ministère de l’intérieur, Haut Conseil à l’Égalité, CIIVISE

[2] https://www.ciase.fr/

[3] https://www.ciivise.fr/

[4] Sondage Ipsos 2022

Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti

Bérénice Hamidi, Professeure en sociologie des arts à l’Université Lumière Lyon 2 et Gaëlle Marti, Professeure de droit à l’Université Jean Moulin Lyon 3

https://blogs.mediapart.fr/berenice-hamidi-et-gaelle-marti/blog/060322/violences-sexistes-et-sexuelles-le-changement-c-est-pour-quand

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