Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

Une réponse matérialiste à Achcar

Achcar nous propose une approche « matérialiste » de la guerre. Mais c’est un matérialisme assez original, qui n’exige pas une analyse sérieuse des intérêts des parties au conflit.

Tout ce qu’il faut apparemment savoir pour adopter une position socialiste correcte, c’est que la Russie, comme les États-Unis, est un état impérialiste, et que l’Ukraine, envahie par la Russie, est, comme le Venezuela, un petit état capitaliste. Et lorsqu’un grand état capitaliste (apparemment, par définition impérialiste parce qu’il est grand) en attaque un petit, la gauche doit soutenir ce dernier, au point de presser le rival impérialiste de l’envahisseur de livrer plus d’armes à la victime de l’agression.

Une approche aussi manifestement abstraite est sûrement tout le contraire d’une analyse matérialiste (et encore moins marxiste). Aucune analyse des intérêts qui motivent l’action des parties à la guerre n’est apparemment jugée nécessaire. Il n’est pas non plus nécessaire de s’enquérir des intérêts et du rôle de l’autre grand état, auquel nous sommes appelés à demander plus d’armes à la petite victime de l’agression.

Une telle analyse dépasse le cadre de ce bref commentaire. Mais on peut au moins mentionner quelques éléments qu’une analyse matérialiste de la guerre devrait prendre en compte pour développer une position raisonnée sur cette guerre.

États-Unis (OTAN)

-expansion constante de l’OTAN vers l’est face aux objections persistantes et véhémentes de la Russie
-abrogation d’importants traités avec la Russie de contrôle des armements nucléaires et stationnement de missiles à capacité nucléaire à quelques minutes de vol de Moscou
-soutien actif en 2014 au « changement de régime » violent en Ukraine qui a inauguré un régime pro-OTAN
-adoption en septembre 2021 du cadre de défense stratégique américano-ukrainien pour « renforcer le solide partenariat de défense stratégique entre le département américain de la Défense et le ministère ukrainien de la Défense »
-des mois d’avertissements des États-Unis sur une invasion russe imminente ; la demande persistante de la Russie pour la neutralité de l’Ukraine ; le refus persistant de l’OTAN de l’exclure
-refus de faire pression sur Kiev pour qu’elle respecte les accords de Minsk de 2015, qu’elle avait négociés et signés, appelant à une fin de sa guerre civile sur la base d’une mesure d’autonomie des régions du Donbass
- alors même que la guerre fait rage, le refus de l’OTAN de faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle négocie sa fin en proposant de déclarer sa neutralité et son appui pour des référendums sur le statut de la Crimée et du Donbass, supervisés au niveau international

On pourrait continuer longuement cette liste. Mais cela suffit pour montrer que les États-Unis et les autres états de l’OTAN sont des parties à la guerre, déterminées à combattre la Russie… jusqu’au dernier Ukrainien. Ils ne peuvent être exclus d’une analyse visant à déterminer une réponse socialiste appropriée.

L’Ukraine

-refus d’embrasser la neutralité
-refus d’appliquer les accords de Minsk, qu’elle a négociés et signés
-refus de respecter un minima les droits linguistiques-culturels de sa très importante minorité russophone
-influence bien documentée des éléments néo-fascistes au sein du gouvernement, en particulier de la police et de l’armée
-le décret de Kiev du 24 mars 2021 pour reconquérir la Crimée par la force, accompagné de son renforcement massif de l’armée dans le Donbass et dans le sud vers la Crimée
-à partir du 16 février 2022, l’OSCE signale une intensification majeure des violations du cessez-le-feu par l’armée ukrainienne contre des cibles civiles dans le Donbass
- le 20 février 2022 Zelensky à Munich déclare que l’Ukraine pourrait acquérir des armes nucléaires
-l’assassinat les 4 et 5 mars de Denis Kireev, négociateur ukrainien, et de Dm. Demyachenko, chef régional des services de sécurité de l’État à Kiev, considérés comme trop favorables à la Russie

La Russie

 invasion de l’Ukraine dans la poursuite de trois objectifs déclarés : « dénatsification », indépendance de deux provinces du Donbass, neutralité ukrainienne.

Alors que l’invasion de la Russie est clairement une entreprise criminelle qui mérite la condamnation la plus ferme, l’État ukrainien n’est pas une victime innocente. Il est un complice volontaire de l’impérialisme américano-OTAN, lui-même partie à la guerre.

Ce sont assurément des éléments nécessaires à une analyse matérialiste de cette guerre.

À la lumière d’une telle analyse, demander à l’OTAN de livrer davantage d’armes à l’Ukraine, c’est soutenir la poursuite de l’hémorragie et de la destruction de la société ukrainienne dans la poursuite d’objectifs qu’aucun socialiste ne peut soutenir. De plus, plus la guerre durera, plus l’emprise des forces néo-fascistes sur l’État et la société ukrainiens sera ferme.

La première préoccupation des socialistes doit être de sauver des vies et de soutenir la reconstruction pacifique d’une Ukraine démocratique. La gauche devrait se mobiliser et faire pression là où elle peut avoir une certaine influence vers ces objectifs, à savoir sur nos propres gouvernements. Nous devrions exiger qu’ils promeuvent un cessez-le-feu négocié et un règlement de paix basé sur l’offre par l’Ukraine de sa neutralité et son respect des accords de Minsk - ou alternativement, d’un référendum supervisé au niveau international sur l’indépendance du Donbass (et, si on veut, de la Crimée).

En même temps, nous devrions exiger la fin de la participation de notre propre État à l’OTAN en tant qu’alliance impérialiste criminelle.

David Mandel

Professeur retraité à l’Université du Québec à Montréal

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