Tiré de Recherches internationales, n° 122, octobre-décembre 2021, pp. 41-44
par : Chloé Maurel et Michel Rogalski
La contagiosité et la gravité de ce virus a amené l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à alerter la Chine puis tous les États membres, et finalement à déclarer l’état d’urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020, et à dénommer le phénomène « pandémie » le 11 mars 2020, les risques étant, dans tous les pays, la saturation des services de soins intensifs des hôpitaux et une mortalité dramatique, ainsi que la mise à l’arrêt de l’économie.
De nombreux pays ont décidé des confinements, plus ou moins longs. La situation s’installe pour durer avec des améliorations à l’été mais aussi l’apparition de plusieurs variants, notamment « delta » (apparu fin 2020 en Inde) puis « omicron » (apparu fin 2021 en Afrique du Sud). Les organisations internationales, non seulement l’OMS, mais aussi l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’ONU et l’Unesco, se consacrent à émettre des avis et recommandations pour soutenir et orienter l’effort des États1 . Le Covid-19 aurait provoqué dans le monde au 1er janvier 2022 305 millions de malades et près de 5,5 millions de morts, chiffre qui selon plusieurs spécialistes serait fortement sous-estimé. Au niveau régional, au sein de l’Union européenne, l’Eurosystème débloque rapidement 3000 milliards d’euros de liquidités, versés aux banques, et achète des titres de dette à hauteur de 1000 milliards d’euros, pour soutenir la lutte des États contre la crise engendrée par la pandémie. En France, l’État assure des aides aux patrons, aux salariés, et aux indépendants, comme le chômage partiel, bénéficiant à près de 9 millions de salariés, pour éviter un effondrement social. Parmi sept États analysés par l’OCDE, la France est le pays dont le revenu par habitant a le moins baissé (-0,3%), ce qui démontre l’efficacité des mécanismes de protection sociales mis en place par le gouvernement.
Plus largement, comment la pandémie a-t-elle influé sur les relations internationales, sur la géopolitique, sur l’économie mondiale ? Quelles mutations, sociales, technologiques, mentales, a-t-elle suscitées ? Avec le lourd tribut payé par les États-Unis, signe-t-elle la confirmation du déclin états-unien sur la scène internationale, amenant un monde « post-américain », au profit notamment de la Chine ? Comment le multilatéralisme, la coopération internationale, s’en sortent-ils ? Quelles difficultés se posent pour la nécessaire coopération sanitaire internationale ? L’échec du dispositif vaccinal Covax, initiative ayant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre le covid dans 200 pays, lancée par l’OMS et l’ONU, illustre les difficultés du multilatéralisme.
Pourtant, le multilatéralisme apparaît plus que jamais nécessaire, puisqu’il apparaît clairement que le virus ne pourra être éradiqué que de manière mondiale, il a fait apparaître à quel point nous sommes tous interdépendants, il faut donc que les pays riches partagent le vaccin et les traitements avec les pays pauvres. L’appel à la levée des brevets sur les vaccins doit donc être soutenu, et entendu des grandes puissances et des grands laboratoires. Les profits de ces derniers se sont envolés, et les inégalités se sont accrues considérablement depuis le début de la pandémie. Par ailleurs, la pandémie nous a amenés à redéfinir nos modes de vie (beaucoup de déménagements loin des grandes villes, un véritable « exode urbain »), à utiliser davantage la technologie (visioconférences, télétravail, essor des plates-formes numériques, de l’ubérisation, des livraisons), à nous déplacer moins (diminution des trajets en avion et en voiture, ce qui eu pour effet collatéral positif d’améliorer la qualité de l’air, montrant que cette pollution n’était pas irréversible). Les discours contradictoires et oscillants portés par les autorités et les revirements des politiques – de la santé d’abord avec le « quoi qu’il en coûte » jusqu’au tout pour éviter le confinement – ont désorienté les opinions publiques, offrant ainsi prise aux discours septiques voire complotistes clivant la société travaillée par les peurs ou l’incrédulité.
Que restera-t-il des libertés individuelles manifestement écornées sur l’autel des décisions publiques et des mécanismes de contrôle social imposés ? Comme toujours dans ce domaine les mesures d’exception ont tendance à s’installer durablement dans l’arsenal juridique. Les réticences rencontrées doivent beaucoup à ces inquiétudes qui ont gagné jusqu’aux plus hauts sommets des Nations unies2 . Cette crise amènera-t-elle, lors de son issue, d’importants progrès sociaux, comme cela a été le cas après les deux guerres mondiales ? Que reste-t-il du questionnement un temps initié sur « l’après » ? Le débat imaginatif semble avoir bien vite sombré, après les « je vous l’avais bien dit », vers le comme avant et plus qu’avant et au plus vite. Que comprendre de ces revirements de la doxa économique tant au niveau national qu’européen ? Faut-il en déduire l’inanité du discours précédent ? La reconnaissance des biens publics mondiaux comme la santé a-t-elle progressé ?
On ne peut que poser de façon renouvelée la question de l’intrusion massive des intérêts privés dans le secteur de la santé et du rôle de ses grands acteurs comme l’a montré l’obligation imposée à l’Union européenne de dissimuler le contenu de certaines clauses des accords commerciaux passés avec les principaux fournisseurs de vaccins. Les politiques mises en œuvre ont essentiellement consisté à camoufler l’indigence du système de santé public méticuleusement démantelé par les mesures libérales appliquées depuis des décennies en orientant la vindicte sur des mauvais citoyens devenus au final boucsémissaires responsables de la pandémie. Celle-ci a également révélé massivement l’inégale position des individus selon leur localisation sur la planète et selon leur situation sociale. Elle a confirmé que les inégalités sociales, au sein des pays et entre eux, reste une question majeure de notre siècle
Notes
1.1 Cf. Chloé Maurel, « Grippe espagnole et coronavirus : pourquoi le contexte est très différent », The Conversation. fr, 21 mars 2020, en ligne sur : (consulté le 09/01/2022). 43 Présentation Dossier
2 Préoccupation portée par Antonio Guterrès : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et adopté des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants, et entraver le travail des organisations non gouvernementales. […] Les restrictions liées à la pandémie servent d’excuse pour miner les processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques. » (Extraits de son intervention au Conseil des droits de l’Homme, le 22 février 2021) 44 Chloé Maurel et Michel Rogalski Dossier
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