Democracy Now, 23 novembre 2023
Traduction, Alexandra Cyr
Amy Goodman : Il qualifie cette politique de « courte-vue, destructive et contradictoire ». Il a été directeur des affaires au congrès et publiques au Bureau des affaires de politique militaire du Département d’État. Ce Bureau supervise les ventes d’armes à Israël et à d’autres pays.
Dans sa lettre de démission, il explique : « Nous ne pouvons être à la fois pour et contre l’occupation. Nous ne pouvons être en même temps pour et contre la liberté. Nous ne pouvons être pour un meilleur monde en contribuant à le rendre pire. Du plus profond de mon cœur, je suis convaincu que la réponse d’Israël telle que soutenue par les États-Unis, qui maintient le statut quo sur l’occupation, ne peut que générer plus de souffrances aux peuples israéliens et palestiniens. Et ce n’est pas dans l’intérêt des États-Unis à long terme ».
J’ai demandé à Josh Paul de nous parler des raisons qui l’ont amené à démissionner.
Josh Paul : Merci. J’ai décidé de démissionner pour trois raisons. Premièrement, et c’est le plus impératif, les armes que les États-Unis fournissent ne devraient pas servir à massacrer des civils.es, ne devraient pas aboutir à faire des victimes collatérales massivement. C’est un constat qui ne se discute pas. Mais, c’est ce que nous observons à Gaza depuis très tôt après l’horrifique attaque du Hamas le 7 octobre. Je ne crois pas que les États-Unis devraient fournir des armes pour tuer des civils.es ; simple comme ça.
Deuxièmement, je crois aussi (…) qu’il n’y a pas de solution militaire dans cette affaire. Nous fournissons des armes à Israël avec l’idée qu’il n’y a pas de voie vers la paix et la sécurité ni pour les Palestiniens.nes ni pour les Israéliens.nes, que le processus qui y mènerait est moribond, devenu un cul-de-sac.
Nous avons essayé d’éveiller la direction du Département d’État à ces deux considérations mais le désir d’en discuter n’y était pas. Il n’y avait pas de possibilités d’examiner le potentiel des ventes d’armes et aucune préoccupation à ce sujet. Simplement une directive d’aller de l’avant et le plus vite possible. Donc, j’ai compris que je devais démissionner.
A.G. : Parlez-nous un peu plus de cela. Parlez-nous du genre de dialogue qui règne au Département d’État et par exemple, si vous le pouvez, nous dire si vous avez rencontré Antony Blinken le Secrétaire d’État ou peut-être le Président lui-même pour exprimer vos considérations. Et d’autres collègues séniors du Département ?
J.P. : Le processus des transferts d’armes au Département d’État est très consistant. Il y en a beaucoup n’est-ce pas ? Nous parlons d’environ 20,000 cas de ventes d’armes par année qui sont supervisées via le processus du Département d’État. Ce peut être de tout depuis des balles jusqu’à des radios pour les avions de combat. Pour chacune de ces situations, il y a un examen étendu, par exemple en cherchant les pours et les contres de la vente, quelles seront les retombées pour le respect des droits humains. Ça ne s’est pas produit dans le cas d’Israël. Et, comme je l’ai dit, quand j’ai émis des objections parce que cela contrevenait aux lois et politiques en place, je n’ai pas eu de réponse.
Personnellement, je n’ai pas parlé au Secrétaire Blinken à ce sujet ni au Président Biden, mais je sais que depuis que je suis parti il y a d’intenses discussions à ce sujet au Département qui n’ont toutefois pas abouti à un changement de pratiques. Hier, la Vice-Présidente Harris déclarait que nous ne devions pas émettre quelques conditions que ce soient à nos ventes d’armes à Israël. Je n’ai jamais vu cela dans toute mon expérience. Il y a toujours des discussions pour savoir si nous devons poser des conditions en rapport avec l’enjeu des droits humains.
A.G. : Qui mène cette situation ? Qui empêche cela ? Qui élimine toutes les discussions au Département d’État ?
J.P. : Honnêtement, je pense que d’une certaine manière, cela vient du sommet du gouvernement, de la Maison blanche. Beaucoup de personnes, au Département d’État et à travers le gouvernement m’ont contacté au cours des dernières semaines après ma démission, pour m’offrir leur appui mais aussi pour me dire à quel point elles trouvent difficile et horrible la politique américaine. Et elles se font dire, quand elles soulèvent ces questions : « Vous pouvez avoir de l’aide psychologique si vous trouvez cela difficile. Ou nous allons trouver quelqu’un.e d’autre pour faire ce travail. Mais ne remettez pas la politique en question parce les ordres viennent d’en-haut ».
A.G. : Le HuffPost publie un article qui rapporte ceci : « Un groupe de travail sur la prévention des atrocités ne s’est réuni que deux semaines après le début de cette guerre. Des fonctionnaires affirment que les dirigeants.es du Département leur disent que leur expertise n’aura pas d’influence sur la politique ». Expliquez-nous ce qui se passe, (s.v.p.).
J.P. : Alors, quand il y a une crise, peu importe quand, et il y en a une en Israël et à Gaza en ce moment, le Département constitue un ou des groupes de travail qui sont conçus en fonction de la crise en cause. Par exemple, pour un tremblement de terre vous pouvez introduire des experts.es sur l’enjeu des réfugiés.es, du climat, des maladies etc. C’est une sorte de large variété de personnes.
Pour ce qui est de Gaza, ils ont constitué ce groupe de travail avec le mandat d’examiner le problème. Mais selon l’article que vous venez de citer, ni le Bureau des populations, des réfugiés.es et des migrations qui sont responsables de l’appui américain aux réfugiés.es n’y ont été invités. Ou bien il s’agit d’un examen plutôt étonnant à moins que ce soit une ignorance intentionnelle pour l’humanité des civils.es palestiniens.nes à Gaza.
A.G. : Une source du Département d’État vous aurait dit que lors d’une réunion le 26 octobre, ils avaient rappelé un haut fonctionnaire qui a avisé le groupe de ne plus s’arrêter sur le conflit palestino-israélien et de chercher à être plus pertinents.es dans d’autres parties du monde ?
J.P. : Je ne pense pas que j’ai eu ce genre de conversation avec une personne mais cela vient du même article du Huffington Post que vous avez cité.
A.G. : Donc, ils se font dire de ne faire aucun commentaire à ce sujet, de cesser de parler d’Israël et de la Palestine.
J.P. : C’est ça. Je pense que c’est le reflet d’une tension ou d’une censure. On n’observe cela que dans le gouvernement des États-Unis. Ce qui est intéressant ici, c’est que cette censure existait déjà et s’est étendue dans les collèges et les universités (…). J’ai aussi entendu de la part de plusieurs personnes dans le secteur privé, que ce soit la communauté arabo-américaine mais aussi plus largement, ce genre de propos : « Nous avons peur de nous exprimer publiquement à ce sujet, nous avons peur de perdre nos emplois ». Ce climat règne aussi dans le gouvernement. Et pas qu’aux États-Unis.
A.G. : Quelle est votre opinion à propos d’un article de In These Times qui rapporte que la Maison blanche a demandé un changement sans précédent (dans la réglementation) en matière de dépenses militaires, pour pouvoir vendre des armes à Israël dans le secret absolu, sans implications du Congrès ?
J.P. : Oui. Nous fournissons à Israël une valeur de 3 milliards 3 millions de dollars du budget d’aide militaire à l’étranger qui est le mécanisme du Département d’État et du gouvernement américain pour la vente d’armes à des pays étrangers. En excluant l’Ukraine nous dépensons environ 6 milliards de dollars en financement militaire dans le monde. Donc Israël reçoit plus de la moitié de ce montant.
La formulation de la requête pour des suppléments de la part de l’administration Biden retire l’obligation d’avertir le Congrès de quelque vente d’armes que ce soit venant de ce fond. Normalement, le processus en la matière exige que pour toute vente importante d’armes le Congrès soit avisé. Et, même avant l’avis formel, le Congrès peut poser des questions, fouiner, reporter sa réponse et, s’il veut, s’opposer à la vente. Il peut présenter une motion dans ce sens à la Chambre des représentants. Avec la nouvelle disposition demandée par l’administration, cette exigence est éliminée, la surveillance du Congrès est exclue de même que sa capacité à s’objecter. C’est sans précédent. Je n’ai jamais rien vu de tel. Et je ne peux imaginer que les comités impliqués et les juridictions aient vu cela d’un bon œil. C’est une approche si dommageable qui crée un horrible précédent pour d’autres pays avec qui de futures administrations pourraient décider de ne pas voir le Congrès se mêler de ces affaires.
A.G. : Puisque vous avez été responsable des ventes d’armes, que représente ces 14 milliards que les deux chambres semblent sur le point d’autoriser pour Israël ? Malgré que ce soit controversé. (La majorité républicaine à la Chambre) veut piger cette somme dans les impôts au Département de la collecte des impôts (IRS) et veut aussi y couper le financement à Israël mais compenser en pigeant dans celui prévu pour l’Ukraine. Chuck Schumer, le leader de la majorité au Sénat a déclaré qu’il ne retiendrait pas ce projet de loi. Mais, on entend qu’il y aurait suffisamment d’appuis dans les deux chambres pour qu’un surplus de 14 milliards soit versé (à Israël) qui ne tiendrait pas compte des 3,8 milliards ou 3,3 milliards d’aide déjà attribués. Vous êtes expert en ventes d’armes. Pour quelles fins serait-il utilisé ?
J.P. : Je veux d’abord dire que les appuis au Congrès pour cette poursuite de l’aide militaire à Israël sont presque unanimes. Si vous vous référez aux sondages, vous pouvez constater le fossé qui existe entre le Congrès et la population sur cet enjeu. Je pense que la crise actuelle cristallise cette différence. Je ne crois pas que ça change quoi que ce soit pour l’adoption de ce montant d’aide, mais plus tard cela pourrait être le cas.
Pour ce qui est de ce montant spécifiquement. Il inclut 3,5 milliards de dollars de financement militaire étranger. Israël peut se servir de cela pour acheter tout ce qu’il veut. Mais ce qui est inhabituel, en plus de retirer la surveillance par le Congrès, c’est qu’Israël serait autorisé, selon la proposition déférée au Congrès, de dépenser tout cet argent pour sa propre industrie de défense. Israël fait partie du club des 10 pays qui exportent le plus d’armes au monde et se trouve souvent en compétition avec les États-Unis. L’idée que nous allons lui donner les fonds pour subventionner cette compétition est inimaginable.
En plus de tout cela, le montant prévoit de futurs financements de la part du Département de la défense, pour la défense aérienne et des missiles d’Israël pour son « Iron Dome ». Ce qui me préoccupe c’est l’aspect meurtrier de cette aide à Israël. S’il s’agit de protéger les civils.es des roquettes, je suis d’accord. Je ne crois pas que qui que ce soit devrait avoir peur de vivre dans sa maison. Mais je crois quand même qu’il n’y a pas de différence que ce soit en Israël sous le « Iron Dome » ou à Gaza. Mais, bien sûr nous ne posons jamais cette question.
Cette aide servirait aussi à la recherche et au développement pour certains équipements tels le projet expérimental au laser appelé « Iron Beam ». Israël et les États-Unis y travaillent conjointement. Il s’agit d’un système de défense aérienne et de missiles. Si nous travaillons à une aide d’urgence, pourquoi nous intéressons-nous à des projets de recherche et développement qui n’ont pas encore vu le jour ? Pour moi ça ne me parait pas être une urgence. Comme les transferts pour les achats d’armes quand j’ai quitté le Département d’État. Il me semble que ce n’est qu’une course vers l’avant pour avoir tout ce qui est possible pendant que la fenêtre d’opportunité politique est ouverte et que donc, il n’y aura pas d’opposition réelle.
A.G. : Quelles ont été les réactions à votre démission ?
J.P. : « Nous sommes tout-à-fait d’accord avec vous ». Voilà ce que j’ai entendu de la vaste majorité des gens, de mes collègues non seulement au Département d’État mais partout dans le gouvernement, à l’administration de la Chambre des représentants, au Département de la défense, de la part des services militaires y compris de commandants en armes autour du monde. Vous savez, chacun est dans son propre environnement mais, je pense que si nous avions un système de santé universel, les gens seraient plus à l’aise pour lutter pour leurs principes. Je suis en train d’examiner comment je vais pouvoir m’organiser pour mes propres soins de santé. Mais, ce qui compte ici, c’est que ces gens m’ont contacté pour me dire qu’ils m’avaient entendu et qu’ils étaient d’accord avec moi.
Une des évidences qui m’a été manifestée, c’est que beaucoup de fonctionnaires peuvent se dire : « Je ne peux rien dire parce que je vais perdre mon emploi. Je vais mettre ma carrière en danger et il n’y a personne d’autre avec qui je peux parler de cela ». (…) Je suis donc convaincu que nous sommes face à une crise de communications, de transparence dans le gouvernement américain, une crise des politiques parce que quand vous ne pouvez débattre de celles concernant la politique étrangère, cela ne mène pas à de bonnes politiques.
A.G. : Josh Paul qu’elle a été l’extrême limite pour vous ? Par exemple en tant que chargé des ventes d’armes, probablement avez- vous dû traiter avec l’Arabie saoudite, gouvernement autoritaire notoire. Les agences américaines ont conclu que le meurtre de Jamal Khashoggi, avait été décidé par le Prince héritier Mohammed ben Salman ; et ce n’est qu’un cas. Vous avez probablement supervisé des ventes d’armes à ce pays. (Qu’y a-t-il de différent) avec Israël ?
J.P. : Laissez-moi clarifier les choses. J’étais un parmi une foule de fonctionnaires impliqué dans les ventes d’armes qui découlent de l’autorité présidentielle déléguée au Secrétaire d’État et ensuite au sous-secrétaire qui a la responsabilité de les approuver pour la plupart. Mais vous avez raison. Comme je l’ai souligné dans ma lettre de démission, j’ai eu affaire à plusieurs cas de ventes controversées, dérangeantes moralement.
Je pense que ce qui a fait la différence pour moi dans ce cas, c’est que dans tous ces cas antérieurs, même sous l’administration Trump, ce qui n’est pas rien, il y avait de la place à la discussion, au débat, avec la possibilité d’amoindrir les retombées les plus terribles : reporter les ventes jusqu’à ce qu’une crise se termine par exemple, ce qui faisait que nous ne contribuions pas immédiatement à une crise humanitaire. Il était possible de travailler avec le Congrès en ayant confiance qu’à la fin du débat sur la politique en question au Département d’État, la conclusion serait introduite dans la loi votée. Dans le passé, le Congrès a tenu compte des retombées des ventes d’armes sur les droits humains. (Cette fois), il n’y a pas eu de débat, aucune possibilité de débattre, aucune envie de le faire.
A.G. : Demain, il va y avoir une grande manifestation à Washington. 350 personnes ont été arrêtées à Philadelphia. Nous allons diffuser des extraits d’une manifestation très importante à Boston hier soir. Quelle portée ont ces manifestations populaires : les milliers de personnes qui protestent à travers le pays, la fermeture de la station Grand Central par des groupes juifs vendredi soir dernier ; ont telles un impact sur le Département d’État et la Maison blanche ?
J.P. : Je ne pense pas que cela affecte beaucoup le Département d’État. Et c’est correct ainsi car, je pense que les processus qui guident les politiques sont conçus pour se passer dans un cadre précis (…) le problème étant que ce n’est pas le cas ici.
Je pense que la Maison blanche les entend. Le ton y a changé durant les dernières semaines, pas parce que tout-à-coup il y a un profond intérêt pour les pertes des civils.es palestiniens.nes ou leurs valeurs intimes, mais parce que l’idée que nous sommes dans une crise politique ici, est devenue plus évidente pour l’administration Biden. Beaucoup, (dans la population) répètent : « Nous allons perdre la prochaine élection. Nous avons perdu confiance dans la Maison blanche et dans l’administration ». Donc je pense que cela a un impact.
Je dois dire que j’ai trouvé ces protestations vraiment émouvantes quand je les ai vues. J’étais à Washington pour des réunions cette semaine et je suis arrivé face à face à un « sit-in » dans un bureau ; un groupe d’étudiants.es juifs.ves chantaient des chants de paix et tenaient des affiches intitulées : « Sauvez Gaza ». C’était très émouvant. Je pense que cela disait au Congrès et à l’administration qu’ils ne sont pas en phase avec une grande partie de l’opinion américaine. C’est un message qui s’impose selon moi.
A.G : J. Paul est un haut fonctionnaire du Département d’État qui y a travaillé à la supervision des ventes d’armes avant démissionner en octobre dernier.
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