Édition du 19 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Turquie : Erdoğan en tête de la présidentielle, l’opposition déchante

Déjouant les pronostics, le score élevé du président turc Recep Tayyip Erdoğan – 49 % des suffrages dimanche– fait craindre une défaite de l’opposition pour le second tour du 28 mai. Kemal Kiliçdaroğlu, candidat de la coalition d’opposition, ne réunit que 45 % des voix.

Tiré de Médiapart.

Istanbul (Turquie).– La déception est rude pour l’opposition turque, que plusieurs enquêtes d’opinion plaçaient potentiellement victorieuse au premier tour de l’élection présidentielle, organisée dimanche 14 mai. Avec 49 % des suffrages, c’est le président Recep Tayyip Erdoğan qui se place en tête pour le second tour à l’issue des élections du 14 mai. Candidat de la coalition d’opposition, Kemal Kiliçdaroğlu ne réunit que 45 % des voix. « Nous allons l’emporter au second tour », a cependant affirmé le leader d’opposition lors d’une déclaration publique dans la nuit de dimanche.

Une victoire au second tour est en effet toujours possible pour l’opposition, qui devrait bénéficier d’un report des voix de Sinan Oğan (extrême droite d’opposition), troisième candidat qui a rassemblé 5 % des électeurs et électrices. Sa base électorale est résolument opposée au président turc mais ne voit pas d’un bon œil la proximité de l’opposition avec le parti prokurde HDP et la gauche radicale, qui ont fait le choix, eux, de ne pas présenter de candidat au premier tour pour tenter de favoriser la coalition d’opposition.

Pourtant, dimanche matin, l’ambiance était à l’espoir dans les bureaux de vote de l’arrondissement stambouliote de Sisli : « Pour la première fois, je suis sûre que l’on va l’emporter, les gens veulent pouvoir parler librement, que la justice redevienne indépendante, que des gens compétents reprennent la barre de l’économie », estimait Gökçe, trentenaire venue voter avec une amie. « Je n’ai connu que ce pouvoir depuis ma naissance et j’ai vu la situation se dégrader au fil des ans. Ça suffit, cette fois ils vont partir », espérait pour sa part Tibet, prothésiste dentaire de 23 ans.

Réjouissances nocturnes chez les partisans du pouvoir

Dans la soirée, dès 19 heures, c’était le président turc qui était donné vainqueur dès le premier tour avec une large marge par l’agence de presse officielle Anadolu. Un épisode récurrent de la guerre des nerfs entre les deux camps, dont la dernière occurrence remonte aux élections municipales de 2019, où les médias et agences officielles donnaient le candidat islamo-nationaliste vainqueur, avant que l’opposition ne l’emporte une fois tous les bulletins dépouillés.

Cette fois aussi, au fil des heures, le score du Reis s’est affaissé jusqu’à descendre sous la barre des 50 %, sans pour autant entamer le moral de ses supporters, qui fêtaient prématurément leur victoire. Plusieurs centaines d’entre eux s’étaient ainsi rassemblés à Istanbul dans le quartier de Sütlüce, non loin du siège de l’AKP, le parti présidentiel, brandissant drapeaux et fanions, entonnant, noyés sous les klaxons, des chants à la gloire de leur champion. « Il a gagné ! C’est le plus grand leader du monde ! », s’enthousiasmait Gülçin, une jeune femme aux épaules drapées d’un drapeau turc et dont le bras levé formait avec trois doigts le signe du loup, geste de ralliement de l’extrême droite turque.

Une gestuelle reprise par la majeure partie des fêtards, alors que le MHP, indispensable allié d’extrême droite de l’AKP, a réuni 10 % des voix lors des élections parlementaires, qui se tenaient le même jour. Un score qui a déjoué tous les pronostics et qui équivaut à celui obtenu par la coalition du parti prokurde et de la gauche radicale, qui obtient, elle, un résultat plutôt décevant. Le principal parti d’opposition, le CHP, voit son nombre de député·es augmenter de 146 à 168, mais un certain nombre de ces nouveaux sièges seront attribués à des candidats issus des partis avec lesquels il est allié. Par ailleurs, les partis islamistes radicaux du Hüda-Par et du Yeniden Refah Partisi font une entrée remarquée à l’Assemblée, avec, respectivement, trois et cinq députés.

L’opposition guettée par le désespoir

Malgré son virage autoritaire sans cesse plus prononcé et la crise économique qui frappe de plein fouet la population, le président Erdoğan est parvenu à se placer en position de favori pour le second tour. « Il a redonné à notre pays sa gloire d’antan, nous sommes craints et respectés dans le monde entier », se réjouissait Murat, vendeur de thé et soutien inconditionnel du président turc, devant un bureau de vote de Kasimpasa, le quartier d’origine du Reis, où celui-ci a tenu son dernier meeting de campagne le 13 mai. « Il a vaincu le terrorisme [la guérilla kurde du PKK – ndlr], construit des écoles, des hôpitaux. L’opposition, elle est composée de traîtres acquis aux intérêts de l’étranger qui veulent ruiner le pays », estimait Gamze, 37 ans, agente immobilière.

Dans les rangs de l’opposition, l’espoir du matin du 14 a laissé la place à l’abattement. Hüseyin, ingénieur de 36 ans, s’était porté volontaire comme scrutateur pour le principal parti d’opposition, le CHP. Après avoir passé une partie de la nuit à recompter les bulletins, il est rentré chez lui sans beaucoup d’espoir : « Erdoğan va probablement l’emporter au second tour. De toute façon, après des résultats pareils, même si l’opposition parvenait miraculeusement à l’emporter d’une courte tête, il refuserait de partir et se maintiendrait par la force. Il n’y a plus rien à espérer. »

Zafer Sivrikaya

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