Tu dors dans mes bras, fragile, et tu es pour moi l’avenir du monde, de mon monde. Là-bas, je sais, c’est la guerre et des enfants comme toi meurent sous les bombes. La flamme ne brûle plus dans la lampe de la maison dévastée, elle qui, en des centaines d’années, de génération en génération, avait éclairé les âmes et les nuits. On a décidé quelque part que notre peuple n’existait pas et n’existerait jamais. Nos jeunes naissent avec la hargne au cœur.
Mais pas toi, petit, pas toi. La maison est paisible et le pays est neuf.
J’ai allumé la lampe en souvenir de mon père, de ma mère, de mon frère, de ma fille, de tous ceux qui m’ont été arrachés et que tu ne connaîtras qu’au fil de mes récits et de ceux de ta mère.
La maison est paisible et le pays est neuf.
Comme une rose des sables nous avons roulé de camp en camp, jusqu’ici. Il a fallu travailler jusqu’au bout de nos forces, mais la maison est nôtre et la lampe brûle en son sein. Je suis une vieille femme maintenant qui berce un enfant. Mais quand tu dors, le souvenir des oliviers, de la source, de ma maison, de la lampe, de mon village, me mouille les yeux et je détourne le visage pour que tu ne voies pas mes larmes.
Car la maison est paisible, elle est nôtre et le pays est neuf.
Tes noms et prénoms ne peuvent mettre le bourreau sur tes pas. Tu es l’enfant de ce pays que je ne connais pas. Il ne me reste qu’à vivre assez longtemps pour t’expliquer la lampe, le sable et les oliviers. Je ne te demanderai pas d’honorer tes ancêtres. Je te veux avide de vivre et de prendre racine, hors de l’humiliation et de la servilité où nous avons grandi. Tu pourras être plus intensément que je n’ai jamais pu être.
Je n’ai pas de colère, juste une grande fatigue. J’ai mené ce qui restait des miens au port. Je ne sais pas si le port est bon. Je vous porterai jusqu’au bout de ma vie pour que vous connaissiez la paix. Je vous apprendrai à la chérir, à la cultiver, à la placer au centre de vos vies. Il me reste l’espoir que cette terre soit peuplée de gens qui fassent de même.
Je te berce pourtant avec un trou au cœur. Je le sais aujourd’hui plus intensément qu’avant : pour cet avenir incertain qui peut quand même être un avenir pour toi, je sais que nous ne rentrerons pas. Je vais mourir ici un hiver dans ce désert de glace, le printemps impatient et ses débâcles torrentielles remplacera mes larmes sur mes os dans cent ans, dans mille ans. Je ne reposerai pas dans la terre qui m’a vu naître.
Manon Ann Blanchard
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