Que peut faire un État et même l’industrie en général sans le pétrole et ses mille et un produits et sous-produits ? Je me paierais tous les plaisirs, je serais fort et ne permettrais pas à quelque petit péquenaud squelettique et en guenille de me quémander la charité. On lui donne quelques oboles pour entretenir ses illusions, mais c’est à lui de se débrouiller et de travailler. Il y aura toujours quelque job pour lui, car la machine, souveraine et plus rentable, ne peut pas tout faire. Je me construirais un château en banlieue et j’aurais mon île paradisiaque, avec tout ce que je veux !
La clé de ce rêve ? Mes placements dans le pétrole ! Ils ne comportent aucun risque. Ils ne peuvent que s’accroître. Si le prix du baril grimpe à la sortie de la raffinerie, si les coûts de production, de transport ou de livraison montent et les salaires ou même les taxes augmentent, je refile les frais aux consommateurs qui paient plus cher leur essence et les sous-produits du pétrole, haussant ainsi les recettes des gouvernements. Je ne perds pas. Si les coûts baissent, je refile aux clients une partie aussi minime que possible des recettes nouvelles, quitte à trouver des prétextes vraisemblables pour maintenir ou hausser les prix et conserver mes revenus et la valeur de mon placement. Puis, quant à y être, pourquoi ne pas s’amuser un peu ? Faisons fluctuer les prix à volonté plusieurs fois par semaine, ou même par jour, question d’étourdir le consommateur, lui faire croire que les réserves risquent de baisser et qu’il doit assumer les pertes pour me permettre de conserver mon pécule. Bref, je ne cours aucun risque de voir baisser mes recettes ou de perdre mon placement. Les consommateurs assument le risque et, moi, j’encaisse. Pas brillant, ça !
Je rends quand même service à la société, car les gouvernements recueillent des revenus énormes des taxes que les consommateurs paient sur le pétrole, un des éléments essentiels de l’économie. Les gens des gouvernements n’ont pas le choix de ne pas m’aimer. Mes semblables et moi sommes très généreux envers les politiciens et les autorités qui respectent notre principe capitaliste de l’entière liberté d’entreprise ainsi que notre choix et notre talent de faire de plus en plus d’argent aux dépens de plus en plus de gens. Les gouvernants ne sauraient prendre des mesures prétendument de justice sociale pour restreindre notre liberté. S’il y a des pauvres, on n’y peut rien. Il faut de plus en plus de pauvres pour enrichir les riches, qui se font à la fois plus riches et moins nombreux. C’est évidemment un phénomène qui se manifeste dans tous les secteurs de l’économie de marché d’une société matérialiste fondée sur l’égoïsme et la cupidité de gens aussi rusés et égoïstes que talentueux. Et ça fonctionne. Regardez notre niveau de vie et notre insouciance pour les pays pauvres que nous exploitons. D’aucuns disent : « C’est comme ça. C’est la nature. L’égalité, ce n’est qu’une vue de l’esprit et l’équité, un rêve. La fraternité ? Qu’est-ce ? Y en a-t-il dans les conseils d’administration ? »
Puis tous les trucs sont bons. La fin justifie bien les moyens. Par exemple, fomenter des guerres par ci par là, ça entretient l’incertitude et fait hausser les prix et vendre du pétrole. C’est bon pour l’économie car, après avoir détruit des pays, il faut reconstruire et produire du nouvel équipement ; ça rapporte aux gros investisseurs. Bien sûr, la guerre, ça détruit aussi des pauvres, mais c’en fait moins qui vivent aux frais de la société, puis ceux qui survivent peuvent faire de la bonne chaire à canon. Les armées auront toujours besoin de main-d’œuvre.
La pollution ? Bah ! On trouvera bien d’autre chose plus tard. Autant en profiter pendant que ça passe. On a bien découpé la surface de la terre et permis aux riches de se la partager en vertu du principe de la propriété privée. On en fait autant avec les richesses de la nature. J’ai hâte au jour où on découpera en petits cubes ce qui restera d’air pur pour les vendre au gros, puis au détail. Enfin ! Vive l’économie !
Vive le pétrole !
Questions : Serais-je vraiment heureux ? Mon argent, pourrai-je l’emporter avec moi dans l’éternité ? Bien… Je pourrais négocier…
Ring ! Ring ! Oups ! Le réveille-matin ! Faut me lever pour aller travailler, gagner ma pitance et enrichir les patrons. Mon vélo m’attend.