Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Téhéran durcit sa guerre contre les femmes

Ne pas porter le voile est désormais assimilé à un crime en Iran, où des caméras « intelligentes » traquent les contrevenantes. Dans tout le pays, les attaques chimiques contre les écoles pour filles ont repris.

Tiré de Médiapart.

Les autorités l’appellent « le plan pour le hidjab et la chasteté ». Il est entré en vigueur le 15 avril et se veut la réponse, ultra-répressive, du régime à la révolution culturelle en cours, qui voit désormais des milliers d’Iraniennes sans le moindre voile marcher dans la rue, prendre le métro, aller à l’université ou faire leurs achats dans des supermarchés, ce qui était impensable avant la mort en détention, et sous les coups, de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, à Téhéran.

Dans la capitale iranienne, des vidéos montrent également de plus en plus de femmes porter des jupes sur les grandes avenues et même quelques hommes en short, des tenues strictement prohibées par le code vestimentaire et toujours passibles d’amendes, voire de peines de prison en cas de récidive.

Désormais, avec la nouvelle loi, refuser de porter le voile est assimilé à une menace contre la sécurité nationale – ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Fin mars, le tout-puissant chef de l’autorité judiciaire, l’ayatollah Gholamhossein Mohseni Ejei, a ainsi fait savoir que toutes celles qui seraient surprises sans hidjab dans l’espace public seraient considérées comme des ennemies de l’État et des valeurs islamiques. Et « punies » en conséquence.

« Selon les lois en vigueur, le fait d’enlever le hidjab est considéré comme un crime », a prévenu Hassan Mofakhami, le chef de la sécurité de la police, dans un communiqué.

Des parlementaires à l’origine de la nouvelle loi ont même souligné que « le refus du voile faisait partie d’un plan complexe préparé par des ennemis pour déstabiliser le pays et perturber l’ordre social ». Dans les villes du pays, les imams de la prière du vendredi, dont les prêches sont orientés par le Bureau du guide de la révolution islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, ont invité les agents en civil à s’en prendre librement aux femmes non voilées.

La nouvelle loi reprend celle de 1983, qui rendait obligatoire, pour les Iraniennes et les étrangères, quelle que soit leur religion, le port du voile et d’un vêtement ample en public. Elle avait été renforcée par la loi du 5 juillet 2022, mise en place par le président Ebrahim Raïssi, qui impose de nouvelles restrictions aux femmes. Le foulard doit désormais couvrir, en plus des cheveux, le cou et les épaules.

Pour aller plus loin dans la répression, les autorités ont commencé à installer des « caméras intelligentes » sur les places et les voies de circulation afin de pouvoir identifier les contrevenantes. « Les personnes qui ôtent leur hidjab dans les lieux publics recevront d’abord un avertissement et seront en cas de récidive présentées aux tribunaux », a fait savoir le chef de la police iranienne, Ahmad-Reza Radan, dans une interview à la télévision d’État.

Tolérance zéro

Les propriétaires de voitures recevront eux aussi une mise en garde si une passagère enfreint le code vestimentaire. Et, en cas de récidive, a ajouté Ahmad-Reza Radan, ils risquent la saisie de leur véhicule. « Aucun comportement individuel ou collectif, ni aucune action contraire à la loi » ne seront tolérés, a insisté la police dans un autre communiqué, qui appelle également les « citoyens à continuer de coopérer » avec les forces de l’ordre.

Estimant que la désobéissance à cette loi ternit l’image spirituelle du pays et répand l’insécurité, elle a même exhorté les employeurs à faire respecter les règles en menant des « inspections assidues ». Le voile y est aussi décrit comme « l’un des fondements civilisationnels de la nation iranienne ».

Autres victimes de cette guerre menée aux femmes, les commerces, grands et petits. À la mi-avril, 137 magasins, dont des pharmacies, et 18 restaurants avaient déjà été fermés pour avoir accueilli les femmes non voilées, selon un porte-parole de la police.

Alors que nombre de spécialistes pariaient sur un assouplissement du régime sur la question du voile, notamment sous la pression des factions réformatrices et, surtout, de certains officiers des pasdarans (gardiens de la révolution) inquiets de la détérioration de la situation intérieure, c’est au contraire un réel durcissement qui s’annonce. À l’évidence, bien plus que le président Raïssi, que l’on a peu entendu sur ce sujet, c’est le Guide suprême qui en est l’instigateur.

« La tactique du Guide, c’est de ne rien changer, souligne un politiste spécialiste de l’Iran, qui souhaite rester anonyme. Il pense que cela entraînerait sa chute comme cela s’est passé avec le chah, en 1978, qui avait voulu réformer son pays en position de faiblesse. Résultat : il s’est effondré. C’est pour cela qu’il y a, en ce moment, une surenchère sécuritaire. La stratégie actuelle est de faire régner la terreur, d’augmenter le coût pour les manifestants et la prise de risque pour celles et ceux qui combattent l’ordre théocratique. »

  • Nous ne porterons plus jamais le voile. [...] Nous ne céderons pas.
  • - Une habitante de Téhéran jointe par Mediapart

Jusqu’à présent, la répression n’a pas freiné l’appétit de liberté vestimentaire des femmes iraniennes. Certaines ont aussitôt répliqué en postant des selfies sur lesquels elles se montrent tête nue. « Bonjour à tous, excepté au chef de la police et à ses caméras », a tweeté l’une d’elles.

Même prise de risque dans les milieux artistiques. Il y a quelques jours, l’actrice iranienne Pantea Bahram, âgée de 53 ans, s’est ainsi présentée tête nue au cinéma-théâtre Le Lotus, dans le sud de Téhéran, pour la projection publique de la nouvelle série La Peau du lion. On ne sait pas si elle a été ensuite inquiétée mais le directeur de l’établissement, lui, a été révoqué peu après par l’organisme de contrôle du cinéma iranien au motif « d’avoir échoué à contrôler la situation et n’avoir pas dirigé la fautive en dehors du cinéma ». D’autres actrices célèbres en Iran, comme Katayoun Riahi, ont été convoquées ou privées de passeport, de même que certains des réalisateurs qui les soutiennent, comme Hamid Pourazari.

« Le nizem [système – ndlr] ne réussira pas à nous faire revenir en arrière. Nous ne porterons plus jamais le voile. Il nous menace d’amendes pouvant aller jusqu’à un milliard et demi de tomans [25 000 euros – ndlr] mais nous ne céderons pas », s’exclame une habitante de Téhéran, contactée par téléphone.

Autre sujet qui suscite la colère des autorités et l’indignation des religieux, l’apparition sur les murs des universités et des parcs de Téhéran des premiers slogans pro-LGBTQ tels que « La communauté LGBTQ s’est levée » ou « Nous sommes la voix des LGBTQ : libération ou nous mettons le feu à la nuit ».

En revanche, la police ne s’intéresse visiblement pas aux attaques chimiques contre les écoles de filles qui ont repris après les vacances de Norouz, le nouvel an iranien. Les 16, 17 et 18 avril, les établissements d’une douzaine de villes, grandes et petites, ont ainsi été ciblés. Ces empoisonnements au gaz n’ont certes pas l’ampleur de ceux des mois précédents : au moins 245 collèges, lycées et écoles primaires avaient été frappés depuis novembre dans 26 provinces, et environ 13 000 filles, et quelques garçons, avaient souffert de différents symptômes.

Pour le ministère de l’intérieur, il ne s’agit désormais que de « malaises simulés » et de « bêtises des élèves » alors que les autorités avaient fait état, avant les vacances, d’une centaine d’arrestations. Pour Amnesty International, « ces empoisonnements, non revendiqués, semblent s’inscrire dans le cadre d’une campagne coordonnée et organisée visant à punir les écolières pour leur participation aux manifestations qui ont éclaté à la mi-septembre 2022 », ajoute l’organisation dans un récent communiqué.

Pour la première fois, le Guide suprême, qu’il est interdit de critiquer sous peine de prison, l’a été publiquement, qui plus est par les siens. Le 18 avril, lors d’une réunion avec des étudiants membres du Bassidj (la milice islamique, dont Khamenei est le chef, selon la Constitution) triés sur le volet, l’un d’eux lui a coupé la parole et a accusé le gouvernement de ne pas « écouter la voix du peuple » et de « continuer à manquer de transparence ». Cet extrait de la rencontre a été supprimé de la vidéo publiée sur le site officiel de Khamenei.

Jean-Pierre Perrin

Jean-Pierre Perrin

Journaliste pour le quotidien Libération (France).

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