Tiré de Entre les lignes et les mots
Plus de 11 ans après le début du soulèvement populaire qui s’est transformé en une guerre sanglante impliquant de multiples acteurs régionaux et internationaux, le régime syrien contrôle aujourd’hui près de 70 % du territoire syrien.
Dans le même temps, le processus de normalisation du régime syrien progresse à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Le voyage de Bachar el-Assad aux Émirats arabes unis (EAU) en mars 2022 en fait partie. C’était sa première visite dans un pays de la région depuis l’éclatement du soulèvement en 2011.
Plus généralement, l’harmonisation des relations entre les différents régimes arabes et la Syrie s’inscrit dans une tendance plus large pour une majorité d’acteurs régionaux de consolider une forme de stabilité autoritaire. Malgré des rivalités continues entre les différents États, tous souhaitent revenir à une situation similaire à celle qui prévalait avant ce qu’on a appelé les « printemps arabes ». Les différentes puissances mondiales soutiennent ce processus.
Crises sociales et économiques profondes
Le régime de Damas est cependant confronté à d’énormes défis politiques et socio-économiques qu’il est loin de pouvoir surmonter pour le moment.
La Russie, l’allié principal de Damas avec l’Iran, souffre déjà politiquement et économiquement des sanctions internationales imposées en représailles à son invasion militaire de l’Ukraine. Bien que Moscou n’ait pas agi comme un soutien financier de Damas, la dépendance économique du régime syrien envers le Kremlin s’est accrue depuis le début de son intervention militaire en 2015. Il est notamment devenu le premier fournisseur de blé du pays, pour compenser la baisse massive de la production locale.
En face, l’opposition publique organisée au régime reste limitée. Seules de petites manifestations ont eu lieu dans différentes zones tenues par le régime, à Sweida notamment. Les raisons en sont multiples. D’abord la fatigue générale due à la guerre. Ensuite l’appauvrissement continu de larges secteurs de la société. Rappelons que plus de 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté et que 14,6 millions de personnes (67,3% de la population) dépendent d’une aide humanitaire.
Il y a aussi la crainte de la répression et de l’élimination par le régime de presque toutes les formes d’opposition organisée, tant sociale que politique, dans les zones sous sa domination. De plus, les différents acteurs de l’opposition syrienne sont très fragmentés. La principale force d’opposition, la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution n’offre aucune alternative démocratique et inclusive. Très discréditée, elle est soutenue par la Turquie et le Qatar et légitimée par les puissances occidentales.
Tirer les leçons de campagnes de solidarité internationaliste
La tâche principale pour les démocrates et les progressistes syrien·ne·s dans le pays et à l’étranger est de regagner leur autonomie par rapport aux acteurs étrangers. Ils·elles doivent construire leurs propres réseaux et définir un projet démocratique inclusif avec des alternatives socio-économiques claires qui doit bénéficier aux classes populaires syriennes dans le pays ainsi qu’aux millions de réfugié·e·s.
Dans ce cadre, on peut tirer les leçons de diverses expériences de campagnes de solidarité internationaliste par en bas qui ont traversé les frontières. La campagne de Boycott, Désinvestissement, Sanctions BDS) menée par les Palestinien·ne·s est un exemple réussi. Il existe bien sûr des différences entre les contextes syrien et palestinien. Israël est un projet colonial et raciste, qui vise à expulser la population palestinienne de leurs terres. En Syrie, le régime est un pouvoir autocratique absolu et héréditaire.
Cependant, le modèle BDS est riche en enseignements. En particulier, les efforts déployés pour construire et renforcer les liens avec des mouvements sociaux plus larges, des féministes aux antiracistes, en passant par les étudiant·e·s et les syndicalistes. C’est la seule façon de renforcer la solidarité sans dépendre de l’aide des États, qui a toujours été conditionnelle et certainement pas basée sur des intérêts communs.
Cette orientation politique de solidarité par en bas permettra aux partisan·e·s d’une Syrie démocratique et progressiste d’établir des liens avec d’autres luttes régionales et internationales afin d’en tirer des enseignements. Après tout, les régimes despotiques et autoritaires apprennent des expériences de répression des autres. Nous aussi, nous devons établir des coalitions solides entre les mouvements progressistes de gauche du monde entier afin de renforcer nos relations et, en fin de compte, offrir la liberté, la justice sociale et l’égalité pour toutes et tous.
Joe Daher
https://solidarites.ch/journal/405-2/reconstruire-un-projet-de-liberation/
Un message, un commentaire ?