Tiré de À l’encontre.
Des chiffres d’abord, qui concernent un territoire où vivent 3 millions de personnes dont la moitié sont des réfugiés d’autres régions où le régime a fini par vaincre (Douma, Homs ou Alep-Est, par exemple). Plus de 152’000 personnes ont fui leurs foyers entre le 29 avril et le 5 mai, selon l’ONU. Les bombardements ont tué plus de 80 civils, d’après le décompte de l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Dans cette région domine un groupe armé radical, HTS (Hayat Tahrir al-Sham), qui était à l’origine affilié avec le mouvement terroriste Al-Qaïda. Certaines factions rebelles bien moins puissantes continuent à contrôler quelques localités çà et là. Au nord, la Turquie régente la région soit directement, soit par des groupes islamistes sous son obédience. Au sud, le régime et ses milices chiites alliées payées par l’Iran ont repris l’avantage militaire grâce à l’appui aérien russe depuis septembre 2015. Russes et Turcs s’étaient entendus à la mi-septembre 2018 pour respecter une zone démilitarisée pour éviter les frictions, mais ni le régime ni HTS n’ont jamais semblé en tenir compte.
Cette fois, Moscou cache moins son jeu. Le président Vladimir Poutine s’en va répétant qu’il faut « éliminer les terroristes » de la région, ce qui englobe toute opposition au régime d’Assad, protégé des Russes. Pour expliquer le retour massif des bombardiers russes dans le ciel de la Syrie du Nord qu’ils n’avaient jamais vraiment quitté, la presse russe évoque des « tentatives d’attaque » de HTS contre la base aérienne russe de Hmeimim, dans l’ouest de la Syrie, qui auraient suscité des « représailles » russes.
Les méthodes de l’aviation russe et de celle du régime consistent toujours à s’attaquer aux infrastructures civiles, hôpitaux et écoles, dans un but évident de démoraliser la population. Une guerre psychologique menée à coups de bombes… Ces actions militaires choquantes ne provoquent que des communiqués inquiets des organisations qui défendent les droits de l’homme et, parfois, des déclarations politiques demandant le retour au calme.
Dans ce dossier, la position turque reste ambiguë. Durant les premières années de la guerre en Syrie (2011-15), Ankara avait à la fois pris fait et cause pour la rébellion, laissé passer de nombreux djihadistes sur son sol, accueilli de nombreux réfugiés (plus de 3 millions), tout en intervenant ponctuellement sur le terrain syrien proche de ses frontières surtout pour contrecarrer, sans succès, l’ambition des Kurdes syriens d’établir une zone autonome.
Dans la région d’Idlib en 2019, la Turquie semble mobilisée par deux objectifs stratégiques : empêcher l’arrivée massive de nouveaux réfugiés et continuer à combattre les velléités kurdes. Le président Erdogan a cessé de militer pour un renversement d’Assad et il voit régulièrement son homologue russe et aussi l’Iranien Rohani. Ceux-ci, sensibles à ses arguments puisqu’ils permettent un rapprochement avec une puissance de l’Otan au grand dam des Etats-Unis, accepteront-ils de remettre à plus tard l’offensive finale sur Idlib, qui créerait à coup sûr des mouvements de population vers la frontière turque ?
Sans doute. Mais Assad a toujours proclamé que la récupération de « toute la Syrie » constituait son objectif final. Il lui reste à reprendre de gré ou de force, un tiers du pays, à l’est, contrôlé par les Kurdes, ainsi donc que la région d’Idlib. En attendant, dans ce dernier cas, il devra probablement se contenter de recouvrer le contrôle de portions de deux autoroutes aux mains des rebelles depuis 2012 – entre Alep et Hama (sud) ainsi qu’Alep et Lattaquié (ouest) – ce qui désenclaverait d’un point de vue économique le nord du pays.
Article publié dans Le Soir, en date du 10 mai 2019 ; https://journal.lesoir.be, reproduit avec l’autorisation de l’éditeur.
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