Louis Horvath est poète, artiste fractal, informaticien, socialiste et anar de salon.
Je me suis scandalisé à plus d’une reprise à propos des loyers, accompagné de ma tendre moitié ou de mes amis proches. Mais vient un temps où il n’est plus possible de garder tout ça en privé. Il faut oser quelque chose, quitte à se faire rabrouer par ceux et celles qui profitent de la situation ou ne peuvent pas s’imaginer un monde meilleur. Je m’apprête donc à confronter avec vous ceux et celles pour qui, à les entendre, louer des appartements est un geste « désintéressé et noble » ou un des mécanismes intouchables de notre économie.
Pour l’historique, j’ai vécu en appartement une partie de mon enfance. Mes parents étant de moyens très modestes, j’ai vu plus d’un bloc appartement où la pauvreté était au menu, quand il y en avait un. Pendant longtemps, cette pauvreté m’a semblé tout à fait normale, mais ce ne l’était pas. Être pauvre, c’est une taxe en soi. J’ai aussi rencontré de nombreuses personnes prêtes à embarquer dans la valse de la propriété privée. Elles ont vite trébuché dans le filet du marché locatif à cause du prix démesuré des maisons ; le problème ne date pas d’hier, c’est clair ! J’en ai d’ailleurs conclu que la contrainte du prix des loyers et des maisons est artificielle et mercantile. Se loger est une obligation et une occasion en or de forcer la population à très littéralement payer sa vie. Il y a de quoi laisser songeur. Sommes-nous la seule espèce dans l’univers qui doive payer pour crécher quelque part ?
Cette vie en appartement m’a permis de prendre conscience de la nature résignée du peuple québécois. Colonisé puis endoctriné, ce peuple, mon peuple, accepte volontiers l’injustice du fameux « petit pain ». C’est donc sans surprise qu’il reste passif devant l’augmentation des loyers et du sermon gouvernemental ; le ministre, dernière autorité avant Dieu, est une preuve vivante qu’il est impossible de changer quoi que ce soit au système ! Si môssieur le ministre ne peine pas à payer SON loyer, la crise n’existe pas ! Quelques braves anars tentent bien de se soustraire au onzième commandement, « tu payeras ton loyer ! » mais finissent par fléchir et capituler. Quoiqu’il en soit, la crise du loyer est bien réelle et s’aggrave vite. En 2024 la majorité des Québécois.es paye le proprio en premier et planifie le reste de sa vie par la suite ! Vive le Moyen-Âge ! La bonne nouvelle c’est que nous atteignons lentement le nombre critique de personnes qui se battent contre les moulins déments du commerce locatif. Si hier Don Quichotte passait pour un cinglé, aujourd’hui il n’est plus le seul à se tenir debout ! Pourquoi a-t-il fallu que de nombreux Québécois et Québécoises vivent sous la tente ou dans leur automobile pour qu’on s’en rende compte ? Tant de loyers abusifs … comme si nous n’avions pas assez de raisons de s’indigner !
Je vous donne ma bénédiction. Remettez en question les raisons de payer pour vivre quelque part. Comment un besoin essentiel nous est-il vendu comme un commerce légitime ? Comment se fait-il qu’une population entière n’arrive plus à se faire un bas de laine malgré le fait qu’elle travaille à temps plein ? Dans le cercle des possédants et du pouvoir, le droit au profit des propriétaires prend le pas sur le droit d’une personne de ne pas dormir à la belle étoile. Avec des familles payant souvent plus du tiers de leurs revenus pour leur loyer, il ne faut pas se surprendre si les gens sont aux prises avec des dettes considérables. Avoir une maison, devenu un rêve de bourgeois, a laissé sa place à la vie en appartement. Or, il arrive aux appartements la même chose qu’aux maisons : ils deviennent inabordables et même en s’exilant loin de la ville on s’arrache les cheveux ! Les histoires d’horreur abondent. Ensemble, remettons tout en question : si ces loyers nous siphonnent le compte en banque, expliquez-moi pourquoi nous continuons comme ça ?
Cette crise du logement, frôlant la débâcle sanitaire, appelle une intervention de l’État. Après tout, on ne vit pas en société pour enrichir le commerce ! Quelle idée ! Or, autant à Québec qu’à Ottawa, on choisit soit d’ignorer cette crise ou de la décorer de belles paroles, qui n’auront aucun lendemain, tout en bouchant les trous de promesses électorales. Ces élus qui patinent sur place font bien l’affaire des proprios, avouons-le ! Personne ne les inquiète ! Dans les faits, nous vivons une sorte de rénoviction sociale dans laquelle les personnes sont expulsées de leur « logis social » au bénéfice de celles et ceux qui en tirent profit. C’est la grande dépossession locative. Et le tout s’opère comme si cette situation était à la fois inévitable et tout-à-fait socialement acceptable ! Quand je regarde les gens qui se résignent et paient, je me demande s’il n’existe pas une ligne invisible qui limite notre capacité de rêver à un monde meilleur. Notre petit pain est dur et sec comme le cœur des corporations immobilières.
Maintenant, remettons en question les notions de discrimination sur le loyer. Le refus de louer à cause de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle, des croyances religieuses et de la présence d’enfants sont certes des discrimination à dénoncer mais n’y a-t-il pas de discrimination plus grande que d’exclure un.e locataire à cause de ses moyens financiers ? L’idée même de repousser une personne ou une famille dans la rue car elle est pauvre n’est-elle pas répugnante ? Le fait que de nombreux appartement jadis accessibles sont maintenant considérés comme étant « de luxe » ou « privilège » ne rappelle-t-il pas les moments forts de la discrimination raciale où on intimait aux Noirs de s’asseoir à l’arrière de l’autobus ? Toute personne a le droit de vivre quelque part, dignement et sans se faire étrangler financièrement, par la main invisible du marché !
En bref, nous avons besoin d’un grand coup de barre mais ceux et celles qui sont aux commandes sont, d’un côté, peu préoccupés par la problématique locative et de l’autre, conseillés par une ministre qui est à la fois élue et lobbyiste. Payant de louer des condos !
Alors me voici donc devant les grands moulins du commerce locatif et vous voilà avec moi en train de tout remettre en question. Comment diable allons-nous nous défaire de ce petit pain ?
Que ces mesures soient temporaires ou permanentes, une révision de ce commerce locatif est devenue nécessaire puisque, de toute évidence, laissé à lui-même, le marché se fout de sa responsabilité sociale. Louer un appartement devrait être une contribution sociale, pas une combine financière. C’est donc dire qu’au-delà du tribunal administratif du logement, le gouvernement a besoin de redresser les fondements de cette industrie avant que des sans-logis par centaines de milliers se ramassent à camper sur le terrain de l’Assemblée nationale ! Ils campent déjà en grand nombre et un peu partout, alors qu’il ne manque pas d’endroits où vivre, hormis le fait que peu ont les moyens d’y emménager.
Soyons également conscients que nous n’en sommes plus à proposer des méthodes incitatives par la bande ; la construction de loyers modiques ne va nulle part et l’assistance au loyer devient, essentiellement, une subvention aux propriétaires lorsque ceux-ci augmentent le loyer du même montant. Les banquiers ne sont pas en reste et demandent aux propriétaires d’augmenter leurs ponctions mensuelles pour « rentabiliser leur investissement ». Tout cela indique que rien ne changera si nous ne formulons pas une demande majeure qui décoiffe.
Voici donc quelques idées révolutionnaires parce que, sincèrement, on en a assez de mes mauvaises nouvelles.
Pour commencer, nous avons besoin d’un point de repère, identique pour toutes les personnes vivant à loyer. Le marché locatif donne des allures de casino et de gratteux avec sa chasse au loyer « chanceux » et ses prix influencés par n’importe quelle arnaque de marketing. La proximité d’un hôpital ou d’une école ; d’une bouche de métro ; d’un arrêt d’autobus et même d’un centre d’achats peut en faire exploser le prix. C’est de la spéculation sous un autre nom. La seule manière d’en venir à bout est de fixer le prix du loyer au mètre carré. Une telle mesure protège le consommateur des propriétaires convaincus qu’ils et elles offrent des appartements dignes d’un premier ministre et met KO la pratique de faire éclater le loyer quand le locataire quitte le logement. Cela règle, du même coup, toute la bisbille autour d’un registre des loyers : seule la taille de l’appartement importe. Mètre carré fois tarif. Fin.
Bien qu’il revienne au gouvernement de fixer le prix au mètre carré, cette détermination doit se faire non pas derrière portes closes, mais à l’aide d’un comité de locataires, de propriétaires et de personnes expertes, de manière à prendre des décisions justes et éclairées. Ce prix serait fixé au salaire minimum et ajusté à intervalles réguliers. À la hausse, si le salaire minimum augmente et à la baisse quand nécessaire. Cet ajustement aurait été vachement utile pendant la pandémie ! Pour garder tout ça bien droit, il faudrait, bien sûr, élire les membres de ce comité.
Le passage au prix selon le mètre carré serait aussi appuyé par une série de « modificateurs » qui tiendraient compte des conditions individuelles de chaque famille ou personne. Les gens vivant avec un handicap, avec une famille, les gens vivant dans l’extrême pauvreté et d’autres circonstances atténuantes, paieraient moins que les locataires ou les familles plus fortunées. Cela va de soi. Ces modificateurs seraient cumulatifs et toute discrimination à cet égard serait vue de la même manière que la discrimination sur l’orientation sexuelle, la pratique religieuse, la condition financière, etc. On peut même dire qu’un loyer fixé par l’État est une bonne manière de parer contre la discrimination et les propriétaires véreux.
Bien sûr, lors de cette transition, le gouvernement serait appelé à assister les propriétaires, de manière limitée ; les sommes consenties seraient par ailleurs pleinement taxables. La somme de cette assistance peut sembler colossale mais considérez qu’en ce moment cette somme est entièrement supportée par les locataires ! C’est tout, sauf de la justice sociale.
De plus, puisque les propriétaires sont des gens d’affaires, leur tâche est de garder leur entreprise en vie. S’ils et elles ne peuvent plus fixer le loyer comme bon leur semble, rien ne les empêche d’offrir des services aux locataires, notamment des services d’entretien et de peinture ou des services fiscaux de toutes sortes, même un service d’entretien de véhicule ! Avouons-le, les propriétaires semblent avoir pris la collecte des loyers comme un acquis. N’est-il pas temps de les inviter à user de leur esprit d’entrepreneurship ?
L’objectif de ce paiement du loyer au mètre carré est aussi de sortir de nombreuses familles de la pauvreté et de permettre aux locataires d’économiser un peu, considérant que nombre d’entre eux n’ont pas eu de bonnes réserves depuis des lunes. Un grand nombre est également à quelques chèques de paye d’une faillite. Cette crise contribue à créer chez nous une société financièrement instable. Un non sens, puisque le Québec est fondamentalement riche.
Le paiement des loyers au mètre carré est une entreprise colossale, comme le fut jadis le système de santé canadien, parrainé par un certain Claude Castonguay. Cette réforme aurait un impact monstre sur ce domaine d’activité et un tel virage s’accompagnerait de pressions politiques et fiscales d’autres pays et provinces, sans oublier le lobby des banques et des propriétaires. Un gouvernement prêt à prendre ce virage échangerait toutefois ces pressions pour une popularité sans pareil au niveau de l’électorat. Tout parti politique rêve de gagner par raz-de-marée. Une réforme de fond en comble du marché locatif serait l’occasion rêvée de se faire un énorme capital politique qui durerait des générations. Franklin Delano Roosevelt a bien sorti les États-Unis du crash de 1929 en proposant le New Deal. Nous avons VRAIMENT besoin d’un New Deal du logement. Qui est prêt à donner son nom à une telle réforme ?
Pour conclure, cette « réforme au mètre carré » n’a pas à être permanente. Elle peut et devrait être présentée comme une mesure d’urgence face à une détresse humaine importante, même si certains ministres sont plus myopes encore que monsieur Magoo. Bien qu’une économie en santé soit un passage obligé, elle doit être assortie de personnes qui ont, elles aussi, les réserves nécessaires pour vivre heureuses. Un petit pain au fond d’un océan de dettes, ce n’est pas un projet de société. Même en 1968 on savait que pour être réaliste, il fallait demander l’impossible. L’impossible se calcule au mètre carré et donne aux Québécoises et Québécois un peu d’indépendance face aux propriétaires. Vive le locataire libre !
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