D’entrée de jeu il affirme que les famines ne sont pas, comme on veut le faire croire habituellement, le fruit d’un manque de nourriture planétaire ou d’événements climatiques ponctuels. Il s’agit en fait d’un problème d’accès pour les populations et de décisions politiques associées. Déjà en 1981, nous informe-t-il, le chercheur Amartya K. Sen, avait dégagé ces lignes de force dans ses recherches en concluant que les famines avaient leur source dans la baisse constante du revenu pour acheter la nourriture et la montée constante de la spéculation. Ces deux mouvements sont, sinon toujours impulsés par les gouvernements, du moins ils les tolèrent. Il affirme qu’il s’agit là d’une violation des droits humains fondamentaux puisque depuis 1996, lors du Sommet de la FAO à Rome, ce droit à l’alimentation y est inscrit.
Les populations ont un droit fondamental à définir leur mode de production et de consommation en matière d’alimentation. Cela implique le droit et la responsabilité pour chaque État de protéger son secteur agricole contre les risques de dumping, contre ceux liés à la volatilité des prix, notamment internationaux, de favoriser la participation des populations dans la définition des choix en matière d’agriculture et d’imposer le respect des exigences d’une agriculture durable dans ses aspects sociaux et environnementaux même s’ils s’opposent aux règles imposées par le commerce agro-alimentaire.
Cela ne vise pas l’autarcie ni même l’auto suffisance. Dans une politique équilibrée on peut avoir recours à l’importation si elle permet d’assurer le droit à l’alimentation et est juste pour tous.
Vaste programme ! Pour le défendre, M. de Schutter s’appuie sur le droit à l’autodétermination des peuples qui implique le droit à la libre disposition de ses richesses naturelles et le droit au développement dans sa définition aussi bien que dans ses aspects internes et externes. Il ne s’agit pas du droit à la croissance économique mais aux droits qui élargissent la sphère de liberté et d’autonomie des populations qui doivent jouir du droit à s’élever contre leur gouvernement s’il ne respecte pas leur droit en matière d’alimentation.
L’ordre alimentaire actuel est donc incompatible avec ces objectifs. L’agriculture industrielle avec ses impératifs d’usage des pesticides et d’engrais chimiques, l’obligation d’utiliser les monocultures sur de grandes voire très grandes surfaces toutes pratiques qui dégradent les sols, la quantité d’eau qu’elle exige ne peut que détériorer la terre et finir par diminuer les surfaces arables. Et, contrairement à la prétention des tenants de cette organisation, les surplus qu’elle crée ne vont pas vers ceux qui ont faim. Ils servent des objectifs commerciaux qui mettent les petits agriculteurs du monde en compétition avec ces firmes. Compétition absolument inégale ou les gagnants sont toujours les mêmes. 50% de ceux qui ont faim mondialement, sont d’ailleurs de petits producteurs agricoles propriétaires de leur terre. Ces pratiques impliquent des coûts cachés qui ne sont jamais pris en compte dans les évaluations faites de ce mode de production et commercialisation.
Il faut donc passer à une autre logique qui implique d’autres pratiques culturales et commerciales. Et les États doivent être les architectes de cette nouvelle structuration de façon à préserver leurs populations non seulement de la faim mais de la sous-alimentation et, de la mal alimentation. Si on laisse faire le commerce, ce n’est pas ce qui va arriver. Il faut que l’aide à l’investissement en l’agriculture reprenne. Elle a constamment diminué ces dernières années. Et, il faut impérativement, régénérer l’agriculture dans les pays à déficit vivrier.
Pour réaliser cet objectif, les États doivent :
1- élaborer des stratégies permettant d’y arriver ;
2- voir à la définition, de politiques publiques en matière d’agriculture et d’alimentation qui inclut la participation de la population ;
3- respecter le droit à l’alimentation des populations hors de leur territoire. Cela signifie de ne pas prendre de mesures qui nuiront à ce droit ailleurs et de contrôler les intérêts privés nationaux qui pourraient y manquer ;
4- voir à instaurer un ordre international qui respectent les droits humains dont celui à l’alimentation.