Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Solidarité internationale

Journées québécoises de la solidarité internationale

La souveraineté alimentaire : seule option pour l'avenir

Du 12 au 23 décembre, des dizaines d’activités sont proposées à la population, à la grandeur du Québec, sur le thème 2008 des JQSI : la souveraineté alimentaire. Pour l’occasion, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale et ses groupes membres ont produit une brochure thématique très bien documentée dont nous vous proposons un extrait démontrant l’hypocrisie des pays industrialisés.

Le Nord veut-il le développement de l’agriculture au Sud ?

Comment expliquer un tel désintéressement à la
fois des gouvernements du Nord et des banques
multilatérales de développement par rapport à
l’agriculture ?

Première réponse

Une bonne partie des projets agricoles financés par
les agences d’aide au développement des pays du
Nord et les banques multilatérales ont porté sur
des productions en demande sur les marchés du
Nord : café, fruits tropicaux, etc. Non concurrentiels
pour les agricultures du Nord, ces projets dits
de développement ont toutefois mis les agricultures
du Sud en compétition les unes par rapport aux
autres, chaque pays du Sud s’efforçant d’accroître
ses parts de marché dans les pays du Nord, là où se
trouve la demande. Mais une part de marché
gagnée par un pays fut souvent une part de marché
perdue par un autre pays en développement. Plus
fondamentalement, ces projets ont gonflé l’offre
pour une gamme de produits tropicaux. L’offre a
fini par dépasser la demande mondiale, ce qui a
provoqué une baisse des prix à l’exportation et une
évaporation de la rentabilité de divers créneaux
chez les pays producteurs. L’intérêt des bailleurs
de fonds internationaux pour l’agriculture d’exportation
s’est par conséquent refroidi.

Deuxième réponse

Il fut beaucoup question dans la deuxième partie
de ce document des subventions versées par les
gouvernements du Nord, particulièrement les
États-Unis et l’Union européenne, à leurs agriculteurs.
Il fut question aussi des pratiques de
dumping des produits de l’agriculture, incluant des
denrées de base telles que les céréales. Nous
avons vu que ces pratiques ont été extrêmement
néfastes aux agricultures du Sud. Elles ont, en
somme, sapé les possibilités de rentabiliser l’agriculture
paysanne au Sud.

Prenons deux exemples : le coton et le riz, deux
productions pour lesquelles existe une concurrence
directe entre des producteurs du Sud et des
producteurs du Nord, en l’occurrence principalement
des exploitations agricoles du sud des États-
Unis. Le riz et le coton font partie des spéculations
qui sont soutenues directement (subventions en
fonction des volumes de production) et indirectement
(irrigation) par le gouvernement fédéral et
certains États de la fédération américaine : Texas,
Mississippi, Arkansas, Californie, etc.

Les États-Unis produisent à
peine 2% du riz mondial,
mais ils écoulent chaque
année sur le marché international
quelques millions de
tonnes de cette céréale. Environ
11% des exportations mondiales
de riz proviennent de ce
pays. Quelque 8 000 fermes, dont
près de la moitié dans l’État de
l’Arkansas, sont spécialisées en riziculture.
Les 332 fermes de plus de
400 hectares sises en Arkansas produisent à
elles seules plus que tous les agriculteurs du
Ghana, de Guinée, de Guinée-Bissau, du Niger et
du Sénégal réunis.

En 2003, les États-Unis étaient le troisième exportateur
de riz, leurs concurrents étant alors la
Thaïlande (30,5% des exportations mondiales de
riz), le Vietnam (14 %), l’Inde (12,5%) et la Chine
(9 %). Comme dans le cas du coton, la part que se
sont taillée les États-Unis sur le marché mondial du
riz n’est pas due à la compétitivité de leurs riziculteurs.
En 1999-2000, le coût réel moyen de production
d’une tonne de riz brut était 2,5 fois plus élevé
aux États-Unis qu’en Thaïlande ou au Vietnam.

En 2003, les coûts de production des riziculteurs
américains ont été estimés à 1,8 milliard de dollars.
Le riz qu’ils ont produit a été entièrement acheté
par des minotiers, dont le géant Riceland Foods,
qui leur ont versé en tout et pour tout 1,5 milliard
de dollars. Il faut ajouter que, cette
année-là, les subventions accordées
directement aux riziculteurs par le
gouvernement fédéral totalisaient
1,3 milliard de dollars, un montant
équivalant à 72 % des coûts réels
de production. Cette annéelà,
l’éventail des subventions
versées aux producteurs de
riz américains leur assurait
un revenu moyen de 230 dollars
la tonne, un montant
largement supérieur au
cours mondial du riz. En
fait, les aides gouvernementales
les ont encouragés
à produire à grande
échelle même quand le
cours mondial du riz déclinait,
ce qui ne pouvait qu’accentuer
la dépréciation du riz
sur le marché international.

Bref, c’est à coup de fortes subventions
de l’État que la riziculture
américaine a pu se tailler
une place comme exportatrice mondiale
de premier plan. Ce sont les
aides gouvernementales et elles seules
qui lui ont donné la possibilité de
rivaliser avec des exportateurs aussi compétitifs
que la Thaïlande et le Vietnam.
La concurrence déloyale livrée année après année
par les États-Unis à la Thaïlande, au Vietnam et aux
autres exportateurs de riz a nui à ces pays en limitant
artificiellement leurs recettes d’exportation et,
par conséquent, les revenus de leurs millions de
petits riziculteurs. Mais elle a été plus largement
dommageable en ce sens qu’un cours mondial du
riz anormalement déprimé a carrément empêché
certains pays de se lancer à fond dans la production
rizicole.

En Haïti ou au Sénégal, par exemple, les conditions
ne sont pas réunies pour que la riziculture paysanne
produise à des coûts comparables à ceux des
Thaïlandais et des Vietnamiens, parmi les seuls à
pouvoir se mesurer, sans aides gouvernementales,
à l’alliance formée par les riziculteurs et le gouvernement
américains. Les gens ont pris l’habitude
d’acheter un riz importé qui, en l’absence de tout
contrôle à l’importation, envahit librement le marché
national. En Haïti et au Sénégal, en effet, la
demande nationale de riz est couverte à plus de
80% par les importations. Peu « compétitifs », les
riziculteurs locaux doivent écouler leur production
à un prix pour eux non rémunérateur, proche du
cours mondial. Ils ne retirent aucun revenu décent
de leur travail agricole.

Des pays tels qu’Haïti et le Sénégal ont gaspillé une
partie significative du peu de devises étrangères
dont ils disposaient pour se procurer sur le marché
international un riz que leurs paysans auraient très
bien pu et même dû produire, quoiqu’en le vendant
plus cher. Les consommateurs urbains ont bien
profité d’un riz bon marché. Mais l’appauvrissement
des campagnes est une catastrophe pour
l’économie nationale dans son ensemble. Dans la
nouvelle conjoncture mondiale de flambée des prix
des produits alimentaires de base, incluant le riz, le
rétablissement de la « vérité des prix » fait mal aux
consommateurs. Cela peut même créer une situation
politiquement explosive.

Nous avons dirigé les réflecteurs vers les États-
Unis, mais l’Europe a aussi sa part de responsabilité.
Par exemple, des programmes de subvention
ont encouragé des agriculteurs italiens et
espagnols à se lancer dans la riziculture, indépendamment
de leur compétitivité. De nos jours,
l’Union européenne exporte du riz dans le bassin
méditerranéen, quoi qu’à petite échelle. À coup de
subventions agricoles, l’UE a aussi réduit ses
importations de riz. En faisant baisser la demande
mondiale de riz et donc le prix de cette céréale sur
le marché international, elle a contribué elle aussi
à décourager les petits riziculteurs du Sud.
Les politiques de l’UE ont aussi un impact, par
exemple, sur le cours mondial du sucre. L’UE subventionne
la production de betterave à sucre sur
son territoire et limite ses importations de sucre.

Comme pour le riz, il serait normal que l’Europe
s’approvisionne assez massivement en sucre dans
les pays en développement puisqu’il est nettement
plus économique d’y produire du sucre à partir de
la canne à sucre. En contingentant ses importations
sucrières, l’UE freine la demande mondiale du
sucre de canne et contribue à maintenir le prix de
cette denrée à un niveau plus faible que le voudrait
une situation plus « normale ». Ce sont les petits
planteurs de canne à sucre dans le Sud qui en font
les frais.

Sans vouloir multiplier les exemples, on pourrait
citer le cas des divers surplus européens qui sont
écoulés en Afrique – encore l’Afrique ! – à des prix
que les paysans locaux ne peuvent absolument pas
concurrencer. Pensons, par exemple, aux poulets
surgelés et aux oignons. Parlez-en aux producteurs
maraîchers de la région des Niayes au Sénégal qui
ont tout tenté pour que leur gouvernement fixe des
quotas à l’importation ! Ce dernier a finalement et
récemment décidé d’imposer des droits de douane
de 5% à peine...

S’agissant de l’élevage, grande richesse du Sahel
africain, son développement se heurte aux produits
surgelés : poulets européens et agneaux néo-zélandais,
qui sont « dumpés » dans les ports africains de
Dakar (Sénégal), d’Abidjan (Côte d’Ivoire), de
Takoradi (Ghana) et de Lagos (Nigeria). Ces viandes
à bon compte ont tiré à la baisse les prix des
viandes locales. Grands producteurs de boeuf, de
viande de mouton et de chèvre, les éleveurs du
Sahel pratiquent une forme d’élevage extensif qui
leur permet de produire à bien meilleur coût
que les éleveurs européens, qui font un élevage
intensif. Avec leurs troupeaux, les
Sahéliens pratiquent la transhumance
entre des pâturages naturels au
nord en direction du Sahara (saison
des pluies) et des pâturages
de saison sèche au Sud. C’est le
même scénario que pour le
coton africain par rapport au
coton des États-Unis. Ici
aussi, les meilleurs producteurs
sont victimes d’une
concurrence déloyale. Par
ailleurs, les éleveurs du
Sahel se heurtent aux exigences
sanitaires très élevées
imposées par l’Union
européenne à l’importation
de viandes en provenance
de l’étranger. La
viande sahélienne ne sort
pas d’Afrique.

Troisième réponse

Mettre des produits agricoles
sur le marché, c’est bien. Les
transformer, c’est encore mieux. La
croissance de la production agricole
n’est qu’un aspect de ce que l’on appelle
le « développement ». La valorisation industrielle
des produits agricoles, en d’autres
termes l’essor de l’agro-industrie et la création
d’emplois dans ce secteur, est une facette essentielle
du développement rural. Ici encore les dés
sont fortement pipés en faveur du Nord et en défaveur
du Sud.

Prenons seulement l’exemple assez exemplaire du
cacao, matière première du chocolat. Quatre pays
africains ont presque le monopole des plantations
de cacaoyers : Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria et
Cameroun. Pour autant, ces pays n’ont
jamais pu développer une industrie chocolatière
exportatrice. Les petites usines
chocolatières qui sont en place
ne produisent que pour le marché
local. Leur expansion a été freinée
par les privilèges acquis à
l’époque coloniale par les
grands chocolatiers de ce
monde et par les fortes taxes
à l’importation imposées à
tout chocolat africain par les
gouvernements européens
et nord-américains. La
règle voulant que les matières
premières minières
prélevées au Sud par les
sociétés du Nord soient
transformées au Nord vaut
tout autant, en effet, pour les
matières premières agricoles
 : cacao, mais aussi café,
coton, etc. La transformation
du cacao en chocolat ne nécessite
pas des moyens industriels
très importants. Les Africains
auraient pu s’y lancer par eux-mêmes.

*****

En résumé, les politiques agricoles, industrielles
et commerciales des pays riches étaient et restent
profondément hostiles au développement de
l’agriculture paysanne au Sud. Pouvait-on s’attendre
à ce que leurs politiques d’aide viennent véritablement
à son secours ?

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