Édition du 26 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Sortir du pays des merveilles

La souveraineté peut-elle être remise sur les rails en étant plus « convaincant », en faisant du porte-à-porte, en sortant les jeunes de leur torpeur avec des poètes et chansonniers ? Est-ce que la paralysie actuelle est une simple question technique ou pédagogique ? C’est essentiellement cela qu’on entend du PQ et des cercles qui lui sont associés, comme on l’a constaté lors du Rassemblement de la semaine passée organisée par le Conseil de la souveraineté.

Sincèrement, je ne pense pas que cela va déboucher comme cela.

Historiquement, la souveraineté qu’on appelait l’indépendance est venue du grand élan d’émancipation de la révolution tranquille. C’était donc associé à la nécessité d’en finir avec les structures archaïques et réactionnaires que les dominants québécois, avec leurs larbins québécois, avaient mis en place pour tenir le peuple tranquille. C’était le résultat des luttes populaires, des ouvriers, des femmes, des étudiants, des journalistes.

La plupart des jeunes de l’époque pensaient que cette révolution pas-si-tranquille ne serait pas achevée sans la mise en place d’un État indépendant qui devrait, non pas simplement affirmer une identité nationale, mais continuer et approfondir les grandes réformes sociales.

Quand le PQ a été constitué cependant, on a vu que rapidement, René Lévesque et les autres ont appliqué les freins. Il fallait faire des réformes, mais pas trop. Il ne fallait pas heurter les « vrais » dominants au Canada (et aux États-Unis). Il ne fallait pas faire peur à une partie de la population hostile aux changements. Cela a été une série de ni-oui-ni-non, jusqu’à la défaite du référendum, et encore pire après cela, lorsque le PQ a sauté dans le cerceau du néolibéralisme.

C’est la raison fondamentale, à mon avis, des échecs subséquents.

Pour créer un pays, il faut un grand projet. On ne peut pas parler des deux coins de la bouche et dire d’une part, qu’on va changer de statut, et d’autre part, que rien d’important ne va changer. Ce n’est pas crédible.

C’était il y a déjà plusieurs décennies, au tournant des années 1980. Depuis, beaucoup a changé, et beaucoup n’a pas changé.

En 1995, le PQ s’est essayé une deuxième fois en entretenant la même ambiguïté. Il y avait des désaccords dans le camp péquiste (voir le dernier livre de Chantal Hébert), mais essentiellement, le projet qui s’est imposé sous Lucien Bouchard était le même : on veut changer, mais on ne veut rien changer. Il faut accepter le capitalisme dans sa forme « sauvage », néolibérale, tel qu’il est et donc s’automutiler dans cette absurde politique de l’austérité. Par après, malgré quelques bifurcations, la direction du PQ n’a pas dévié de cette position qui a été articulée par les « Lucides » qui, on s’en souviendra, incluait plusieurs des chefs péquistes actuels.

Autre angle mort du projet péquiste, la relation avec le reste du Canada. Pour l’élite du PQ, il fallait négocier, d’élite à élite, une sorte d’association économique, comme quoi les dominants canadiens verraient bien leur intérêt à accepter la séparation. Cette association contenait, de manière plus ou moins implicite, la perpétuation des mêmes politiques économiques, ce voulant dire, la domination de la finance, le libre-échange et tout ce qui vient avec (privatisation, dérèglementation, coupures dans les services publics, etc.)

Or comme on le sait, cela n’a pas fonctionné. Les dominants canadiens n’ont pas acheté. Pourquoi pensez-vous ? Parce qu’ils ont pensé, à juste titre, que la création d’un État serait une sorte menace latente, qu’elle ouvrirait un autre processus d’émancipation et que nécessairement, cela déboucherait sur des contestations de l’ordre établi. Tous les discours « rassurants » de Lévesque et Bouchard n’ont pas changé cette attitude, d’où l’organisation d’une vaste contre-stratégie pour empêcher l’indépendance.

Est-ce qu’il y avait une alternative ? Au Canada dit anglais, il n’y a pas seulement des banquiers et des gestionnaires de l’État. Il y a des gens. Il y a un peuple. Il y a des dominés et ce sont la majorité. A-t-on essayé de construire une alliance, comme les Patriotes de 1837-38 avaient fait, pour élaborer ensemble un projet républicain, démocratique, respectueux des droits des peuples québécois et autochtones ? La réponse courte est non. Le PQ n’a pas voulu toucher à cela, convaincu qu’il s’agissait d’amadouer les banquiers à Toronto et à New York.

Il faudra donc des années pour reconstruire quelque chose d’autre. Inévitablement, il faudra confronter les « angles morts » évoqués précédemment. Il faut lier émancipation nationale et émancipation sociale, pas juste avec quelques formules et slogans. Il faut refonder un projet dans le contexte contemporain qui permette de confronter et éventuellement de vaincre la grosse machine qui produit une société à deux vitesses, celle du 1 % et celle du 99 %.

Est-ce que cela sera facile ? Certainement pas. Et parallèlement, il faut une autre stratégie pour ériger une vaste alliance populaire à une échelle qui dépasse les frontières du Québec. Encore là, il n’aura pas « quick fix » pour travailler avec les autres peuples, à commencer par les Premières Nations qui aujourd’hui se réveillent et demandent leurs droits.

Alors en attendant, au lieu de s’engourdir l’esprit avec des airs nostalgiques, il faut se mettre au boulot. Comme on l’a fait récemment au Forum social des peuples.

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