Thème : Sortir du capitalisme fossile
Présentation audio d’Éric Pineault
Échanges sur ce thème
... Ce sont des gens de Relations qui m’ont demandé de faire cette réflexion sur comment sortir du capitalisme fossile. C’était avant avant la crise, avant la covid. C’était dans un contexte où le prix du pétrole subissait une pression baissière. Cela est important comme contexte pour présenter l’argument.
Je vais faire ça en trois temps. Premièrement, rapidement un peu la conjoncture de l’énergie fossile. Deuxièmement, la question de la production, le modèle albertain et finalement la question de la consommation au Québec et comment sortir du capitalisme fossile. Les deux côtés de cette équation.
Je vais commencer par la conjoncture. Vous la connaissez. Je vais aller rapidement. Mais il y a deux éléments importants. On a d’une part, d’abord dans un moyen terme, le désengagement de beaucoup d’États pour diminuer, réduire ou même sortir carrément des énergies fossiles et on a, en même temps, et à moyen terme aussi, une conjoncture de surproduction de pétrole qui relève de rivalités géopolitiques entre les pays de l’OPEP et la Russie et l’Amérique du Nord, mais surtout des États-Unis qui sont devenus un producteur très important de pétrole de schiste. Cela a donc créé une situation de surproduction chronique qui date d’avant codiv. C’est une chose qui est en place depuis 2014-2015.
Cette rivalité, à la fois économique et géopolitique, qui organise finalement la conjoncture à moyen terme pour les hydrocarbures et cela crée, terme de prix, des pressions toujours à la baisse sur les prix. Cette situation est très importante pour penser comment penser sortir du capitalisme fossile. Les prix bas ont des effets très contradictoires. D’une part, cela fait que les énergies fossiles sont capables de maintenir une certaine concurrence vis-à-vis des énergies renouvelables, en fait de chasser les énergies renouvelables ou de ralentir le développement des énergies renouvelables. Cela est particulièrement vrai pour la question du gaz naturel, mais ça l’est aussi pour le pétrole. L’autre aspect ce que les prix très bas punissent les productions qui ont des coûts très élevés. Et le Canada fait partie des producteurs qui ont les coûts très élevés au monde pour le pétrole, - pas pour le gaz – mais pour le pétrole notre structure de coût est très élevée et on se trouve puni dans cette conjoncture. Ça, c’est comme un peu un background.
Deuxième aspect, attaché à la covid, on le voit l’Alberta est en crise. Le secteur est quasiment fermé. Ils ne peuvent pas produire de manière rentable au prix actuel. C’est intéressant de dire ce que la covid représente comme choc sur l’économie pétrolière canadienne. Dans le fond la covid, ce qu’elle fait, c’est qu’elle enlève le déplacement des personnes. Il n’y a plus de déplacements qui se font en utilisant du pétrole. La deuxième chose que la covid fait, c’est qu’elle ralentit de beaucoup la circulation des marchandises tant en camion qu’en bateau. Et le troisième effet de la covid, c’est l’implosion des vols d’avions. C’est trois éléments-là, c’est-à-dire la fin du déplacement des personnes dans les pays du centre, la fin des vols d’avions et le ralentissement du commerce des marchandises, c’est à peu près l’effet qu’aurait la mise en œuvre de politiques climatiques. Si les États étaient sérieux dans la mise en œuvre de politiques climatiques, on aurait exactement le même choc de demande. Dans le jargon des gens qui étudient ces questions-là, on appelle ça un pic de demande. Pendant très longtemps, on pensait le pic pétrolier, en termes de pic d’offre, on était en train de manquer de pétrole sous terre. Mais on voit qu’avec les gisements de pétrole non conventionnel, on voit que c’est faux. Mais on sait qu’on est face à un pic de demande et ce pic de demande pourrait être accélérée par des politiques climatiques robustes qui viennent décarboniser la façon dont on se déplace, la façon dont on déplace les marchandises et la façon dont on génère l’électricité et d’autres formes d’énergie et tout ce cocktail-là, c’est à peu près ce que la covid fait. Donc, on vit en accéléré ce qui risque de se produire si tout va bien dans un horizon de vingt ans. Ça, c’est un élément de diagnostic important à faire valoir. Cela allait déjà mal avant la covid et la covid ne fait que révéler ce qui va arriver.
Dans ce contexte-là, le secteur pétrolier est très fragilisé. Et il y a beaucoup de pressions pour un plan de sauvetage. Je vais peut-être revenir dans les questions si vous voulez qu’on discute du plan de sauvetage. Mais c’est un contexte où on peut, je crois, avoir une discussion sur la nationalisation du secteur. Il faut savoir que les cinq plus gros producteurs contrôlent 80% des volumes qu’on produit. C’est donc nationaliser cinq grandes entreprises finalement pour prendre le contrôle du secteur. Deux grandes entreprises qui transportent, TC TransCanada et Enbridge. Avec ces sept entreprises-là, on prend le contrôle du secteur.
Et à partir de ce moment-là, on peut penser la planification de la fermeture du secteur sur un horizon de dix ans, de quinze ans et penser la transition des travailleurs vers d’autres secteurs et aussi le développement en Alberta d’une certaine diversification économique qui permettrait de réduire la dépendance sur ce seul secteur en Alberta.
Le montant que prendrait un plan de transition de ce type, c’est à peu près ce que l’industrie demande. Ce sont les vingt à trente milliards $ que l’industrie demande depuis à peu près deux semaines. Il y a des voix au Canada anglais très fortes qui demandent à ce que cette aide serve à cette transition rapide vers la fermeture des sables bitumineux. Je crois qu’on peut joindre nos voix à cette politique.
Maintenant, au Québec, on est de grands consommateurs d’hydrocarbures comme partout ailleurs en Amérique du Nord. 50% de notre énergie, un peu moins, c’est 48% me semble, vient d’hydrocarbures gaz et pétrole. Le pétrole, c’est essentiellement pour le déplacement des personnes et le déplacement des machineries et de manière un peu moins importante pour la production de plastique, mais l’essentiel de la consommation est rattachée aux déplacements et donc, si nous on avait à sortir des hydrocarbures, en ce qui a trait est du pétrole ce serait de sortir de notre dépendance pour le transport et en ce qui a trait au gaz, on a des usages industriels et des usages domestiques ou institutionnels donc du chauffage et sinon des usages industriels. L’essentiel du secteur gaz, c’est une entreprise qui s’appelle maintenant Energir et qui s’appelait dans le temps Gaz Métro. Encore là la politique doit être une politique de nationalisation, nationalisation d’Energir. C’est une entreprise dont le capital est détenu en partie par la Caisse de dépôt par Enbridge, elle-même, est détenu par de grands investisseurs institutionnels canadiens dont la Caisse de dépôt et placement, mais aussi de grandes banques et de grands régimes de retraite. C’est déjà pas mal socialisé comme capital. De passer d’une socialisation privée vers une socialisation publique ça pourrait se faire.
Comment penser l’accélération de la réduction de notre dépendance sur le pétrole dans la conjoncture actuelle ? On estime que l’intervention pour la relance. On ne parle pas de l’intervention pour stabiliser l’économie. Mais l’intervention économique pour la relance qui va commencer à partir du mois de juin, juillet, août. Là où on va commencer à faire le ménage entre les politiques qu’on a mis en place pour sauver les meubles et les politiques qu’on veut voir durer. On estime que l’effort qui doit être fait en Amérique du Nord est d’à peu près 10% du PIB. Ça, c’est les efforts que les gouvernements doivent faire aux différentes échelles. Pour mettre ça en perspective, en 2010 c’était 4% du PIB qu’on a dépensé. Donc, c’est un effort immense qui ressemble à un effort d’après-guerre ou même à un effort de guerre en termes de dépenses structurantes.
Il y a vraiment une opportunité politique à saisir. Avec ce niveau là de dépenses, on peut penser des politiques de transformations rapides, d’accélération de transformations en cours. On peut être très ambitieux, je pense. Il s’agit de définir la relance. C’est ce qu’on a essayé de faire au Front commun. Je sais qu’il y a beaucoup de gens à QS au Front commun. Nous le mot-clé qu’on veut imposer, le premier mot-clé qu’on veut imposer, c’est l’écoconditionnalité. Je pense que cela va être assez facile. Le deuxième mot-clé qui va être plus difficile. Mais je pense que là le Réseau que vous êtes est bien placé pour porter cette idée-là, c’est la planification économique de la transition. Il faut déployer les outils économiques de planification et pas remettre ça dans les mains du marché. Tout comme on a planifié le retour à une économie de paix en 1945-46-47, il faut utiliser le même type d’approche. Il faut planifier la transition. Il faut que ce mot-là devienne un mot qui est porteur d’une vision. Il y a une offensive idéologique sur cette idée de planification.
Planifier l’accélération de la sortie des hydrocarbures avec des nationalisations stratégiques et des investissements socialisés stratégiques. Il y a tous les éléments dans le programme de QS pour traduire ça en politiques concrètes.
Moi la ligne que j’essaie de développer et je vais terminer là-dessus. Avec tout ce que je viens de dire, on n’est pas sorti du capitalisme. On est juste sorti du fossile. La ligne qu’on essaie de développer, c’est que dans les années 30 et la fin des années 40 et le début des années 50, le niveau de dépenses publiques qu’il y a eu pour relancer a défini la deuxième moitié du 20e siècle : c’est le réseau des autoroutes, les banlieues, les centres d’achat, c’est un paquet de technologies militaires qui sont devenues des technologies civiles, l’aviation moderne, etc. Et là on se dit, le niveau de dépenses qui va être nécessaire pour nous sortir de la dépression économique dans laquelle on est risque de définir les cinquante prochaines années. Donc, il faut marteler ça. Il faut penser la relance en termes de cette capacité de structurer les cinquante prochaines années. Cela nous amène dans nos cibles, et ce ne sont pas nos cibles, ce sont les cibles de tous les gouvernements qui parlent de carboneutralité. Tout le monde parle de 2040-2050. Ce qu’on va faire aujourd’hui, on ajoute 30 années et ça nous amène là. Il faut dire dans le débat public qu’à 10% du PIB, tu es en train de définir les 30 prochaines années. Donc on ne peut pas être trop ambitieux dans ce contexte-là.
Je vais termine sur la question du capitalisme. Le degré de socialisation, le degré de nationalisation, le degré de transformation du régime de propriété, des mécanismes de coordination, les types d’entreprises -on martèle beaucoup au Front commun, il faut que ce soit des entreprises d’économie sociale, le modèle d’économie sociale ou les entreprises publiques qui soient les véhicules par lequel on fait cette relance, c’est une façon d’attacher la relance à une socialisation le plus loin possible de l’économie. C’est ça qui va déterminer la façon la distance qu’on va prendre par rapport au capitalisme.
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