Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Sommet de l'enseignement supérieur : erreur tactique ?

On dit que la science n’est rien d’autre qu’une « série d’erreurs rectifiées » et que sa richesse provient de son aptitude à tenir compte de ses erreurs pour échapper aux illusions passées et ainsi s’approcher un peu plus du vrai. On aimerait qu’il en soit de même pour cet art qu’est la politique et auquel les diverses associations étudiantes ont dû recourir tant de fois ces derniers mois : parfois avec beaucoup de bonheur, parfois moins.

Comment expliquer en effet qu’aux lendemains de ce sommet sur l’enseignement supérieur de février 2013 le gouvernement du PQ semble —au moins pour l’instant— s’en être si bien sorti, laissant l’impression qu’il a réussi à imposer à peu de frais la solution de l’indexation tout en s’étant bien gardé de répondre aux si vives attentes étudiantes du printemps ; attentes sur lesquelles pourtant – arborant carrés rouges et jouant de la casserole— il avait allégrement surfé à l’époque.

Certes beaucoup pourront faire contre mauvaise fortune bon coeur et dire comme le fit non sans raison Françoise David, qu’il faut exprimer sa reconnaissance aux étudiants pour avoir provoqué une telle prise de conscience au sein de la société québécoise. Mais cela n’empêchera pas les interrogations de fond : comment expliquer qu’un mouvement social si puissant —du jamais vu au Québec depuis des lustres— n’ait pas avancé plus ? Comment, en ayant par ailleurs gagné autant d’appuis dans la société civile, n’a-t-il pas pu, après près de 4 mois de grève et de manifestations journalières, obtenir gain de cause vis-à-vis d’une revendication somme toute assez modérée et autour de laquelle s’était rallié l’ensemble de organisations étudiantes. Ne l’oublions pas la revendication du gel possédait —en termes politiques— de nombreuses vertus : non seulement elle avait permis de rassembler autour d’elle une vaste coalition de forces étudiantes comme de la société civile (des plus modérées aux plus radicales), mais encore par son caractère réaliste et « transitoire », permettait d’envisager de cheminer vers la gratuité, en questionnant au passage la logique néolibérale de l’utilisateur-payeur et en gardant le cap sur l’idée d’une université envisagée comme un véritable service public.

Le point aveugle

Il y avait donc —contrairement aux affirmations dignes de la novlangue (1) de Pauline Marois— toute la différence du monde entre l’indexation et le gel, aussi minime soit par ailleurs l’écart en termes de coûts occasionnés au départ pour les étudiants (70$ de plus pour la première année). L’une inscrivait le financement de l’enseignement supérieur du côté de la logique néolibérale, l’autre se donnait les moyens d’y échapper, ne serait-ce que progressivement. Et c’est un peu le point aveugle dans toute cette affaire. Comment se fait-il que les organisations étudiantes n’aient pas suivi comme au printemps la même lancée, continuant à se serrer les coudes autour de cette revendication de base, comme ils avaient su si bien le faire à l’époque ? Et cela non seulement en se retrouvant à manifester ensemble dans la rue, mais aussi en se faisant entendre d’une même voix à la table de négociation ? N’avaient-ils pas déjà au printemps accepté de négocier, et pour beaucoup moins que cela, avec le gouvernement ? Et cela ne leur avait-il pas servi, montrant justement la mauvaise foi du gouvernement libéral, tout comme la volonté étudiante de contester en profondeur le cours marchand pris par l’éducation au Québec ?

L’unité la plus large

Or le sommet sur l’enseignement supérieur n’était rien d’autre que la table de négociation dressée par le PQ pour régler « la crise » du Printemps Érable. Tout le reste n’était qu’à côtés ! En la désertant, sous prétexte que le gouvernement ne voulait pas formellement parler de gratuité, l’actuelle direction de l’ASSE a sans doute pu faire connaître son souci « théorique » de la gratuité, mais elle n’a pas aucunement aidé à ce que le principe de la gratuité puisse commencer « en pratique » à devenir réalité. Quant à la FECQ et la FEUCQ, en ne se battant pas becs et ongles pour que l’ASSE puisse être présente à leurs côtés au sommet (comme elles l’avaient fait au printemps) elles se sont affaiblies en devenant beaucoup plus vulnérables aux sournoises manoeuvres gouvernementales. Dans tous les cas, les 3 organisations étudiantes ne se sont pas données les moyens –en cas de refus définitif du PQ d’envisager le gel— de lui en faire payer politiquement le prix fort, lui qui n’a pas cessé de jouer sur l’ambiguité, en clignotant à gauche comme on dit, et en virant ensuite à droite. Et elles auraient pu le faire par exemple en cherchant ensemble à faire du gel un préalable à toute autre discussion au sommet, ou encore en travaillant à des alliances fermes avec les acteur syndicaux présents et en organisant une sortie collective du sommet en cas de blocage de la direction péquiste. Faisant ainsi clairement voir aux yeux de tous et toutes que la page du printemps Érable ne pouvait pas facilement se tourner, quand on est et reste tous ensemble.

Certes la bataille pour la gratuité est loin d’être terminée et l’on peut imaginer qu’il y aura à l’avenir d’autres batailles décisives sur ce thème. Mais on aurait déjà avancé beaucoup, si on pouvait tirer leçon de ce sommet –somme toute assez décevant— et se souvenir pour les luttes à venir qu’en cette période de néolibéralisme conquérant, la seule parade efficace pour les mouvements sociaux, est l’unité la plus large d’autant plus si on aspire à une rupture réelle avec le néolibéralisme. Saura-t-on en faire une préoccupation centrale des luttes de demain ?


1) Dans son livre 1984, George Orwell montre qu’une des caractéristiques d’une société totalitaire est de se constituer une langue –qu’il a appelée la novlangue—à travers laquelle on peut finir par dire tout et son contraire (“La guerre c’est la paix, le vrai c’est le faux”, etc.), sans avoir à le justifier ni à en rendre compte.


Pierre Mouterde

Sociologue essayiste

Dernier ouvrage (en collaboration avec Patrick Guillaudat) Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de changement social, Montréal, M éditeur, 2012.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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