5 décembre 2022 | tiré de Contretemps.eu
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article64929
L’étrange changement de position de Gilbert Achcar
Quelques jours après l’invasion russe, Gilbert Achcar avait publié un « Mémorandum sur une position anti-impérialiste radicale concernant la guerre en Ukraine » qui avait contribué de façon positive à clarifier les idées à gauche, dans le mouvement de solidarité avec la résistance de l’Ukraine en voie de formation [1]. Il y mettait notamment en avant les points suivants qui distinguent ce mouvement d’une opposition à l’agression russe d’inspiration purement pacifiste :
1. Il ne suffit pas de demander à la Russie de cesser ses attaques et d’appeler à « un cessez-le-feu immédiat et un retour à la table des négociations ». Nous devrions exiger non seulement la cessation de l’agression, mais aussi le retrait immédiat et inconditionnel des troupes russes d’Ukraine.
2. L’exigence du retrait russe s’applique à chaque pouce du territoire ukrainien – y compris le territoire envahi par la Russie en 2014.
3. Nous sommes pour la livraison sans conditions d’armes défensives aux victimes d’une agression – dans ce cas, à l’État ukrainien qui lutte contre l’invasion russe de son territoire. Donner à ceux qui mènent une guerre juste les moyens de lutter contre un agresseur beaucoup plus puissant est un devoir internationaliste élémentaire. S’opposer en bloc à de telles livraisons est en contradiction avec la solidarité élémentaire due aux victimes.
Dans une réponse à une critique de Stathis Kouvelakis [2], Gilbert Achcar appuyait ce point : « Il est illusoire de souhaiter un match nul en cas d’invasion d’un pays par un autre. Un arrêt des combats avec retrait inconditionnel de l’envahisseur aux frontières d’avant le 24 février serait une victoire pour l’Ukraine. Un arrêt des combats avec occupation d’une large partie du territoire ukrainien serait une victoire pour la Russie. Un résultat qui se situerait entre les deux constituerait un succès mitigé pour Moscou ». Et dans une intervention publiée en avril [3], il soulignait la nécessaire démarcation avec le « pacifisme »-alibi de certains : « L’attitude consistant à exprimer sa désolation pour le sort des Ukrainiens et Ukrainiennes et à prétendre s’en soucier en soutenant les négociations et la ‘‘paix’’ dans l’abstrait (quelle paix ?) est considérée à juste titre comme hypocrite par les socialistes ukrainien.ne.s. Il n’est pas nécessaire d’être un expert en histoire militaire pour comprendre que les négociations dépendent du rapport de forces obtenu sur le terrain. Les Chinois et les Vietnamiens ont une longue expérience à cet égard, résumée par le célèbre dicton maoïste : ‘‘Da Da Tan Tan’’ (combattre, combattre, négocier, négocier) ».
La plate-forme en 11 points (que Gilbert Achcar a cosignée) adoptée par le Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine s’inscrivait pleinement dans cet esprit.
Le 30 novembre, Gilbert Achcar a publié un autre mémorandum « Pour une position antiguerre démocratique face à l’invasion de l’Ukraine » [4]. La métamorphose de la « position anti-impérialiste radicale » en « position antiguerre démocratique » n’est pas seulement textuelle. Comme souvent, le changement sémantique est l’indice d’un changement politique. Celui-ci est déjà visible dans les prémisses de ce texte qui s’adresse à un « mouvement antiguerre » qui se serait développé à la suite de l’invasion de l’Ukraine, mouvement aux « positions fort contrastées » mais qui ont toutes pour point commun « de se revendiquer de la paix ». De fait, ce mouvement recouvrirait un large spectre allant des tenants d’un pacifisme absolu, des partisans d’un cessez-le-feu inconditionnel et des opposants aux livraisons d’armes à l’Ukraine jusqu’aux militants pour une solidarité active avec la résistance ukrainienne, comme les membres du Réseau européen. Or, dans un article publié en juin [5], Gilbert Achcar notait, à juste titre : « La gauche antiguerre anti-impérialiste du monde entier s’est trouvée profondément divisée au sujet de la guerre en Ukraine selon des lignes politiques assez inhabituelles… À l’époque du Vietnam, les deux ailes du mouvement antiguerre étaient pleinement solidaires des Vietnamiens. Elles soutenaient toutes deux le droit des Vietnamiens à acquérir des armes pour leur défense. Leur désaccord était d’ordre tactique… Aujourd’hui, en revanche, celles et ceux qui prônent la « paix » tout en s’opposant au droit des Ukrainien.ne.s à acquérir des armes pour leur défense opposent cette paix au combat. En d’autres termes, ils/elles souhaitent la capitulation de l’Ukraine, car quelle « paix » aurions-nous pu avoir si les Ukrainien.ne.s n’avaient pas été armés et n’avaient donc pas pu défendre leur pays ? ». Ce profond clivage n’est pas d’ordre tactique, il porte sur la position de base occupée dans ce conflit et sur les principes (droit à l’autodétermination, internationalisme ou campisme). Il est vain de chercher à le combler en enrôlant tous les protagonistes sous la bannière d’une commune aspiration abstraite à la « paix ».
Désormais, Gilbert Achcar rejette à la fois la position des pacifistes réels ou simulés, tenants d’un cessez-le-feu inconditionnel, et celle des « antiguerres » qui « placent trop haut la barre de la paix », en posant comme condition nécessaire le retrait des troupes de toutes les parties du territoire ukrainien internationalement reconnu. Cette dernière position, dit-il, risque d’être confondue avec celle des « jusqu’au-boutistes ultranationalistes ukrainiens ». Et c’est donc la même position que Gilbert Achcar prônait dans son mémorandum de février qu’il qualifie désormais de « jusqu’au-boutisme ».
A la place de ses deux « déviations », une authentique « position antiguerre démocratique anti-impérialiste » (belle synthèse !) devrait consister à revendiquer :
1. Cessez-le-feu avec retrait des troupes russes à leurs positions du 23 février 2022.
2. Réaffirmation du principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force.
3. Négociations sous égide de l’ONU pour une solution pacifique durable fondée sur le droit des peuples à l’autodétermination : déploiement de casques bleus dans tous les territoires contestés, tant au Donbass qu’en Crimée, et organisation par l’ONU de référendums libres et démocratiques incluant le vote des réfugié.e.s et déplacé.e.s originaires de ces territoires.
Gilbert Achcar ne propose d’ailleurs pas uniquement sa position au « mouvement antiguerre ». Il juge aussi que « la gauche ukrainienne devrait déterminer de la sorte sa position sur les conditions d’une cessation des combats » et se démarquer par là de celle de son propre gouvernement.
Quoi qu’il en soit, cette position a d’abord pour défaut de manquer de clarté, de rester ambiguë. Est-ce que les conditions d’un cessez-le-feu incluent les 3 points ou uniquement le premier ? Et en ce cas, est-ce que le retrait des troupes russes devrait prendre effet immédiatement ou être lié à l’avancée des négociations ultérieures ? Est-ce que le point 2 implique comme préalable l’annulation de l’annexion à la Fédération de Russie des quatre oblasts ukrainiens de Kherson, Louhansk, Donetsk et Zaporija du 30 septembre 2022 ou est-ce que celle-ci dépend de l’issue des référendums proposés au point 3 ? Est-ce que des « négociations sous égide de l’ONU » ne signifieraient pas sous l’égide du Conseil de Sécurité de l’ONU, ce qui revient à subordonner le sort de l’Ukraine aux tractations entre les grandes puissances ?
Le second défaut de cette proposition est encore plus grave. C’est qu’elle est impraticable en l’état actuel du rapport des forces, et Gilbert Achcar lui-même reconnaît que le retrait des troupes russes des territoires conquis cette année « est un objectif très difficile à atteindre » ou alors qu’il « suppose une amplification majeure de la contre-offensive ukrainienne, avec un soutien quantitativement et qualitativement accru des pays de l’OTAN ». Le chemin vers la paix qu’il propose devrait donc emprunter justement la voie du jusqu’au-boutisme auquel il voulait tourner le dos. Loin d’être une issue, c’est donc plutôt une impasse.
Gilbert Achcar s’en extrait, comme dans du mauvais théâtre, par l’intervention d’un deux ex machina : il faut faire appel à la Chine ! Solution beaucoup plus rapide et d’un « bien moindre coût humain et matériel » que la guerre ! Cette Chine qui se réclame des principes du droit international et qui « dispose d’une influence déterminante sur Moscou » n’a-t-elle pas toutes les clés d’une solution heureuse du conflit ? Et puisque les Ukrainiens n’y ont pas encore pensé, que le mouvement antiguerre le fasse pour eux et « exerce une pression sur la Chine pour l’inciter à intervenir » dans le sens de la proposition Achcar ! Bien sûr, dans ce monde où l’on n’a rien pour rien, il faudra aussi que le mouvement antiguerre rétribue la Chine, « en blâmant les attitudes belliqueuses envers Pékin » de Washington et de Londres.
A lire cette conclusion ahurissante de son mémorandum, on se dit qu’il faut peut-être d’abord rappeler à Gilbert Achcar que l’attachement du gouvernement de Pékin à la souveraineté et à l’intégrité territoriale des États est resté, dans ce cas, exclusivement générique, qu’il n’a jamais exprimé publiquement la moindre condamnation ou critique de l’agression russe et qu’il a imperturbablement attribué la responsabilité exclusive de cette guerre aux seuls Etats-Unis. Rappelons lui aussi que la Chine est une grande puissance dont le leader Xi Jinping a clairement affirmé qu’elle visait à obtenir la prépondérance mondiale au cours des trente prochaines années. Ni la rivalité de la Chine avec les États-Unis, ni son alliance « sans limite » avec la Russie ne sont commandées par le souci du droit international, mais par la logique de ses intérêts dans un contexte de confrontation impérialiste. La distanciation, les désaveux ou les pressions que la Chine peut manifester à l’égard de Poutine sont avant tout le produit des échecs militaires et politiques de celui-ci. Toute autre considération mise à part, elle n’a pas envie de se trouver enchaînée à un navire en train de couler.
L’aspect pratique de sa conclusion est lui franchement risible, pour ne pas dire ridicule. Le « mouvement antiguerre » devrait exercer une pression sur la Chine pour que celle-ci « se joigne à son effort » ! Il n’est pas tout à fait clair si Gilbert Achcar imagine cette pression sous forme de manifestations dénonçant la passivité chinoise, un peu comme ce qui s’est produit par rapport à la politique de non-intervention de la France et de la Grande-Bretagne pendant la guerre d’Espagne, ou s’il s’agit d’une proposition d’alliance faite à la Chine par le « mouvement antiguerre », qui s’engagerait au surplus à défendre sa cause contre les « attitudes belliqueuses » de Washington et de Londres. On nage ici dans la politique du Café du Commerce… Ou alors Gilbert Achcar rêve-t-il de surmonter la très profonde fracture que la guerre d’Ukraine a provoquée dans la gauche radicale en rassemblant celle-ci sous le parapluie protecteur de Pékin ?
Pour ma part, je continue à penser que la solidarité avec l’Ukraine doit continuer à suivre les deux axes très simples adoptés dès le commencement :
– le facteur décisif consiste en la résistance – armée et non armée – du peuple ukrainien. C’est elle avant tout qui a bloqué l’invasion russe et lui ensuite infligé de premières défaites et commencé à la repousser.
– la résistance ukrainienne et le mouvement de solidarité avec elle doivent préserver à tout prix leur indépendance politique vis-à-vis de toutes les puissances, qu’elles soient ennemies, neutres ou alliées. En particulier, les modalités et le déroulement de négociations et les termes d’un accord de paix doivent rester entre des mains ukrainiennes et non pas abandonnées à la bienveillance des grandes puissances.
1er décembre 2022
Jean Vogel
Brève réponse au sujet de mon prétendu « changement de position » Gilbert Achcar
Jean Vogel a rédigé une critique de mon récent court texte plus de trois fois plus longue que le texte lui-même. Il croit déceler des changements de position là où il n’y en a pas et pratique une lecture déformante de ce qu’il critique, jusqu’à inventer une citation de toutes pièces.
Je n’aurais normalement pas répondu à ce genre de critique, mais, comme mon nom figure en titre avec l’accusation d’avoir opéré un « étrange changement de position » et qu’elle risque donc d’être trouvée par quiconque chercherait à s’enquérir de mes positions en ligne, je me vois obligé d’établir brièvement que son affirmation est erronée.
Jean Vogel commence par un commentaire sur la différence entre le titre de mon Mémorandum du 27 février « sur une position anti-impérialiste radicale » concernant la guerre en Ukraine et celui de mon texte du 30 novembre « pour une position antiguerre démocratique ». Il y voit un « changement sémantique » qui serait « l’indice d’un changement politique », en une phrase qu’il répète à l’identique plus loin. Il ne lui est pas venu à l’esprit que les titres correspondent aux différents thèmes traités : positionnement général sur la guerre au tout début de celle-ci, dans un cas ; position à l’égard de la revendication de « la paix » brandie depuis lors par des pans opposés du mouvement antiguerre et discussion concrète des conditions d’un juste règlement pacifique, dans l’autre. D’ailleurs, l’auteur cite lui-même la formule « position antiguerre démocratique anti-impérialiste » utilisée à deux reprises dans mon dernier texte. À moins de penser qu’un anti-impérialisme « radical » ne saurait être « démocratique », il n’y a de « changement politique » que dans son entendement.
Il affirme ensuite que mon nouveau texte contredit mon Mémorandum. À cette fin, il produit des citations tronquées de ce dernier, sans même indiquer par des ellipses qu’elles l’ont été. Or, il suffit de lire les passages cités dans leur intégralité pour voir que je n’ai pas changé de position.
Mémorandum : « Il ne suffit pas de demander à la Russie de cesser ses attaques et d’appeler à « un cessez-le-feu immédiat et un retour à la table des négociations ». Nous n’avons pas utilisé un tel langage onusien lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Irak, mais nous avons exigé le retrait immédiat et inconditionnel des agresseurs, comme nous l’avons fait dans chaque cas d’invasion d’un pays par un autre. De même, nous devrions exiger non seulement la cessation de l’agression, mais aussi le retrait immédiat et inconditionnel des troupes russes d’Ukraine. »
Texte 30/11 : « Cessez-le-feu avec retrait des troupes russes à leurs positions du 23 février 2022. »
Mémorandum : « L’exigence du retrait russe s’applique à chaque pouce du territoire ukrainien – y compris le territoire envahi par la Russie en 2014. Lorsqu’il y a un différend sur l’appartenance d’un territoire où que ce soit dans le monde – comme la Crimée ou les provinces de l’Est de l’Ukraine, en l’occurrence – nous n’acceptons jamais qu’il soit résolu par la force brute et la loi du plus fort, mais toujours uniquement par le libre exercice par les peuples concernés de leur droit à l’autodétermination démocratique. »
Texte 30/11 : « Réaffirmation du principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force. » et « Négociations sous égide de l’ONU pour une solution pacifique durable fondée sur le droit des peuples à l’autodétermination : déploiement de casques bleus dans tous les territoires contestés, tant au Donbass qu’en Crimée, et organisation par l’ONU de référendums libres et démocratiques incluant le vote des réfugié.e.s et déplacé.e.s originaires de ces territoires. »
Les lectrices et les lecteurs pourront ainsi juger de la réalité de mon « étrange changement de position » sémantico-politique. J’espère aussi que les lectrices et lecteurs savent faire la différence entre les conditions pour un cessez-le-feu ouvrant la voie à des négociations et les conditions pour une paix durable. Je ne discuterai pas les commentaires de l’auteur sur mes trois points ci-dessus, car je pense que des questions telles que « Est-ce que les conditions d’un cessez-le-feu incluent les 3 points ou uniquement le premier ? Et en ce cas, est-ce que le retrait des troupes russes devrait prendre effet immédiatement ou être lié à l’avancée des négociations ultérieures ? » sont à la limite du ridicule.
Ridicule, dont l’auteur m’accuse en m’attribuant l’idée que « Le « mouvement antiguerre » devrait exercer une pression sur la Chine pour que celle-ci « se joigne à son effort » ! ». C’est en effet ridicule, et même grotesque, sauf que je n’ai pas écrit cela et que ce que l’auteur présente entre guillemets comme si c’était une citation n’est qu’une invention de sa part, lui pour qui « exercer une pression sur la Chine » signifie s’acoquiner avec le pouvoir chinois ! Il me sermonne ensuite sur celui-ci, croyant déceler chez moi l’enthousiasme pro-Pékin qui l’animait naguère. Je le rassure tout de suite : je n’ai aucune sympathie pour Xi Jinping, mais cela ne m’empêche pas de dénoncer l’attitude belliqueuse de Washington et Londres à l’égard de la Chine. La tradition politique à laquelle j’appartiens n’a jamais confondu l’opposition à l’attitude belliqueuse de Washington envers l’Union soviétique avec le soutien à la bureaucratie stalinienne.
4 décembre 2022
Gilbert Archcar
Sobre réponse à Gilbert Achcar
Jean Vogel
Commençons par des mesquineries. Gilbert Achcar paraît me reprocher d’avoir écrit une critique trois fois plus longue que son mémorandum. Il exagère un peu, mais la longueur de mon texte est due au fait que, par scrupule intellectuel, j’ai longuement cité pas moins de cinq articles différents qu’il avait publiés. Sans ses citations, mon texte est à peine plus long que le sien.
Beaucoup plus grave, il m’accuse, à deux reprises, d’avoir « inventé une citation de toutes pièces ». Visiblement il ne sait pas lire ce qu’il a lui-même écrit.
Voilà la phrase qu’il incrimine : Le « mouvement antiguerre » devrait exercer une pression sur la Chine pour que celle-ci « se joigne à son effort » !
Et voici ce qu’il avait écrit : « Cet objectif pourrait être atteint beaucoup plus vite et à bien moindre coût humain et matériel si la Chine, le seul État qui dispose d’une influence déterminante sur la politique de Moscou, se joignait à cet effort… Le mouvement antiguerre devrait exercer une pression sur la Chine pour l’inciter à intervenir dans ce sens… »
Le seul changement apporté c’est le passage du verbe joindre de l’indicatif au subjonctif, pour des raisons grammaticales.
Gilbert Achcar me reproche aussi de ne pas avoir cité in extenso son mémorandum de février. Effectivement je n’en ai cité que les trois points qui sont en rapport avec son changement actuel de position. Les passages omis ont trait à d’autres choses (une intervention militaire directe de l’OTAN, les sanctions, l’accueil des réfugiés) et n’interviennent en rien dans la présente discussion.
Passons au fond du problème. Gilbert Achcar s’offusque de ce que j’ai osé parler de son « changement de position » mais il n’apporte aucun élément probant qui réfuterait mon affirmation.
En quoi consiste ce changement de position ?
1. A la suite de l’invasion du 24 février, Gilbert Achcar, avec son mémorandum et d’autres textes, a apporté une contribution positive à la constitution d’un mouvement de solidarité avec l’Ukraine ou, plus précisément, de son aile gauche. Désormais, Gilbert Achcar évoque et s’adresse à un « mouvement antiguerre », aux « positions fort contrastées », avec « en commun de se revendiquer toutes de la paix ». Et dans la réponse qu’il me fait, il parle des « pans opposés du mouvement antiguerre ». Pour ma part j’affirme qu’il n’existe pas aujourd’hui, et qu’il ne peut pas exister, quelque chose comme un « mouvement antiguerre », aussi contrasté serait-il. Les militants qui s’efforcent d’établir des liens de solidarité concrète avec la résistance de l’Ukraine, par exemple par l’organisation de convois syndicaux, et ceux qui manifestent à Madrid à l’occasion du contre-sommet anti-OTAN, où l’on refuse de donner la parole à des socialistes ukrainiens, ne sont pas partie prenante d’un prétendu « mouvement antiguerre » commun. Gilbert Achcar n’est pas passé, comme il l’affirme », d’un « positionnement général sur la guerre » à une « discussion concrète des conditions d’un juste règlement pacifique », non, il a changé de destinataire ».
2. Gilbert Achcar affirme qu’il n’y a aucune différence de fond entre son mémorandum de février et son texte actuel et qu’il « suffit de lire les passages cités dans leur intégralité pour voir que je n’ai pas changé de position ». Je maintiens que ce n’est pas vrai. Par exemple, son mémorandum disait : « L’exigence du retrait russe s’applique à chaque pouce du territoire ukrainien – y compris le territoire envahi par la Russie en 2014 », alors que dans le texte du 30 novembre, cette même exigence est présentée comme propre à ceux qui « placent trop haut la barre de la paix » : « la paix se trouve définie comme ayant pour condition nécessaire le retrait des troupes russes de toutes les parties du territoire ukrainien internationalement reconnu, ce qui inclut non seulement l’intégralité du Donbass, mais aussi la Crimée annexée en 2014 ». On parle bien ici des conditions de la paix et pas des conditions d’un cessez-le-feu. Mais Gilbert Achcar préfère trouver « à la limite du ridicule » le fait que je l’ai interrogé sur la nécessité de bien différencier les unes et les autres.
3. Il ne m’est jamais passé par la tête d’accuser Gilbert Achcar de sympathie pour Xi Jinping mais je me suis effectivement demandé comment il comptait le mettre sous « pression » : par des manifestations devant les ambassades chinoises, par une offre d’alliance que lui ferait le mouvement antiguerre sur base de ses trois points ou encore autrement. Tant qu’il n’aura pas expliqué la méthode à suivre, j’aurai du mal à le prendre au sérieux sur ce point. Il reste que, sérieuse ou non, cette invocation de la carte chinoise traduit aussi un changement de position. En juin Gilbert Achcar posait une alternative très simple [6] : « [Des négociations] ne déboucheront sur un traité de paix qu’à l’une de deux conditions. La première serait que l’Ukraine ne puisse plus continuer à se battre et doive capituler et accepter le diktat de Moscou .. . L’autre condition serait que la Russie ne soit plus en mesure de continuer à se battre, soit pour une raison militaire à cause de l’épuisement moral de ses troupes, soit pour une raison économique face à un mécontentement généralisé de la population russe… Les vrais internationalistes, militant.e.s antiguerre et anti-impérialistes ne peuvent que souhaiter de tout cœur le second scénario ». Pourquoi ne pas reconnaître que l’idée d’un recours à une carte chinoise « à bien moindre coût humain et matériel » qu’une guerre de résistance prolongée exprime un changement de position ?
Jean Vogel
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