John Nichols, The Nation, 29 juillet 2020
Traduction, Alexandra Cyr
La plateforme approuvée cette semaine par le Comité national démocrate sous forme de brouillon et devant s’insérer dans le programme de 2020, a été décrite par son vice-président comme la « plus audacieuse et la plus forte des plateformes démocrates de l’histoire américaine ».
Ça n’est pas le cas. À moins que votre définition « d’audacieux et fort » comprenne une petite phrase qui rejette le projet d’introduction de Medicare pour tous et toutes centralisé soutenu par un nombre impressionnant d’Américains.es en plein milieu de la crise du COVID-19.
La proposition de plateforme s’engage sur toute une autre série d’enjeux allant de la légalisation de la marijuana, la fin de l’immunité qualifiée pour les policiers.ères, l’introduction de conditions à l’aide à Israël, une garantie fédérale à l’emploi jusqu’à une approche complète du développement et de l’introduction du New Deal vert.
Chacune des plateformes démocrates est un document complexe qui embrasse les idées des diverses factions qui composent le Parti et celle-ci n’est pas différente. Elle comporte un certain nombre de positions fortes répondant aux pressions des progressistes qui ont poussé le Parti vers la gauche. Des buts clairs y sont exprimés dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques reflétant les positions du présumé candidat, Joe Biden. On y retrouve aussi un « appel », tel que le note NPR (National Public Radio), au salaire minimum à 15 $ l’heure, pour un congé familial payé, un meilleur contrôle fédéral des armes à feu, pour des changements majeurs aux directives fédérales en matière de sentences et de lois sur les drogues et bien d’autres sujets que la plupart des candidats.es démocrate au Congrès et à la Maison blanche ont soutenu au fil des ans.
Difficile pourtant de prétendre que cette version soit la plus audacieuse de l’histoire du Parti démocrate américain. Celle de 1900 commençait par « mettre en garde le peuple américain contre la poursuite de l’impérialisme à l’étranger qui mènerait inévitablement au despotisme dans le pays ». Ça c’était audacieux.
En 1932, en plein milieu de la grande dépression, le Parti démocrate s’engageait dans sa plateforme à « en finir avec les pratiques monopolistiques et la concentration du pouvoir économique ». Ça aussi c’était audacieux.
Alors que le Parti comptait sur le « Sud profond » qui faisait partie de sa coalition et que la ségrégation dite « Jim Crow » y régnait, sa plateforme affirmait que « les minorités raciales et religieuses ont le droit de vivre, de se développer et de voter en toute égalité avec les autres citoyens et de bénéficier des protections garanties par notre Constitution ». Voilà qui était audacieux, voire intrépide.
1960. Au moment où les nouvelles technologies transformaient le monde du travail, la plateforme démocrate déclarait : « le gouvernement insufflera tout le leadership nécessaire pour que les bénéfices de l’automatisation ne génèrent pas les souffrances du chômage de masse ». Encore une fois, audacieux.
Dans sa plateforme de 1972, le Parti promettait « de repenser et réformer les institutions du pays » pour traiter le racisme, le sexisme, les disparités de classes systémiques et de « préparer un plan pour restructurer les relations sociales, politiques et économiques dans toute la société afin de garantir un partage équitable des richesses et du pouvoir ». Un autre exemple d’audace.
Dans ce même document, après avoir reconnu qu’un système d’assurance maladie faisait défaut dans le pays, on s’engageait à « en établir un qui offrirait à tous les Américains une couverture maladie large avec des bénéfices comprenant la médecine préventive, la maladie et les désordres mentaux, une protection totale contre les coûts astronomiques en la matière et garantirait le libre choix du patient et du médecin de même que la protection en tant que consommateur. Le programme serait financé et administré par le gouvernement fédéral ».
De 1940 à 1980, eu égard aux soins de santé, les plateformes démocrates ont donc été plus audacieuses, que celle de 2020. Comme le fait remarquer la vice-présidente de la délégation californienne à la convention, Ro Khanna, « Les idées progressistes ne sont pas nouvelles. Il n’y a aucune raison pour que nous ne mettions pas en œuvre ces politiques cette année ». Malheureusement, la plateforme proposée ne va pas dans ce sens.
L’amendement « Medicare pour tous et toutes » mis de l’avant par les supporteurs du candidat B. Sanders, sénateur du Vermont, a été complètement rejeté lundi par le comité avec 36 voix pour et 125 contre. Les soutiens à J. Biden dominaient le vote. Des propositions d’abaissement de l’âge d’éligibilité à Medicare et de son extension aux enfants ont aussi été rejetées.
Ce rejet du Parti envers un programme universel d’assurance maladie est une erreur pratique. Comme le soulignait le militant de longue date pour un système universel, Michael Lighty, alors qu’il faisait pression auprès des membres du comité de la plateforme, pour qu’ils rejoignent les groupes de lutte pour les droits civiques qui soutiennent la proposition de Medicare pour tous et toutes : « C’est crucial que nous saisissions ce moment où la demande pour la justice médicale et Medicare pour tous et toutes, pour un système qui renversera les iniquités que la crise de la Covid-19 a mise à jour, se fait entendre. Les Afroaméricains.es et les Latinos meurent 2 à 3 fois plus que les blancs.hes », argumentait ce militant.
Le refus du Parti de soutenir l’introduction d’un tel système est aussi une erreur politique. Les campagnes de B. Sanders et la génération montante récemment élue au Congrès, ont popularisé ce projet à un point tel qu’un récent sondage montre que 69 % des Américains.es et 88 % des Démocrates le soutiennent.
Winnie Wong, une ancienne conseillère des campagnes Sanders, pense simplement que : « Les Démocrates font une erreur fatale en n’appuyant pas la proposition de Medicare pour tous et toutes ». Elle qualifie le vote du Comité de la plateforme de « honteux » au moment : « où le pays est aux prises avec des décès dus à la pandémie et où des gens meurent parce qu’ils ne peuvent se payer les soins nécessaires ».
Assez honteux pour s’opposer à l’ensemble de la plateforme ? Un nombre important de délégués.es le croit et ceux et celles de Sanders au Nevada font circuler une pétition vers l’ensemble des délégués.es qui se termine par « un plaidoyer pour un vote contre toute plateforme qui ne comprendrait pas un engagement à soutenir Medicare pour tous et toutes, un système universel (d’assurance maladie) géré centralement ». Des groupes dont, Progressive Democrats of America et RootsAction.org diffusent la pétition et selon Jeff Cohen de RootsAction, mardi après-midi, 700 délégués.es l’avaient signée.
Le directeur national de RootsAction, Norman Salomon, délégué de Sanders, déclare : « un espoir subsiste que lorsque les historiens.nes étudieront ces quelques semaines, ils et elles y verront des centaines de délégués.es se lever et soutenir ‘qu’il y a là une ligne rouge à ne pas dépasser dans une société humaine’ et donc ne cesseront pas de s’opposer ».
Ça c’est audacieux !
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