Piazza del Popolo (place du peuple), il ne reste aucune trace des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre survenus le 14 décembre : le bitume endommagé par l’incendie de véhicules Via del Corso a été refait, les panneaux de signalisation arrachés ou pliés ont été remplacés.
Ce week-end, les Romains se sont précipités dans les boutiques du centre-ville, pris par la frénésie des derniers achats de Noël. La tension n’est pas retombée pour autant entre le gouvernement et les associations étudiantes qui prévoient une nouvelle mobilisation massive.
Six jours après le vote de confiance, les Italiens s’apprêtent à vivre une semaine parlementaire agitée avec la présentation au Sénat, ce lundi en troisième lecture, de la réforme Gelmini sur l’université. Un texte qui devrait être adopté définitivement mercredi.
Moins d’une semaine après les scènes d’une violence extrême dans les rues de Rome -condamnées par l’ensemble de la classe politique italienne-, des questions demeurent sans réponse :
0. Qui sont vraiment les auteurs des violences ?
0. Peut-on parler de groupes « black blocs » ?
0. Y avait-il des infiltrés appartenant aux forces de l’ordre parmi les manifestants ?
Des photos largement diffusées dans la presse et sur Internet ont en effet semé le doute sur la présence possible de policiers en civil parmi les casseurs et poussé les parlementaires de l’opposition à réclamer des comptes au ministre de l’Intérieur. Anna Finocchiaro (sénatrice du Parti démocrate, PD) :
« Nous voulons savoir qui étaient ces infiltrés, qui les a envoyés, qui les paie et ce qu’ils doivent provoquer. »
Vendredi, les explications de Roberto Maroni au Sénat n’ont pas clos la polémique : félicitant les policiers, la questure et le préfet de Rome pour leur gestion des incidents, le ministre a rejeté les hypothèses d’infiltrations et critiqué la décision de la magistrature de remettre en liberté 23 jeunes arrêtés mardi.
Les vidéos des violences envahissent le Web italien
La Toile et les réseaux sociaux se sont littéralement enflammés au lendemain des événements avec des centaines de réactions et de témoignages contrastés, des soupçons, des accusations.
Des dizaines de vidéos et des reportages amateurs ont été publiés sur le site YouReporter (http://www.youreporter.it/video_Scontri_Roma_15enne_aggredito_e_in_condizioni_serie_1) et repris par la majorité des journaux télévisés des chaînes nationales.
0. Voitures en flamme ;
0. violences de rue aux allures de guérilla ;
0. jeunes, cagoulés ou portant des casques, qui s’en prennent aux forces de l’ordre à coup de barres de fer ou en lançant des bombes artisanales ;
0. policiers qui tabassent des manifestants ;
jeune de 15 ans frappé par un civil défendant un véhicule de police, et faisant le salut fasciste… (Voir la vidéo de cette agression : (http://www.youtube.com/watch?v=GM4eoQ4WXXY&feature=player_embedded)
Les médias ont immédiatement rapproché ces images des incidents du G8 de Gênes, en 2001 ; incidents qui continuent de faire s’interroger les Italiens, traumatisés par le spectre des Années de plomb.
L’auteur de « Gomorra » fait la morale aux « casseurs »
L’écrivain Roberto Saviano a publié une « lettre aux jeunes du mouvement » le 15 décembre, déchaînant les réactions des lecteurs sur le site de La Repubblica avec plus de 650 commentaires. Sans mâcher ses mots, en pédagogue revendiqué de la contestation, l’auteur de « Gomorra » a fait la morale aux manifestants :
« Chaque geste violent est un vote de confiance en plus donné au gouvernement Berlusconi. […]
Si tout se réduit à l’habituelle guerre de rue, ce gouvernement a gagné encore une fois. […]
Ce gouvernement en difficulté cherchera à tout prix à délégitimer ceux qui manifestent, il cherchera à terroriser les adolescents et leurs familles avec un message clair : “Envoyez-les manifester et ils rentreront couverts de sang.” […]
A présent, la chasse aux sorcière est ouverte ; il y aura la volonté de montrer que ceux qui défilent sont violents. Il y aura la stratégie d’éviter que l’on se réunisse et que l’on exprime librement ses opinions. »
Les étudiants, résolus ou écœurés
S’ils dénoncent unanimement la désinformation autour des incidents de mardi, rejetant l’utilisation par la presse des termes de « guérilla » ou de « black blocs », les acteurs de la manifestation -principalement des étudiants- sont divisés :
0. Certains veulent rétablir « leur » vérité sur une explosion de violence qui symbolise surtout un ras-le-bol généralisé, la rébellion de jeunes révulsés par un système pourri où ils ne voient aucun avenir possible.
Ils affirment que les débordements sont venus aussi du cortège « pacifique » -et pas seulement de casseurs extérieurs- qui chantait à l’unisson « A l’assaut de Montecitorio ! »
La coordination universitaire Link qualifie le 14 décembre d’« enterrement de la démocratie parlementaire italienne » et dénonce le silence d’une politique « muette et sourde ».
Le collectif reconnaît l’intrusion de groupes organisés, armés de pierres et de bouteilles -qui ont utilisé les étudiants comme couverture-, mais insiste sur la réalité de « la colère d’une génération » qui a participé spontanément aux affrontements lorsque le cortège a fait face aux forces de l’ordre qui bloquaient l’accès à la « zone rouge » au moment du vote des parlementaires.
0. D’autres sont écœurés par la tournure des événements et condamnent la violence de « groupes extérieurs » qui n’ont rien à voir avec leur lutte contre la réforme universitaire.
A l’image des Studenti Viola qui publient un texte amer condamnant la radicalisation du mouvement où ils « remercient » le manifestant qui, en lançant des pavés et brûlant des camionnettes, « a rendu désormais inutile la moindre contestation contre la réforme Gelmini » :
« Nous serons étiquetés comme violents et fermés au dialogue […], on se souviendra seulement de nous pour les bûchés de la place du Peuple. […]
Nous t’écrivons pour te dire que c’est à cause de tous ceux qui sont comme toi que rien ne change jamais dans ce pays. »
Les manifestants, « des assassins potentiels »
En prévision des manifestations étudiantes de mercredi, le maire de Rome Giovanni Alemanno a déjà annoncé que le centre de la capitale serait encore une fois bloqué, avec une « zone rouge » protégée.
« Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour tenir loin du centre les manifestations. »
Invoquant la nécessité d’une prévention de la violence, le secrétaire d’état à l’Intérieur, Alfredo Mantovano, a proposé vendredi d’étendre le Daspo (interdiction d’accéder aux événements sportifs) aux manifestations, un dispositif de prévention utilisé pour empêcher les supporters de foot violents de se rendre au stade -les tifosi identifiés comme dangereux étant notamment tenus de se présenter au commissariat pendant les matches.
Cette proposition divise la majorité, irrite l’opposition (le leader du mouvement L’Italie des valeurs, Antonio di Pietro, la qualifie de « mesure fasciste qu’aucun état démocratique n’aurait envisagée ») mais séduit le ministre Roberto Maroni.
Au micro de l’émission matinale Agora sur Rai 3, le président du groupe des sénateurs du parti Le Peuple de la liberté (PDL), Maurizio Gasparri, qui s’est prononcé en faveur d’arrestations préventives, a lancé un appel aux parents :
« Dites à vos enfants de rester à la maison. Ces manifestations sont fréquentées par des assassins potentiels. Il faut les éviter. »
La « zone rouge » assiégée ?
Pendant que le gouvernement prône la tolérance zéro, les étudiants s’organisent. Alors que le syndicat Rete Degli Studenti diffuse sur son site des exemples de lutte non-violente (« flashmob », avions en papier, grève de la faim…), l’Union des étudiants publie un message explicite, promettant un début de semaine explosif :
« Notre objectif sera les palais du pouvoir, la “zone rouge”. Ce sera un siège. »