Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Le Québec : Un des pires cas au monde, mais toujours confiant envers la CAQ

Résultat : Aucun des projets de relance ne rompt avec le capitalisme

Dans la nuit de la pandémie, une fois implantées les mesures de sauvetage économique, se pointe le débat de la sortie de crise. « L’Allemagne, la Chine et une trentaine de pays appellent à une relance verte » titre Le Monde. « [L]a chancelière allemande, Angela Merkel, a reconnu qu’’’il va y avoir un débat très difficile sur l’allocation’’ des milliards qui vont être mobilisés par les États pour remettre sur pied leur économie. […] La chancelière […] a notamment appelé à ’’tourner le dos aux énergies fossiles’’, à adopter plus massivement les énergies renouvelables, à développer les économies d’énergie et à mettre en place un prix du CO2 » (Le Monde, 29/04/20) « ’’[J]e salue l’objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 50 à 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990", a annoncé Angela Merkel » (Novethic, 29/04/20), point nodal du « Green Deal » de l’Union européenne, ce qu’elle n’avait jamais fait jusqu’ici et en cela appuyé par la Chine et le Japon sans engagement précis. La table est mise pour la COP-26 qui se tiendra à une date inconnue en 2021.

On constate l’éternelle tactique de faire naître de faux espoirs autour d’objectifs de toute façon insuffisants pour atteindre les objectifs du GIEC et finalement déçus par de piètres résultats comme lors des COP de Copenhague, de Paris et de Madrid. On se rappelle que des promesses semblables de sortie de crise à la mode keynésienne avaient été prises la main sur le cœur lors de la Grande récession de 2008-09 pour aboutir à un retour à un néolibéralisme plus austère que jamais teinté d’un supplément d’autoritarisme ultra-nationaliste sinon raciste dont la présidence Trump est le symbole. Cette tactique mensongère n’a pour but que de tromper un peuple certes en colère mais qui reste malgré tout confiant dans la bonne foi de ses directions politiques, opportunistes politiciens professionnels à la remorque du capitalisme.

La meilleure preuve de leur cynisme est la vitesse avec laquelle les pays et régions qui ne répondent aux critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui « appelle toutefois à la plus grande prudence, pointant le risque d’une deuxième vague épidémique » veulent précipiter le retour à la dite normale prépandémie. Comme autre preuve il faut signaler le blocage venant des ÉU de la « résolution des Nations unies réclamant une ’’cessation des hostilités’’ à travers le monde pour faciliter notamment l’aide aux populations les plus éprouvées. » (AFP, Un déconfinement européen dans l’incertitude, Le Devoir, 9/05/20)

Le Québec, un des plus touchés mondialement par la COVID-19… et des plus pressés de ré-ouvrir

Au Canada de dire une des chroniqueurs majeurs du Globe and Mail, le quotidien central de la bourgeoisie canadienne, qui a aussi une chronique dans Le Devoir  : « M. Trudeau a confié à un trio de ministres le mandat de produire une stratégie de relance qui vise en même temps la décarbonisation de l’économie canadienne. […] Il n’en demeure pas moins que ces ministres sont des poids légers au sein du gouvernement à côté de la vicepremière ministre, Chrystia Freeland, et du ministre des Finances, Bill Morneau, pour qui la santé de l’économie albertaine est une préoccupation primordiale. […] le gouvernement Trudeau n’a simplement pas le choix de ne pas venir en aide au secteur pétrolier maintenant s’il veut compter sur ses recettes après la crise. » (Konrad Yakabuski, Vive le pétrole !, Le Devoir, 9/05/20)

Dès le début avril, le gouvernement de la CAQ au Québec, procédant plus franchement, formait un comité ministériel pour la planification de l’après-crise composé des quatre ministres chargés des ministères économiques (Finance, Économie, Conseil du trésor, Emploi). « François Legault promet que l’environnement ne sera pas sacrifié dans le plan de relance économique qui se prépare en coulisse. Mais il n’a pas cru bon faire de place aux ministres de l’Environnement et de l’Énergie dans son escouade ministérielle formée des quatre hommes (pas une femme, vraiment ?) qui s’occupent de l’économie, et juste de l’économie. » (François Cardinal, Après la COVID-19 : reconstruire… en mieux (2), La Presse +, 16/04/20). Ce serait croire au Père Noël s’imaginer que les propositions des ces messieurs aboutiront à autre chose que le statu quo plus la promotion de l’auto hydroélectrique et quelques grands projets pharaoniques de transport collectif surtout aérien et un peu sous terre abandonnant la terre ferme à la dominance de l’auto solo à qui on donnera en cadeau le troisième lien à Québec.

Avec un tel quarteron, une quasi délégation du patronat au sein du conseil des ministres de la CAQ, on comprend l’empressement du gouvernement québécois à ré-ouvrir. Pourtant : « Le Québec est l’endroit le plus touché par le coronavirus au Canada… Et c’est en même temps l’endroit le plus pressé de commencer le déconfinement. Notre empressement à déconfiner est sans égal au Canada. Ailleurs au pays, cet empressement est vu comme une sorte de ’’folie’’. Les experts de l’Institut national de santé publique (INSPQ) ont publié une critique à peine voilée des motivations présentées par l’État pour justifier le déconfinement des enfants, la semaine passée, ce qui peut légitimement soulever la question de la véritable place de la science dans la prise des décisions de déconfinement… » (Patrick Lagacé, Overdose d’arcs-en-ciel, La Presse +. 7/05/20)

André Noël dans Ricochet montre comment l’INSPQ, grâce à sa relative autonomie face au gouvernement que lui procure un conseil d’administration semi-autonome, essaie de faire entendre raison au gouvernement (André Noël, Les experts font des mises en garde mais Horacio Arruda n’écoute pas, Ricochet, 28/04/20). On constate à quel point la CAQ est le parti le plus pro-entreprise du Québec. Il gère la pandémie selon les intérêts de Québec Inc. dont le noyau sont les PME aux abois et les petites transnationales déconfites à la Bombardieer et SNC-Lavallin prêts à sacrifier leurs travailleuses et travailleurs. Les deux graphiques ci-après suggèrent fortement que le Québec, dû surtout à la perte de contrôle à Montréal d’abord dans les résidences de personnes âgées et maintenant dans les quartiers racisés où résident une forte proportion des « anges gardiens » du Premier ministre, a une des pires situations au sein des pays du vieil impérialisme.

Dans le premier graphique, on constate que le Canada a la seule courbe ascendante quant aux décès en realation avec la population, peut-être en voie d’aplatissement, alors que celles des autres grands pays du vieil impérialisme ont une courbe descendante parfois en voie d’aplatissement surtout dans le cas pathétique des ÉU. La courbe de la Corée du sud est une référence démontrant la gestion inepte des grands pays du vieil impérialisme que n’explique pas la référence à la cause néolibérale puisque la Corée du sud l’est tout autant que les autres. Dans le second graphique, la catastrophe québécoise parmi les quatre grandes provinces canadiennes saute aux yeux. Un troisième graphique non reproduit montrerait la super catastrophe du Grand Montréal par rapport au Québec hors Montréal qui en fait l’équivalent de celle de la ville de New-York.

Plus ça change...

À court terme, certains pourraient se réjouir d’un effet collatéral de la pandémie : une baisse impressionnante des émissions polluantes en raison de l’arrêt des vols, des usines et des déplacements. Imaginez : cette baisse s’annonce si importante selon les premières estimations (entre 3 et 14 % à l’échelle mondiale) qu’elle pourrait permettre à certains États, comme le Québec, d’atteindre des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui paraissaient jusqu’à alors illusoires. Mais cette réjouissance formulée par certains environnementalistes est fort déplacée. D’abord, parce qu’elle se fait sur le dos d’innombrables tragédies humaines. Ensuite, parce qu’il y a bien peu de chances que la pandémie nous mène vers une économie moins polluante. Il n’y a qu’à se rappeler ce qui s’est passé au lendemain de la crise économique de 2008 pour s’en convaincre : la relance a provoqué, deux ans plus tard, une hausse spectaculaire des émissions de CO2 de 5 %. Comme si la machine s’était emballée. Soyons honnêtes : il serait bien étonnant qu’avec les seules velléités d’achat local entendues un peu partout, on réussisse à infléchir les émissions de gaz à effet de serre à la baisse ! Surtout quand on sait que le gouvernement Trudeau prépare un plan d’aide de 15 milliards… seulement pour l’industrie pétrolière et gazière. Ajoutons à ça toutes les inconnues qui suivront la pandémie. Les citoyens auront-ils encore le goût de s’entasser
dans les bus et le métro après avoir goûté à la distanciation sociale ? Voudront-ils tous se retrouver seuls dans leur nouvelle voiture ? Et qui aura la moindre envie d’entendre parler de mesures qui peuvent s’apparenter à la décroissance, de près ou de loin, après le traumatisme d’une telle crise ? Autre chose : l’annulation et le report des conférences de l’ONU sur le climat auront-ils un impact sur la motivation des pays à lutter contre le réchauffement planétaire ? François Cardinal,Le climat : victime de la pandémie (1), La Presse +, 15/04/20

Déjà « [l]Les niveaux de polluants toxiques dans l’air étaient plus élevés en avril qu’à la même période l’an dernier, selon des données publiées vendredi par Greenpeace Chine. » (AFP, La pollution est de retour dans le ciel de Chine, assure Greenpeace, Le Devoir, 8/05/20). Pour continuer dans la même veine que le journaliste de La Presse, non seulement l’attention des gouvernements se détournera de la crise climatique mais elle se centrera sur le retour de l’équilibre budgétaire tout en déployant des investissements en infrastructures pour sortir de la crise économique déjà plus profonde que la Grande récession de 2008-09 : « À n’en pas douter, l’après-COVID se traduira par des restrictions budgétaires et des hausses d’impôts (ou l’abandon des baisses d’impôts promises). Les gouvernements attendront probablement un an ou deux avant de s’y mettre, mais il serait illusoire de penser que la crise actuelle sera sans conséquence financière sur les contribuables. En attendant, il y aura des investissements publics des gouvernements pour relancer l’économie. » (Francis Vaille, Comment le virus gonflera notre dette, La Presse +, 6/05/20)

Le secret du néolibéralisme nouveau : le grand capital devient le grand parasite de l’État

Malgré le relatif bas niveau d’endettement du Canada et du Québec, ce qui pourrait rester vrai après la pandémie malgré une forte hausse momentanée des déficits publics, comment est-ce possible à la fois de poursuivre les objectifs apparemment contradictoires d’équilibre budgétaire et de relance économique ? Le directeur de L’Aut’Journal, peut-être le meilleur limier de la gauche québécoise, révèle le secret de ce mystère :

À l’abri des regards discrets, les fonctionnaires fédéraux et les représentants des milieux d’affaires torontois préparent fébrilement la reprise économique. Dans un environnement dévasté ― où bon nombre de PME québécoises seront des proies faciles pour les multinationales ― le maître mot sera : infrastructures. Déjà, les institutions, le modèle et le dirigeant sont en place. L’institution, c’est la Banque de l’infrastructure du Canada créée par le gouvernement Trudeau. Le modèle, c’est le REM du Québec et le dirigeant est Michael Sabia, l’ex-pdg de la Caisse de dépôt, qui vient d’être nommé à la tête de la Banque de l’infrastructure du Canada. […] Fink était le PDG de BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs sur la planète, avec près de 6 960 milliards $US d’actifs à la fin du mois de septembre 2019. [...] Trudeau a invité BlackRock à travailler secrètement avec des fonctionnaires du Conseil Privé à Ottawa à la redéfinition de la banque d’infrastructures.[...] À l’automne 2016, Larry Fink a réuni au luxueux Shangri-La Hotel à Toronto des représentants des plus importants fonds de placement au monde pour leur présenter la nouvelle banque d’infrastructures […] Étaient entre autres présents : la Norges Bank de Norvège, le plus important fonds souverain au monde ; le Groupe Olayan de l’Arabie saoudite, détenteur d’actifs de 100 milliards de dollars ; le Holding Temasek de Singapour, avec des actifs deux fois plus importants ; et l’Autorité monétaire de Hong Kong, qui vaut le quadruple. L’ensemble des participants représentait des actifs d’une valeur de 21 trillions de dollars. Justin Trudeau était évidemment présent, flanqué par pas moins de neuf membres de son cabinet. […] ... les fonds de pension comme BlackRock sont à la recherche de placements à faibles risques et procurant de bons rendements, d’où leur intérêt pour les infrastructures (routes et ponts à péage, travaux d’aqueducs et d’égouts, réseaux de distribution d’électricité ou de transport en commun). C’est ce que confirmait Michael Sabia au Toronto Board of Trade. « Pour des investisseurs spécialisés dans le long terme, les offres d’investissements dans les infrastructures ne sont pas faciles à trouver aujourd’hui ; un investissement stable avec un retour entre 7% et 9% avec peu de risques de pertes ― c’est exactement ce dont nous avons besoin pour répondre aux besoins à long terme de nos clients. » […] La banque d’infrastructures a cette particularité que le gouvernement a une participation minoritaire, mais assume tous les risques. Advenant qu’un projet soit déficitaire, le gouvernement fédéral prendra le relais et remboursera l’investisseur privé. Une réserve de 21 milliards $ est prévue à cet effet...[...] On connaît déjà le modèle des interventions de la Banque de l’infrastructure du Canada, puisqu’il a été mis en œuvre par la Caisse de dépôt, alors présidée par le même Michael Sabia. Ce modèle, c’est le Réseau électrique métropolitain (REM), qui a été le premier investissement de la banque des infrastructures. […] Quand le gouvernement québécois voudra relancer l’économie avec des travaux d’infrastructures, comme le souhaite le premier ministre Legault, il n’aura d’autre choix, devant l’ampleur des déficits appréhendés, que de contacter Michael Sabia à la Banque des infrastructures du Canada, où des requins comme BlackRock ont déjà fait connaître leur disponibilité. (Pierre Dubuc, La reprise passera par la Banque de l’infrastructure du Canada, L’Aut’Journal, 28/04/20)

La consommation de masse ne pouvant plus être l’épine dorsale du capitalisme néolibéral même si le complexe auto électrique / condo tentera de le prolonger vaille que vaille, pour cause de bas salaires et de saturation de la
dette des ménages elle-même envenimée par la spéculation immobilière, il faut bien trouver une nouvelle vache à lait. Qu’est-elle ? Le contribuable populaire ponctionné non par la hausse d’impôt pour ne pas amocher les marchés et par ricochet pénaliser le riche et l’entreprise mais par un autre tour de vis de l’austérité. Y échappera le (moyennement) riche par la mise au point d’assurance-santé privée, subventionnée par l’État tel le projet d’assurance-autonomie de l’ancien ministre PQ de la santé, et le renforcement de l’éducation privée déjà bien implantée au Québec et bien subventionnée par l’État. Ainsi l’État aura-t-il les moyens de rentabiliser par des subventions et des rabais fiscaux toutes ces gargantuesques infrastructures soutenues par le capital financier.

La bourgeoisie « progressiste » tire la corde tout en embrigadant la droite syndicale et environnementale

Pour encourager les partis trop attachés au néolibéralisme ancien allergique à l’interventionnisme étatique à faire leur mue dans le sillage de l’ordolibéralisme allemand, et aussi pour battre en brèche les gouvernements dinosaures à la Trump et Johnson, la bourgeoisie dite progressiste et ses intellectuels organiques font des propositions. Ils en sont encouragés par les organismes internationaux hier vendus corps et âme au pur néolibéralisme, et leurs relais nationaux unissant organisations patronales, centrales syndicales concertationnistes et les plus collaborateurs des grands groupes environnementaux :

Si on veut continuer de garder les yeux sur la balle climatique au lendemain de la pandémie, il faudra donc s’assurer que la relance fait une part belle aux mesures environnementales. Une idée qui circule d’ailleurs de plus en plus dans le monde. Dans une analyse publiée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), par exemple, on recommande aux États de mettre les projets de production d’« énergie propre » au cœur des priorités. « Les plans de relance seront d’une ampleur qui n’arrive qu’une fois par siècle, au regard des montants mobilisés, a fait remarquer le patron de l’AIE, Fatih Birol. Cela va structurer l’économie et donner forme au monde dans lequel nous allons vivre. » Même son de cloche à la Banque mondiale, où on a élaboré des critères pour aider les États à choisir les bons projets de relance, dont la contribution à la « décarbonisation » de l’économie. C’est d’ailleurs sur ce genre de mesures qu’a travaillé un groupe de 15 organismes québécois ces derniers jours, a appris La Presse. Un groupe de divers horizons, social, syndical, économique et environnemental, qui a fait parvenir à François Legault le 3 avril des idées pour une relance qui accélère la transition économique et énergétique déjà entamée. La beauté de la chose : ces mesures, qui seront dévoilées aujourd’hui, porteront la signature d’une brochette d’organisations allant du Chantier de l’économie sociale au Conseil du patronat du Québec, en passant par Équiterre, la FTQ, l’Ordre des urbanistes et la Fondation David Suzuki. Objectif : profiter de la pandémie pour basculer vers un monde plus prospère, plus solidaire, mais aussi plus vert. François Cardinal, Le climat : victime de la pandémie (1), La Presse +, 15/04/20

On constate que leurs propositions concrètes s’arriment aux deux grandes orientations de la relance économique-environnementale de la CAQ soit le tout électricité et l’achat local :

Ce G15 québécois propose d’abord de maintenir les investissements prévus dans le dernier budget Legault. Car, on l’a peut-être oublié tant l’époque pré-COVID semble lointaine, mais le Québec engageait alors des sommes records pour l’environnement. […] Important, donc, de miser sur la politique-cadre d’électrification et les nombreux projets de transports en commun qui sont à l’étude. […] Le groupe prévoit ainsi un bouquet de mesures en matière d’achat local, d’agriculture, de commerces de proximité, d’infrastructures numériques et d’encouragement au télétravail, entre autres. […] Du côté des infrastructures, qui profiteront d’injections massives de fonds, peut-on faire autre chose que de multiplier des routes ? Misons plutôt sur l’entretien totalement déficient de ce qui existe et développons en parallèle des parcs d’autobus électriques, des réseaux de tramway et des prolongements de métro coûteux.
Un message à l’équipe économique de M. Legault, d’ailleurs : les investissements dans les transports collectifs créent trois fois plus d’emplois et de retombées économiques au Québec que les investissements dans le secteur routier. Et il y a bien sûr l’électrification des transports, slogan politique souvent utilisé qui tarde à se matérialiser. Or, voilà le temps pour les villes et le gouvernement de se montrer exemplaires en favorisant l’électrification rapide de leurs propres parcs de véhicules. C’est le temps de pousser pour l’électrification des parcs de véhicules de marchandises, surtout quand on voit l’importance que prennent les livraisons à domicile. C’est le temps d’étendre les infrastructures de recharge à la grandeur du Québec pour inciter les automobilistes à se départir de leur voiture à essence. (François Cardinal, Après la COVID-19 : reconstruire… en mieux (2), La Presse +, 16/04/20)

Les gouvernements locaux, plus près de la citoyenneté et donc plus réactifs, poussent à la roue. L’Autorité régionale du transport métropolitain (ARTM) du grand Montréal, aiguillonnée par le dit progressiste parti ProjetMontréal à la barre de la ville de Montréal, y va de propositions à propos du transport collectif qui débordent et modifient quelque peu les projets de la CAQ. Elle propose l’accélération des travaux, la facilitation des expropriations nécessaires (mais n’insiste pas sur le juste relogement) et surtout la prédominance du transport en commun en surface (voies réservées pour autobus, tramways) sur le métro bien que le raccordement de la ligne orange avec le REM s’impose dans les circonstances. Cependant, on pourrait se passer du prolongement de la ligne bleue si des voies réservées, et éventuellement rapides à la PIE-IX, étaient proposées sur Sherbrooke-Est complétées par des voies semblables Nord-Sud à l’est de Pie-IX. (Kathleen Lévesque, Transports collectifs : un plan de 9,2 milliards pour relancer l’économie, La Presse +, 5/05/20).

Comment financer ces projets somme toute modestes ? En écrémant les surplus cachés du gouvernement du Québec et surtout en ayant recours au Fonds de placement dans l’orbite du gouvernement québécois qui viendront compléter les fonds de la Banque de l’infrastructure du Canada :

Une des mesures avancées, par exemple, propose de faire en sorte que le Fonds des générations soit remodelé pour qu’une partie des sommes déjà cumulées soient dirigées vers des « créneaux et infrastructures stratégiques sobres en carbone et résilients », alors que les futures sommes devant y être déposées — en tout ou en partie — pourraient financer la lutte contre les changements climatiques. Selon le dernier budget, il est prévu que Québec verse au Fonds, présentement utilisé pour la réduction de la dette, la somme de 2,7 milliards en 2020-1921. On y trouve actuellement environ 9 milliards. […] C’est ainsi qu’il évoque l’idée d’une implication « plus soutenue » de la Caisse de dépôt et placement du Québec et des institutions québécoises du secteur, entre autres par des « fonds de finance solidaires et responsables » (par exemple des fonds de travailleurs, Desjardins Capital, Investissement Québec). François Desjardins, Québec invité à accélérer des projets en vue de l’après-crise, Le Devoir, 15/04/20

Le « grand bond en avant » social-démocrate de The Leap de Noami Klein

La gauche y va aussi de ses propositions de relance quoique celles québécoises semblent bien discrètes à moins de se replier sur celles pré-pandémie. The Leap, ce rassemblement de personnalités progressistes du Canada anglais dans la nébuleuse du NPD, dont l’auteure Noami Klein est la figure médiatique, vient de mettre de l’avant le plan de relance « De la pandémie à la prospérité pour tous et toutes », dont la version française n’est pas disponible, contenant des chapitres sur le travail, la santé, le logement avec une partielle transversale autochtone, les chapitres sur l’alimentation, l’éducation et le transport étant à venir. Les points saillants de ce plan, concrétisant le Green New Deal canadien dont cette organisation se réclame, sont les suivants :

Le gouvernement fédéral peut et doit offrir un bon emploi vert à chaque personne qui en a besoin [Durant la pandémie] rendre universels les paiements d’urgence […] et augmenter de façon permanente le salaire minimum et toutes les formes d’aide sociale […] des EPI, des lieux de travail sûrs, des congés de maladie payés et une indemnité de dangerosité
Avec un vaste programme d’emplois pollueurs-payeurs, nous pouvons déclencher un boom de la remise en état en nettoyant un siècle d’infrastructures fossilisées.
Placer l’économie sous contrôle démocratique. La propriété publique, coopérative et ouvrière doit être un principe directeur [...] et peut sauver des milliers de petites entreprises qui, autrement, disparaîtraient [avec la pandémie].
Le travail de soin est un travail essentiel. Il devrait être la base d’un Green New Deal.
[Durant la pandémie] l’équipement de protection individuelle doit être facilement accessible à ceux qui sont en première ligne : c’est-à-dire tous les travailleurs de la santé, de conciergerie et de soutien personnel. Le gouvernement doit garantir un approvisionnement suffisant en EPI en réorientant les usines pour les fabriquer. […] cela ne devrait pas être laissé au marché.
Nous avons besoin d’une augmentation immédiate, importante et permanente dans la dotation en personnel des établissements de soins de longue durée. Le personnel doit être permanent, payé beaucoup plus et doit travailler dans un seul endroit. Les travailleurs à domicile doivent également être mieux payés et protégés. [...]
Les soins de longue durée et à domicile doivent être pris en charge par le secteur public. Les soins oculaires, dentaires et la santé mentale […] doivent être intégrés au système de santé publique. Sortir les fournitures médicales d’urgence du marché. [...] Le gouvernement fédéral doit créer une industrie locale et publique d’équipement médical. Nous avons besoin d’une […] entreprise pharmaceutique nationale pour développer et fournir des médicaments à faible coût...
Logement pour tous immédiatement
[Durant la pandémie] moratoire sur les loyers et les hypothèques [...] les dettes ne peuvent pas s’accumuler, créant une autre catastrophe de l’autre côté de la crise.
Une interdiction immédiate des expulsions
Personne ne devrait perdre l’accès à l’électricité, au chauffage ou à l’eau chaude pendant la pandémie. Pendant la crise, les gouvernements provinciaux doivent ordonner aux services publics de ne pas facturer ces services publics essentiels ou de ne couper personne. Contrôle des loyers [...] : un plafond légiféré sur les augmentations de loyer ; un registre du logement qui répertorie tous les loyers de manière transparente ; et la divulgation financière des propriétaires, afin de maintenir les loyers en conformité avec leurs coûts et d’éliminer les arnaques. Au moins 40% de tous les logements devraient appartenir à l’État. Nous pouvons y parvenir grâce à de nouvelles constructions et à la prise de propriété publique des bâtiments inutilisés. Et ce logement public doit également être zéro carbone. Créer des « banques foncières » communautaires à partir de propriétés vides privées Tous les logements sociaux devraient être gérés démocratiquement par les personnes qui y vivent.
Financement autodéterminé à long terme pour les communautés autochtones Toutes les terres publiques et les terres de la Couronne doivent être restituées aux nations autochtones dont elles sont le territoire.
(The Leap, From pandemic to prosperity for all(extraits), sans date. Ma traduction)

On constate la volonté d’élargir la sphère économique de l’État, particulièrement dans le domaine du logement, tout en la démocratisant et dans le but d’une plus grande justice sociale. On sent bien une velléité de s’en prendre au capital financier et même d’un contrôle démocratique de l’économie mais qui ne dépasse pas le cadre de la pandémie. Somme toute, The Leap se présente comme la gauche social-démocrate du NPD avec un bras tendu vers l’anticapitalisme. Reste à voir ses propositions vertes dans les domaines du transport, de l’énergie, de l’agriculture et de l’aménagement urbain. Et on ne voit pas très bien le rôle crucial de la mobilisation sociale dans l’esprit qu’un soulèvement vaut mille programmes.

La grande contradiction du mouvement social québécois entre cible et plan d’action

Le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ), rassemblant la quasi totalité du mouvement social québécois des nouvelles organisations climatiques aux centrales syndicales, propose pour son « Projet Québec zéro émission nette » une « [l]oi climat obligeant une réduction d’au moins 65 % des GES d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2040 » soit un objectif GIEC+ qui tienne compte de la responsabilité historique. Dans son préambule, le projet de relance ZÉN propose une grande concertation pour une transition paisible vers une société résiliente maximisant l’autosuffisance, socialement juste, écologiquement équilibré et conservationniste, à économie circulaire sans déchets et avec une agriculture biologique.À terme, cette société consommerait 50% moins d’énergie qui serait 100% renouvelable.

Ce projet de société se fixant cette cible requiert une grande mobilisation de la société. Cependant, celle que propose le FCTÉ se ferait dans un esprit de grande concertation. Est-ce pour cette raison que son porte-parole, officieux laissant tomber tout de go la cible ambitieuse et nécessaire se rabat en commission parlementaire sur une insuffisante « réduction d’au moins 50 % de nos émissions d’ici 2030 et la carboneutralité en 2050. » C’est peutêtre sa façon à lui de pointer du doigt la contradiction à même le projet du FCTÉ entre cible intrinsèquement anticapitaliste, car incompatible avec l’accumulation du capital, et le refus de cette grande coalition d’affronter le capital financier pour renverser son hégémonie sur la société. À voir le flirt de son porte-parole officieux avec le parti gouvernemental, on peut même se demander s’il y a une volonté d’affronter les partis néolibéraux.

Cette grande coalition fait l’hypothèse qu’à terme « [n]otre société est paisible, comme elle l’est demeurée tout au long de sa transformation » ! Faut-il se surprendre que cette naïveté stratégique faisant l’économie d’un dur affrontement contre le capitalisme fasse bon ménage avec une « [t]arification adéquate du carbone et mise en place de mesures d’atténuation... » et aussi « ...de soutien pour les entreprises qui se voient obligées de transformer leur modèle d’affaires » ! Le projet du FCTÉ, pourtant très détaillé, ignore la nécessité de toute réforme fiscale même s’il reconnaît qu’il faudra « des efforts financiers extraordinaires ». Il ignore encore plus une prise en main du système financier. Contradictoirement, il exige de « stopper sur-le-champ l’étalement urbain... » tout en promouvant un bonus « pour les véhicules électriques légers ». Interdire ou limiter la construction de maisons unifamiliales en zone urbaine ? Ni vu ni connu. Construction de logements sociaux écologiques ? Le silence est d’or. Réinvestissement massif dans les services publics qui prennent soin des gens à force essentiellement d’énergie humaine tout en créant un riche tissu social désaliénant du consumérisme ? Jamais entendu parlé. Transport en commun ? Y investir comme l’Ontario, sans plus !

Faut-il s’étonner que Québec solidaire s’accointe de plus en plus avec le projet du FCTÉ qui malgré tout reste plus mobilisant que le Plan de transition du parti. Ce dernier a été plongé par le parti dans un bain de silence depuis plus d’un an tout en ne lui substituant aucun remplacement total ou partiel y compris durant le temps pandémique. Au point de départ, les deux plans sont ambigus sur le rejet des énergie fossiles. Ils réclament certes la fin (immédiate) de l’exploration et de l’exploitation de l’énergie fossile mais ignorent complètement son transit par et son exportation à partir du territoire québécois alors que ces enjeux ont été (Énergie est) et sont toujours (GNLQuébec) majeurs. C’est ce qu’on appelle partir du mauvais pied. Quant à la volonté d’affronter le capital financier, elle se ressemble dans les deux cas.

Le Plan de transition Solidaire, un plan capitaliste vert jusqu’au bout des ongles

Prétextant une urgence politique inexistante à la veille des élections de 2018, la direction de Québec solidaire a réussi à convaincre son conseil national de réduire la cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) des deux tiers, tel que stipulé dans le programme, à 45%. ce qui fait fi de l’urgence climatique fondée sur la science ce sur quoi insiste fort à propos Greta Thunberg tout en corrigeant la discrétion très politique du GIEC à propos des points de bascule. Cette capitulation vis-à-vis l’objectif entraîne celle vis-à-vis le plan d’action concomitant appelé par Québec solidaire le « Plan de transition économique » et son complément, leGrand Montréal Express.

Ce plan tombe dans l’ornière du capitalisme vert. En très résumé, le capitalisme vert ralentit la dite transition pour rentabiliser le capital déjà investi dans le complexe auto-pétrole-unifamiliale graduellement transformé en celui auto-électricité-condo et pour se donner le temps de mettre au point et déployer une gargantuesque géoingénierie de récupération des GES atmosphériques qui auront entretemps largement dépassé les cibles de température des Accords de Paris et sans se soucier des points de bascule rendant ce dépassement irréversible. Ce capitalisme se financera à même des marchés et taxes carbone, ce que le parti a cristallisé à son congrès 2019, se substituant aux progressifs impôt sur le revenu et sur les profits et plus fondamentalement à l’expropriation de la Finance.

Ces marché et taxe carbone dépendant du bon fonctionnement du marché, le capital en contrôle le niveau par son chantage sur les États grâce à la libre circulation des capitaux au cœur des accords de libre-échange qu’ils soient multilatéraux à la mode OMC ou bilatéraux à la mode Trump. L’ampleur de ce fardeau fiscal pour financer en PPP la géo-ingénierie deviendra tel qu’il contraindra la société à la super-austérité, individuelle et collective, librement acceptée, espère le capital, grâce à la peur de la catastrophe climatique ce à quoi il faut maintenant ajouter la peur pandémique.

Ce Plan de transition serait financé par le régressif marché du carbone quant à son budget d’opérations et, quant à son budget d’immobilisations, par un captage des contributions au Fonds des générations durant les quatre années du premier mandat Solidaire, sommes hypothétiques quelque peu spéculatives supposant la continuation d’une aléatoire croissance dorénavant rangée au musée de l’histoire avec la pandémie, et surtout aux dépens de la lutte contre l’austérité dans les services publics victimes de la constitution de ce Fonds anti-dette. On prévoit le recours aux péages pour les stationnements hors rue dès la fin du premier mandat et éventuellement sur les ponts et autoroutes, tous ces péages étant l’équivalent de taxes indirectes régressives. On laisse entendre qu’existerait alors des alternatives du moins pour les péages sur ponts et autoroutes. Il le faudrait car autrement cette ponction sur les prolétaires des banlieues sèmerait les prémisses d’un mouvement de type chemise jaune comme en France. En définitive, l’ensemble du financement du Plan de transition en est un de droite qui ne ponctionne pas ou très peu le capital financier et les transnationales.

Quant à la question des transports, là où le bât blesse, le plan Solidaire est essentiellement une bonification de la Politique de mobilité durable (PMD) des Libéraux québécois jamais critiquée par le parti. Pour le Grand Montréal, qui compte pour 75% des dépenses prévues pour le transport des personnes selon le Plan de transition, le parti se rallie aux lignes directrices de la PMD gouvernementale soit essentiellement le train aérien REM et une orgie de métros au lieu d’un réseau de transport collectif en voies réservés, bon marché, et inséré dans la trame urbaine à l’exemple du « Grand virage » mis de l’avant dès 2016 par la Coalition climat Montréal sur la base du rejet du REM par Trainsparence et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Cette politique chère et tape-à-l’œil de la taupe et de l’albatros abandonne la terre ferme au loup de l’auto solo, à essence et électrique, d’abord en subventionnant l’auto solo électrique puis en interdisant l’auto solo à essence qu’en 2040, et non pas en 2030 ou même en 2025 comme en Irlande, en Norvège, au Pays-Bas et en Inde, tous acquis, au mieux, au capitalisme vert.

L’opposition aux autoroutes ? Selon le plan de transition Solidaire, le parti « abandonnera tout nouveau projet de construction routière sauf ceux qui visent à améliorer la sécurité routière ou qui permettent de désenclaver des régions isolées. » C’est ce qu’on appelle une promesse politicienne car la sécurité excuse tout et l’électoralisme encore plus. En 2015, la part du camionnage lourd en émanations de GES était supérieure à celle de l’automobile, ce qui est presque aussi vrai pour le camionnage léger y compris les VUS. Sa contribution à la croissance des GES depuis 1990, tout comme celle du camionnage léger, est largement supérieure à celle de l’automobile. Pourtant, le Plan de transition ne prévoit qu’une réduction minime des GES du transport des marchandises par rapport à celui des personnes, soit un rapport de 14%. Selon le plan Solidaire, les transports ferroviaire et maritime n’ont pas la priorité sur le camionnage lourd qui jouira d’autoroutes électriques et dont les entreprises seront soutenues alors que le transport à longue distance des marchandises peut être considéré comme une industrie stratégique à nationaliser selon le programme du parti.

Que ce soit pour le camionnage lourd, ou pour la collecte et la gestion des déchets, ou pour la transformation et la distribution alimentaire, ou pour la climatisation des bâtiments non-résidentiels, on note un parti-pris pour le soutien à l’entreprise privée et la faiblesse du cadre législatif et réglementaire les obligeant à contribuer au Plan bien que souvent il est à leur avantage pécuniaire de le faire. Le secteur de l’aluminium produit à lui seul 6.4% de la totalité des GES du Québec en 2015. Or Rio Tinto mettra graduellement en opération un nouveau procédé industriel, rentable pour l’entreprise, faisant complètement disparaître ces émanations. L’obligation de le faire d’ici 2030 pour tout le secteur de l’aluminium dominé par Rio-Tinto et Alcoa serait-il trop demandé à ces transnationales qui conjointement ont imposé un long lock-out à leurs employé de Bécancour de plus d’un an ?

La protection du zonage agricole a beau être soulignée, le soutien de l’auto solo électrique et le REM exerceront des pressions économiques vers l’étalement qui viendront à bout de toute « restriction des périmètres d’urbanisation ». Alors que l’impôt immobilier, de loin au Québec la première source fiscale des gouvernements locaux, favorise l’étalement urbain, le parti, dans un premier mandat, préconise le même changement que les autres partis soit un banal transfert de un point de pourcentage de la taxe de vente (TVQ). Il n’y a aucune cible et échéance pour la réductions des engrais fossiles et des pesticides ni pour la conversion de l’agro-industrie en bio-agriculture dont il est à peine question. La politique zéro-déchet proposée est sans cibles intermédiaires et sans échéance alors que celle gouvernementale en comporte... même si elles ne sont pas respectées.

On reste étonné de la paucité de la politique de mise à niveau écologique des bâtiments. Cette politique peut être une grande créatrice d’emplois et d’économie d’énergie, fossile ou non, tout en étant financée par une banque d’État sans important recours au budget public car le remboursement de la dette pour les travaux se finance à même l’épargne réalisée grâce à l’économie d’énergie. La politique du parti à cet égard ne comporte aucune cible ni échéance sauf peut-être pour les bâtiments étatiques. Pour le bâtiment résidentiel, le parti mobilise une partie des CELI (fonds d’épargne des particuliers dont les rendements ne sont pas imposés), pourtant un outil d’évasion fiscale légale à proscrire pour la gauche, pour que s’autofinancent les propriétaires avec une part réservée pour ceux moins fortunés et leurs locataires.

Quant aux bâtiments non-résidentiels, ils disposeraient d’un fonds dont la source est inconnue. Il serait pourtant possible que d’ici 2030, un ou des organismes étatiques prennent à charge l’évaluation des travaux, leur réalisation et leur financement, quitte à mobiliser les institutions financières ou une banque d’État, pour mettre au niveau de la meilleure technologie écologique tous les bâtiments utilisant des énergies fossiles si ce n’est davantage. Le Plan ne prévoit que des projets pilotes pour des bâtiments à énergie (quasi) zéro alors que la démonstration est déjà faite (ex. bibliothèque de Varennes). Faut-il se surprendre qu’à cause de ce manque d’audace, la mise à niveau écologique des bâtiments ne mobilise que 4% des 390 000 emplois brut à créer (5% des 300 000 net) contre 64% (83%) pour ceux concernant le transport des personnes.

Le comble de l’absurde, cependant, c’est la dose d’extractivisme que l’on retrouve dans le Plan. On veut y utiliser les résidus agricoles et forestiers à des fins énergétiques alors qu’écologiquement ceux-ci doivent rester sur place pour nourrir le sol déjà affaibli par l’extraction de la matière récoltée, nourriture et bois. On le fait au nom du développement économique des régions mais au prix de l’affaiblissement de leurs sols. Est aussi discutable la mise en place de la filière du lithium dont l’extraction par des mines à ciel ouvert est particulièrement dommageable pour l’environnement. À partir du moment où on opte pour la généralisation de l’auto solo électrique, comme le fait le Plan Solidaire, la production du lithium et autres métaux rares deviendra une plaie environnementale mondiale.

L’auto hydroélectrique est beaucoup plus polluante que l’on pense comme le prouve l’étude de son cycle de vie par Hydro-Québec, qui n’a pourtant aucun intérêt à la dénigrer, surtout à cause de ses batteries mais
pas seulement, sans compter qu’elle maintient la congestion et l’étalement urbains. Le rejet de cet auto solo minimiserait ce problème pollution minière car non seulement l’électrification du transport en commun, du rail et des navires est-elle quantitativement moins importante et elle se fait en bonne partie en alimentation d’électricité continu (ex. tramway) mais la ville sans auto solo ni bungalow et à circuits courts nécessite moins de services de transport. Cette dose d’extractivisme est d’autant plus à remarquer qu’elle compte pour 13% des emplois brut à créer (17% de ceux net), soit la seconde source en importance après le transport des personnes.

La défaillance majeure du Plan de transition est cependant de ne pas y incorporer les services publics dont la pandémie a mis en relief l’importance vitale. Pourtant le « prendre soin » des personnes est l’autre côté de la médaille du « prendre soin » de la terre-mère. Le travail dans les services publics est intrinsèquement climatoécologique pour ne pas dire éco-féministe. Non seulement les « soins » prodigués par les travailleuses socialisent-ils de semblables tâches domestiques faites gratuitement, et à risque lors de la pandémie, mais ces emplois nécessitent peu d’énergie mécanique (et beaucoup d’énergie humaine) tout en créant de riches rapports humains qui désaliènent de la solitude consumériste, en opposition à la société de consommation de masse qu’exige l’accumulation capitaliste.

La grande atonie de la gauche politique et du mouvement social du Québec

Somme toute, on ne sent aucune urgence climatique dans le plan de transition Solidaire mais le souffle froid de la technocratie prisonnière du marché. Au final, de la CAQ à Québec solidaire en passant par les Libéraux et le PQ tous se rallient, à dose variable, à la politique gouvernementale et à son mode droitier de financement. Quant à la grande coalition du mouvement social, elle est peut-être plus ambitieuse mais par enlisement volontaire dans la concertation de classe elle refuse d’engager le combat. Même son vaste plan plein de bonnes intentions n’a pas la clarté parfois incisive du modeste et partiel plan de The Leap. Est-ce cette démission de la gauche politique et sociale du Québec qui malgré une situation désastreuse sur fond de ré-ouverture précipitée qui explique l’absence d’une montée de luttes syndicales et populaires au Québec comparativement aux ÉU.

Au cours des dernières semaines, il y a eu une montée extraordinaire de la colère et de l’activisme dans tout le pays, car les travailleurs ont protesté contre ce qu’ils considèrent des protections de sécurité inadéquates contre Covid-19 : dans les usines de conditionnement de viande, les restaurants McDonald’s, les entrepôts Amazon, les dépôts de bus et les épiceries. Les dirigeants syndicaux applaudissent les débrayages et les arrêts de travail, et nombre d’entre eux se demandent si ce pic d’activisme peut être converti à long terme en une augmentation de l’organisation et de la syndicalisation et inverser d’une manière ou d’une autre la chute de syndicalisation qui a duré des décennies. (Steven Greenhouse,‘Stop throwing us bare bones’ : US union activism surges amid coronavirus, The Guardian, 6/05/20)

Cette atonie du peuple-travailleur trouve-t-elle sa source dans sa confiance aux gouvernements pour la gestion de la pandémie malgré une gestion notoirement pro-entreprise du gouvernement québécois avec un nombre de morts qui quotidiennement ne descend pas et une ré-ouverture hâtive par rapport à l’Ontario pourtant moins touché. Estce la conséquence du retour en force du nationalisme ethnique, pour ne pas dire raciste, dont se réclame le gouvernement de la CAQ ? L’absence de riposte syndicale est désespérante tout comme la stratégie d’union sacrée de Québec solidaire.

Cependant, il semble que la patience ait ses limites. Le mécontentement populaire, notoirement à Montréal, pénètre ces derniers jours les grands médias ― les citations de presse de cet article en font partie ―, les responsables syndicaux hausse le ton et Québec solidaire a trouvé le courage de s’opposer à l’ouverture scolaire dans le Grand Montréal, et non seulement la retarder comme l’a fait la CAQ mise au pied du mur par la critique. En réaction à l’hécatombe dans les résidences de personnes âgées, publiques comme privées ― plus de 80% des morts ―, le parti a enfin proposé un important ré-investissement, une étatisation partielle et une priorisation des soins à domicile... mais pour l’immédiat aucune réquisition et mise en tutelle de grandes ou moyennes entreprises pour pallier au manque de matériel sanitaire, le nœud du problème au point que le port du masque n’est pas encore une obligation à Montréal.

Quelle pourrait être une alternative anticapitaliste ? Y a-t-il malgré tout le début du commencement d’un mouvement de riposte et d’auto-organisation populaire ? À voir dans un prochain article.

Marc Bonhomme, 9 mai 2020

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