Édition du 3 décembre 2024

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Politique canadienne

Responsabilité sociale : le défi des sociétés minières canadiennes

Depuis quelques années, la responsabilité sociale des entreprises est devenue un enjeu majeur, voire un outil de compétitivité concernant la légitimité des compagnies. C’est d’autant plus vrai dans le secteur extractif. Les scandales environnementaux, les déplacements de populations, le manque de transparence ou encore la corruption font fréquemment les manchettes et ébranlent la réputation des compagnies minières.

Le Canada ne fait pas figure d’exception. En effet, il est sans aucun doute un des leaders mondiaux dans le secteur extractif. Ses actifs à l’étranger se chiffrent, selon les dernières statistiques de Ressources Canada, à plus de 146,6 milliards de dollars, répartis principalement en Amérique (États-Unis, Chili, Mexique, Argentine) et en Afrique (Afrique du Sud, République démocratique du Congo, Mauritanie, Zambie).

Le 9 mai dernier, l’Africa Progress Panel, présidé par Kofi Annan, a publié son rapport Équité et industries extractives en Afrique, pour une gestion au service de tous. On peut y lire que la République démocratique du Congo (RDC) aurait perdu des recettes évaluées à plus d’un milliard de dollars. Ce déficit serait dû à la sous-évaluation et à la vente d’actifs miniers des sociétés étrangères à leurs filiales, et ce en seulement cinq transactions. Pis encore, entre 2008 et 2010, ces pratiques de vente, qualifiées de criminelles par l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) Michel Camdessus, auraient coûté à l’Afrique environ 38,4 milliards de dollars. Cette somme constitue presque le double de ce que le continent reçoit annuellement en aide publique au développement.­­

Force est de constater que le continent africain est marqué par des asymétries et inégalités socio-économiques persistantes entre les pays et les régions. L’extraction des ressources naturelles est pourtant en pleine expansion depuis plusieurs années. Comment peut-on expliquer ce paradoxe ?

Une légitimité en crise

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un concept qui se rattache au principe selon lequel une entreprise doit intégrer volontairement des préoccupations environnementales et sociales au sein de sa stratégie et de ses pratiques commerciales.

Sur le site du ministère des Affaires étrangères et Commerce international, le gouvernement du Canada affirme être un fervent défenseur de la RSE. Le ministère dit s’attendre à ce que toutes les compagnies canadiennes présentes à l’étranger respectent les lois et les normes internationales reconnues par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ainsi, les entreprises canadiennes devraient agir de façon responsable et transparente sur les plans social et environnemental, et ce, en accord avec les collectivités locales et les gouvernements hôtes.

Au-delà de ces engagements en matière de RSE persiste cependant un problème de légitimité de ces entreprises privées.

Une politique étrangère qui manque de cohérence

Le Canada manque en effet de mécanismes pour rendre les compagnies minières imputables en cas de violations des lois, des obligations internationales ou des droits de la personne.

« Il y a une absence de traçabilité, d’imputabilité, si les projets de RSE ne sont pas ancrés dans des politiques publiques portées par des acteurs locaux et émanant de discussions qui impliquent les communautés et leur gouvernement », souligne Bonnie Campbell, professeure d’économie politique à l’UQAM et directrice du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique (GRAMA).

Il arrive parfois que les budgets de l’aide soient utilisés pour appuyer des politiques de RSE ou pour faire la promotion d’intérêts économiques canadiens. Dans ce genre de situation, « on est en train d’utiliser le budget de la coopération pour faire tout à fait autre chose que la promotion des stratégies et des politiques publiques de développement sur le long terme », commente Mme Campbell.

Ainsi, l’urgence se situe dans la clarification et la cohérence des différents instruments de politique étrangère du Canada. Il est de plus nécessaire d’assurer l’autonomie de ces instances dont la responsabilité est de promouvoir le développement.

Le Canada, toujours à la traîne

Déjà en 2007, les Tables rondes nationales sur la responsabilité sociale et l’industrie extractive minière dans les pays en développement avaient fait plusieurs recommandations à ce sujet. Des experts gouvernementaux et non gouvernementaux, des universitaires et des représentants de l’industrie s’étaient penchés notamment sur les questions d’imputabilité des compagnies et du gouvernement du Canada. Des mesures avaient été proposées : la mise en poste d’un ombudsman indépendant, la création d’un comité de contrôle de la conformité des entreprises aux normes de RSE, le retrait de l’appui du gouvernement canadien aux entreprises ayant manqué aux normes. Mais le Canada ne les a pas adoptés.

Parce que la RSE se fait toujours sur une base volontaire et parce que les normes internationales concernant l’industrie minière ne sont pas standardisées, la responsabilité des compagnies et celle des pouvoirs publics demeurent peu encadrées.

Il importe donc d’appliquer une législation et des normes plus précises, à la fois dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil, pour s’assurer de l’application du principe d’imputabilité et de gestion transparente.

Un appel clair de la communauté internationale

Faisant suite à la Vision africaine des mines, un ensemble de recommandations adopté en 2009 par les dirigeants du continent, le rapport de la Commission économique de l’Afrique de décembre 2011 est un appel clair à un changement de paradigme.

« Cet appel fondamental implique l’introduction de politiques publiques pour permettre que le secteur extractif joue un rôle de catalyseur avec d’autres secteurs comme l’agriculture, les infrastructures, l’énergie, par exemple », soulève Mme Campbell. Selon elle, les compagnies privées ne peuvent pas se substituer aux États, elles doivent être complémentaires.

Pourtant, malgré ces signaux d’alarme, le Canada reste l’un des seuls pays où il n’y a pas de mécanismes définis pour tenir ses compagnies responsables de leurs actions à l’étranger.

Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas un cadre législatif et juridique bien défini et transparent au Canada, la RSE ne restera qu’un principe permettant aux entreprises du secteur minier de tenter de gagner plus de légitimité, mais sans les conditions nécessaires pour assurer une véritable légitimité.

Les minières canadiennes ne sont pas les uniques responsables du manque de transparence, de la mauvaise gestion des ressources ou encore des conflits avec les communautés locales. Par contre, le Canada pourrait certainement faire partie de la solution. Des politiques publiques bien définies, avec une participation active de la population, ainsi qu’une responsabilisation commune des gouvernements hôtes et des compagnies extractives étrangères : voilà des conditions indispensables pour qu’un véritable projet économique, social et durable soit possible.

Laurence Dompierre-Major

Collaboratrice au Journal des alternatives (Québec).

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