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Réponse à Djemila Benhabib : éloge de l'islamo-gauchisme

Benoit Renaud est enseignant et militant à Québec solidaire | 30 mai 2017

Dans un texte publié le 24 mai sur HuffPost, Mme Jemilla Benhabib pose son diagnostic sur l’échec de la convergence entre Québec solidaire et le Parti Québécois. Ce faisant, elle s’en prend spécifiquement à Mme Dalila Awada et à l’auteur de ces lignes en nous accusant de représenter un courant politique islamo-gauchiste. Réclamons donc à notre compte l’étiquette en lui donnant notre propre définition. Il s’agit de la rencontre entre des personnes de religion musulmane qui adhèrent aux valeurs de la gauche contemporaine et de personnes de gauche d’autres religions ou incroyantes qui sont solidaires des musulmans.

Musulmans de gauche

D’abord, il n’y a rien de particulier à la religion musulmane qui empêcherait une adhésion sincère aux idées de gauche ou un engagement dans des organisations comme les syndicats ou les groupes de femmes ou un parti comme QS. Comme toutes les grandes religions, l’Islam est ouvert à une multitude d’interprétations, ce qui explique qu’il ait été adopté par diverses cultures à diverses époques et dans toutes les classes sociales.

Que des personnes impliquées dans une organisation identifiée à la gauche soient de religion musulmane ne constitue pas la preuve d’une quelconque conspiration visant à « infiltrer » les groupes en question en vue de les « islamiser ». C’est tout simplement qu’en personnes de gauche, elles s’opposent à la division des mouvements et des partis sur une base religieuse et désirent sincèrement participer à la vie sociale et politique ordinaire.

On conviendra que ce serait complètement inapproprié de proposer la formation de syndicats musulmans ou de partis musulmans dans le Québec d’aujourd’hui. Alors, si Mme Benhabib est contre la prétendue « infiltration » de même que la formation d’organisations séparées, souhaiterait-elle l’abstention de toute implication sociale ou politique de la part des femmes qui portent un hijab ?

Solidarité citoyenne et internationale

Depuis au moins 150 ans, les grandes puissances occidentales ont tissé des alliances avec les monarchies, les dictatures et les couches sociales les plus rétrogrades afin de contrôler les territoires et les populations des pays arabes et musulmans. Chaque fois qu’un mouvement populaire, démocratique, nationaliste ou progressiste s’est mobilisé contre ces forces réactionnaires, il a trouvé sur son chemin l’appui financier, diplomatique et militaire de l’Occident pour les pouvoirs établis. Et après, les intellectuels du néocolonialisme voudraient nous convaincre que c’est la « culture islamique » des pays en question qui expliquerait l’absence de démocratie !

À notre époque, la rhétorique de la guerre contre le terrorisme sert d’écran de fumée pour des opérations comme l’invasion illégale de l’Irak en 2003, le soutien inconditionnel apporté à Israël ou l’appui au rétablissement de la dictature militaire en Égypte. L’amalgame facile menant tout droit de la condamnation universelle des actes terroristes commis (par des groupuscules) au nom de l’Islam à une condamnation de cette religion en général (avec son milliard et plus de croyantes et de croyants) est le ressort de cette arme idéologique de distraction massive.

Les gens de gauche qui ont comme principes la solidarité internationale, la paix et le rejet de la domination néocoloniale doivent donc critiquer sévèrement et combattre systématiquement l’idéologie islamophobe. De plus, l’évolution de la situation depuis les attentats du 11 septembre tend à démontrer que toutes ces opérations militaires ne font que générer plus d’instabilité et créer un terreau plus fertile pour le recrutement des groupes radicaux.

On peut difficilement nier que le simple fait d’avoir un nom à consonance musulmane constitue, dans le Québec d’aujourd’hui, un obstacle dans la recherche d’un emploi.

Plus près de nous, le contrecoup de cette nouvelle offensive néocoloniale a été la racisation des personnes considérées comme étant de religion musulmane. On peut difficilement nier que le simple fait d’avoir un nom à consonance musulmane constitue, dans le Québec d’aujourd’hui, un obstacle dans la recherche d’un emploi. C’est une des tristes observations qui ont conduit à des demandes répétées pour une commission d’enquête sur le racisme systémique.

C’est dans ce contexte de guerres et de discriminations que la conception de la laïcité défendue par Mme Benhabib a pris son essor en France, puis a été introduite au Québec. Celle-ci fait porter tout le poids de la neutralité des institutions sur les femmes visiblement musulmanes. Ce sont à elles qu’on demande de sacrifier leurs droits pour répondre au « malaise » qu’elles inspireraient à certaines personnes. Quand Québec solidaire a décidé en 2009 de rejeter cette conception en affirmant que c’est justement pour garantir la liberté de croyance et l’égalité entre les personnes que les institutions doivent être neutres, il s’est inscrit à contre-courant face à la révolution conservatrice dans la laïcité (magistralement décrite par Pierre Tevanian).

L’interdiction des « signes religieux » pour les travailleuses et travailleurs du secteur public, sans être raciste dans l’abstrait, a comme effet concret de renforcer les préjugés contre les personnes de diverses religions minoritaires, particulièrement les femmes musulmanes. En insistant avec une intensité parfois dramatique pour interdire ces pratiques au nom de la préservation du caractère laïque de nos institutions, on sous-entend que ces femmes sont des menaces pour la société, ce qui conforte les racistes sincères dans leurs préjugés.

Comme on le voit en France, loin de la prétendue « laïcité bouclier » devant nous protéger contre le fondamentalisme, il s’agit en fait d’une « laïcité paravent » masquant la montée de l’intolérance. Résultat : la candidate du parti d’extrême-droite a obtenu 10 millions de voix au second tour des récentes élections présidentielles.

Une conception civique et antiraciste de la nation québécoise constitue un des fondements du programme et du projet politique solidaire, comme le remarque avec justesse Mme Benhabib. En fait, on peut difficilement imaginer la réalisation de ses ambitions indépendantistes et de gauche sans la solidarité contre l’islamophobie et le colonialisme. Aussi, la racisation d’un groupe de personnes sur la base de leur religion devrait interpeller les indépendantistes. C’est précisément ce que les colonisateurs britanniques ont fait subir à la population canadienne-française. Mais pour cela, il faut qu’ils et elles renouent avec les racines anticoloniales de leur propre mouvement. En même temps, la cause de l’autodétermination du peuple québécois devrait interpeler les personnes dont les racines se trouvent dans des pays qui ont souffert du joug colonial et luttent encore pour une indépendance authentique.

Bref, l’islamo-gauchisme, loin d’être un défaut, constitue une dimension essentielle du renouvellement du mouvement pour l’indépendance du Québec dans une société plurielle. Mme Benhabib ne semble pas réaliser que l’abandon de fait de la lutte pour l’indépendance par le PQ, qu’elle déplore, est intimement lié au virage « identitaire » dont elle a elle-même été un des adeptes les plus en vue.

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