Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Renoncer graduellement au gaz à meilleur coût

Le gouvernement du Québec a récemment adopté le projet de loi 41 sur la décarbonation des bâtiments et des initiatives réglementaires des municipalités, et plusieurs d’entre nous (membres de la coalition Sortons le gaz) ont exprimé leur déception⁠ quant à des aspects cruciaux de cette décision.Toutefois, nous ne sommes pas « interloqués », comme l’indique M. Francis Vailles dans sa chronique⁠ sur le sujet, mais plutôt préoccupés quant à des articles de la loi qui sont contradictoires et freinent les actions de plus en plus de municipalités qui veulent agir en matière de décarbonation des bâtiments.

D’emblée, nous tenons à rappeler que personne parmi nous ne prône une sortie complète du gaz du jour au lendemain au Québec.

Nous proposons plutôt de cesser d’ajouter des appareils au gaz, de ne pas remplacer les appareils existants qui sont rendus à la fin de leur vie utile et de rapidement installer des thermopompes pour que les bâtiments existants qui se chauffent au gaz passent à la biénergie électricité-gaz.

Or à nos yeux, le gouvernement Legault a adopté le projet de loi 41 en réaction à un important mouvement des municipalités qui ont décidé d’interdire le gaz dans les nouveaux bâtiments.

L’enjeu ? De nombreuses personnes confondent la pointe réelle du réseau d’Hydro-Québec (qui est d’une centaine d’heures par hiver) avec le tarif DT pour le chauffage biénergie électricité-gaz, qui procure plutôt un effacement de la consommation d’électricité pour le chauffage, entraînant un recours au gaz polluant pendant 573 heures annuellement en moyenne, et ce, de façon tout à fait inutile la moitié du temps⁠.

Or, bon an, mal an, le chauffage au gaz représente 9 % des nouvelles constructions au Québec. C’est donc dire que 91 % de toutes les nouvelles constructions chauffées par plinthes électriques occasionneront une importante demande en puissance électrique et donc des surcoûts en puissance de plusieurs centaines de dollars par année à Hydro-Québec, et ce, pour chaque construction.

Déplacer la pointe

Il existe pourtant des technologies de chauffage électrique qui déplacent efficacement la pointe dans le temps. Dans le secteur résidentiel, de tels systèmes sont d’ailleurs subventionnés par Hydro-Québec dans la nouvelle construction, au moyen du nouveau programme LogisVert. Pour les plus grands bâtiments, Hydro-Québec a développé le ThermÉlect hydronique.

Ce type de chauffage électrique est présent dans des centaines de bâtiments résidentiels depuis peu au Québec. Pour les nouvelles maisons, une étude d’Écohabitation⁠ a démontré qu’il est beaucoup moins cher de chauffer avec un accumulateur de chaleur et une thermopompe qu’avec un système biénergie au gaz naturel. Et c’est encore moins cher depuis qu’Énergir a décidé d’obliger tous les nouveaux raccordements à consommer du gaz de source renouvelable (GSR), lequel coûte aujourd’hui huit fois plus cher au client que le gaz naturel fossile.

Ce type de système avec accumulateur de chaleur et 100 % électrique est aussi présent dans de nombreux bâtiments institutionnels et commerciaux.

Il a par exemple remplacé le gaz, au début des années 2000, dans l’édifice Price à Québec, qui loge entre autres les appartements de fonction du premier ministre du Québec.

Les coûts en puissance ne peuvent donc pas justifier le maintien du gaz lorsque l’option électrique de déplacement de charge existe et est déjà utilisée. De plus, le coût par tonne de GES calculé dans l’article pour la biénergie électricité-gaz ne tient pas compte de la compensation des pertes de revenus d’Énergir par la clientèle d’Hydro-Québec qui coûtera 2,4 milliards de dollars d’ici 2050⁠, ce que nous estimons à 180 $ par tonne.

Enfin, si le gaz de source renouvelable (GSR) peut jouer temporairement un rôle dans la décarbonation des systèmes de chauffage existants, sa rareté et son coût élevé amènent la communauté scientifique à recommander qu’il soit utilisé prioritairement pour les usages industriels difficilement électrifiables. D’ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie recommande de ne plus renouveler d’équipements de chauffage au gaz à partir de 2025.

Par l’adoption du projet de loi 41 sur la décarbonation des bâtiments, le gouvernement désire sauver l’investissement de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans Énergir et perpétuer les prolongements du réseau gazier au risque d’avoir des actifs échoués (investissement qui perd de sa valeur en raison de l’impact des changements liés à la transition énergétique) d’ici 2050.

La logique des environnementalistes est raisonnée et pragmatique : il faut plutôt intensifier la décarbonation des bâtiments et réserver le GSR à des usages circonscrits aux industries qui ne peuvent s’électrifier.

JEAN-PIERRE FINET Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE)

Cosignataires : Pascal Bergeron, Environnement Vert Plus ; Philippe Duhamel, coordonnateur général, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) ; Éric Pineault, président du comité scientifique de l’Institut des sciences de l’environnement, UQAM ; Arnaud Theurillat-Cloutier, Travailleuses et travailleuses pour la justice climatique (TJC) ; Stéphanie Harnois, Fondation David Suzuki ; Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie, Greenpeace Canada ; Anne-Céline Guyon, analyste Climat-Énergie, Nature Québec ; Patricia Clermont, Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME) ; Jean-François Lefebvre, Imagine Lachine-Est ; les membres de Pour Nos Enfants Montréal

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